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Portrait : Philippe Jaroussky
Article mis en ligne le mai 2008
dernière modification le 11 juin 2008

par Christian WASSELIN

Philippe Jaroussky vient d’avoir trente ans. Il a d’abord étudié le violon mais un peu tard, à l’âge de onze ans. Il s’est mis au piano, a songé un instant à la direction d’orchestre, mais il a eu un jour la bonne idée de se consacrer au chant : sa voix de contre-ténor, en effet, ou plutôt sa
technique, qu’il a vraiment utilisée à partir de l’âge de dix-huit ans, est de celles dont notre époque est très friande depuis que le répertoire qu’on appelle baroque occupe une part significative des saisons musicales, au moins européennes. A découvrir le 24 mai prochain à Lausanne.

Alfred Deller (1912-1979), James Bowman et d’autres font partie de ces grandes figures auxquelles on doit la dilatation de notre horizon musical actuel. Henri Ledroit, trop tôt disparu, et David Daniels sont également de ces chanteurs que Philippe Jaroussky cite volontiers quand il s’agit d’évoquer ses adorations musicales.

Une technique particulière
Au fait, faut-il dire contre-ténor ou haute-contre ? ou bien alto, ou encore sopraniste ? Philippe Jaroussky explique lui-même : « On parle de haute-contre pour la musique baroque française (Lully, Rameau…) », alors que le contre-ténor (traduction de l’anglais countertenor) chantera par exemple Purcell. Question de tessiture ? De technique plutôt, car le haute-contre est un ténor aigu, là où le contre-ténor chante en voix de tête, technique qu’il a spécialement travaillée pour obtenir les notes et la couleur qui lui sont propres. Avec la mue, avant de travailler cette technique particulière, Philippe Jarroussky avait en effet découvert qu’il possédait « une voix de baryton très commune sans graves et sans aigus  » (1), voix qu’il n’utilise évidemment pas.

Philippe Jaroussky
© Simon Fowler

Philippe Jaroussky fait partie de ces interprètes qui ont remis à l’honneur un répertoire oublié : celui cultivé autrefois par les castrats, quoique certains chanteurs aient pratiqué la technique du contre-ténor avant l’époque des castrats. De ces interprètes, également, qui ont ressuscité un trouble qu’on ne soupçonnait plus. Trouble né de la beauté de sa voix mais aussi de son ambiguïté : à la fois voix d’homme, voix de femme et voix d’enfant, la voix du contre-ténor pousse à l’extrême ce genre de la convention et de l’artifice qu’est l’opéra : « Dans le répertoire des castrats, explique Philippe Jaroussky, je suis à l’aise dans des rôles souvent confiés aujourd’hui à des mezzos ; mais certains rôles resteront inaccessibles pour moi. » On a pu se faire une idée très précise du pouvoir de ce type de voix lors des représentations de Sant’Alessio de Landi il y a quelques mois à Caen et au Théâtre des Champs-Elysées, qui réunissaient huit voix de contre-ténors, lesquelles réussissaient l’exploit de se diversifier les unes des autres par leur volume, leur couleur, etc.
Chaque phrase de Philippe Jarroussky, qui chantait le rôle-titre, résonnait comme une prière, portée par la mise en scène de Benjamin Lazar qui n’était elle-même qu’étrangeté.

Evolution
Quand il évoque en quelques mots l’évolution de sa carrière et de ses goûts, Philippe Jaroussky balise le terrain en citant des compositeurs-clefs : « J’ai une particularité supplémentaire, liée à ma voix, c’est d’avoir pu aborder très tôt le répertoire de sopraniste, c’est-à-dire le répertoire pour castrat le plus aigu qui soit. Quant au répertoire dans lequel j’ai évolué avec le plus d’intérêt, c’est sans conteste le répertoire italien des XVIIe et XVIIIe siècles, pour castrat, avec des compositeurs comme Monteverdi, Cavalli, Strozzi… et surtout deux compositeurs majeurs du XVIIIe : Haendel et Vivaldi. » (2)
Ce qui ne l’empêche pas d’aimer écouter Chostakovitch, Ella Fitzgerald ou Piaf, d’avoir une passion pour l’art d’un David Oïstrakh et de s’intéresser à la musique qu’on appelle contemporaine. Il est vrai que les compositeurs d’aujourd’hui, fascinés par les possibilités de la voix du contre-ténor (il est loin le temps où on écrivait non pas pour mais contre la voix !), se laissent prendre au piège. On se souvient des Trois Sœurs de Peter Eötvös, dont la réussite tient en grande partie au choix du compositeur d’avoir écrit quatre rôles confiés à quatre contre-ténors. Entre les âges baroques, notre époque qui redécouvre les sortilèges de l’opéra, mais aussi la mélodie française, qui semble l’intéresser de plus en plus, Philippe Jaroussky a bien des mondes à habiter.

Christian Wasselin

A écouter, pour s’initier à l’art de Philippe Jaroussky : « Heroes », avec l’Ensemble Matheus, dir. Jean-Christophe Spinosi (1 CD Virgin).

(1) Propos recueillis par Bernard Schreuders (pour le site forumopera.com).
(2) Propos recueillis par Etienne Billaut (pour le site Evene.fr).

Le 24 mai : Philippe Jaroussky. Récital de chant avec piano. Salle Métropole à 19h30 (loc./rens. FNAC)