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Spécial Grand Théâtre
Portrait : Anna Caterina Antonacci

Portrait d’une flamboyante chanteuse.

Article mis en ligne le mai 2010
dernière modification le 23 juin 2010

par Christian WASSELIN

Après avoir été révélée dans le rôle de Cassandre des Troyens de Berlioz
au Châtelet en 2003, Anna Caterina Antonacci est devenue l’une de nos plus grandes tragédiennes lyriques. Elle sera l’invitée la saison prochaine du Grand Théâtre de Genève.

Sur la trace de Cornélie Falcon
Il y a des succès prévisibles, des triomphes qu’on attendait, des applaudissements forcés quand on est persuadé, dès avant le lever du rideau, qu’il y a sur la scène une vedette nécessairement éblouissante, même s’il arrive que la promesse ne soit pas tenue. Mais il y a aussi des ovations qui vous échappent, des abandons auxquels on ne peut rien car votre être tout entier déborde votre raison et vous pousse à exprimer sans retenue votre enthousiasme. C’est ce qui s’est passé au Châtelet, à l’issue du premier acte des Troyens de Berlioz, un beau jour d’octobre 2003. Tous s’apprêtaient à saluer l’Orchestre révolutionnaire et romantique de John Eliot Gardiner, à acclamer Susan Graham, qui chantait Didon (et tous le firent, très légitimement), mais bien peu, parmi le public, connaissaient la Cassandre de ce spectacle, qui avait pour non Anna Caterina Antonacci. Et ce fut une illumination. Une ovation sincère entre toutes, que rien n’avait préparée, portée par le théâtre entier, tant venait de se révéler une chanteuse irrésistible doublée d’une tragédienne enflammée, tant grâce à elle venaient d’être balayés les préjugés qui empêchaient – notamment à Paris – qu’on goûte Les Troyens pour ce qu’ils sont et non pas pour ce qu’on croit qu’ils sont.
Anna Caterina Antonacci n’en était pourtant pas à ses débuts. Au contraire, après de nombreuses années passées en Italie à chanter des rôles flatteurs de soprano, elle commençait là une seconde carrière, avec une nouvelle voix et un nouveau répertoire. Une nouvelle voix, avec un médium ample et riche, et un grain plus corsé. Un nouveau répertoire, dans lequel la déclamation tiendrait une part importante.

Anna Caterina Antonacci
© Serge Derossi / Naïve

Comme l’écrit Christophe Capacci (1), « hier réincarnation d’Isabella Colbran dans un enchaînement de prises de rôles rossiniennes (...), aujourd’hui émule déclarée de Cornélie Falcon » (la créatrice de Rachel dans La Juive et de Valentine dans Les Huguenots), Anna Caterina Antonacci est «  une montéverdienne enragée, une haendélienne hors critères, une singulière Armide de Gluck ».
Les Parisiens avaient d’ailleurs pu l’entendre – mais c’était un peu trop tôt – dès 2000 dans Agrippina au Théâtre des Champs-Élysées, théâtre où elle fut aussi un fulgurant Nerone dans Le Couronnement de Poppée en 2004. Néron ? Parfaitement. Les travestis lui vont bien. Comme lui va bien cet autre rôle magnifique et féroce du Couronnement : Poppée, qu’elle fut au Palais Garnier en 2005. Dans la tragédie comme dans la grâce, dans l’héroïsme comme dans le calcul, son jeu, sa tenue, son chant font merveille.

Question de tempérament
« Il y a dix ou vingt ans, continue Christophe Capacci, une cantatrice italienne de cette ténacité se serait alors jetée sur tout Verdi, tout Puccini et même Norma, au risque de ne durer que trois saisons. Anna Caterina, elle, est allée à rebours », de Mozart à Monteverdi via Haendel. Ce qui ne l’a pas empêchée, rappelons-le au passage, d’être une Alice Ford on ne peut plus élégante dans le Falstaff récemment donné au Théâtre des Champs-Élysées sous la direction de Daniele Gatti.

Anna Caterina Antonacci dans « Altre Stelle » au Théâtre des Champs-Elysées
© Alvaro Yañez / 2009

Armide, Cassandre, Médée (de Cherubini) : un tel éventail de personnages possédés dessine un tempérament, un style autant qu’une voix. On ne s’étonnera pas qu’Anna Caterina Antonacci ait été une farouche Cléopâtre de Berlioz (sous la direction de John Nelson en 2008, avec qui elle avait repris Cassandre en 2007 à Genève), personnage qu’elle incarnera de nouveau, la saison prochaine, avec John Eliot Gardiner et l’Orchestre national de France à la Salle Pleyel. N’oublions pas que Cléopâtre est la première reine antique de Berlioz placée sous le signe de Shakespeare, épigraphe de Romeo and Juliet sur l’autographe oblige ! On ne s’étonnera pas, enfin, qu’elle ait été une Marguerite également idéale dans La Damnation de Faust : idéale d’accents, d’abandon, de timbre, de diction, tant à Marseille en 2008, qu’à Toulouse il y a quelques semaines.
Pour avoir un aperçu de l’art d’Anna Caterina Antonacci, on a pu voir ces dernières années deux spectacles qui balayaient deux de ses répertoires de prédilection : Era la notte, sur des madrigaux de Monteverdi et Barbara Strozzi, et Altre stelle, un voyage au pays de la tragédie lyrique, de Rameau à Berlioz via Gluck. Deux spectacles mis en scène par Juliette Deschamps, léchés, concis, un peu frustrants par leur manière de donner l’impression d’une suite de morceaux choisis, mais qui ont beaucoup tourné et assis la renommée de notre chanteuse.
Si l’on veut se faire une autre idée des talents d’Anna Caterina Antonacci, on pourra se procurer d’éclairants dévédés : Les Troyens captés sur le vif au Châtelet en 2003, à voir et à entendre, malgré la platitude du spectacle (2) et une flamboyante Carmen en compagnie du splendide Jonas Kaufmann (3). Mais le mieux, évidemment, est de se précipiter pour l’écouter à Genève !

Christian Wasselin

Anna Caterina Antonacci donnera un récital le 18 mai 2011 à 20h au Grand Théâtre de Genève.

(1) Dans Opéra international n° 294, octobre 1994, p. 30.
(2) 3 dévédés Opus Arte OA 0900 D.
(3) 1 dévédé Decca 074 3312.