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A Nice, Martigues et Avignon
Nice, Martigues et Avignon : “Les Contes d’Hoffmann“

Trois productions différentes des Contes d’Hoffmann en une semaine !
Un régal.

Article mis en ligne le mars 2009
dernière modification le 28 mars 2009

par François JESTIN

Joli hasard de la programmation, il était possible, sur la même semaine, d’assister à trois productions différentes des Contes d’Hoffmann, dans le sud-est de la France. On en redemande !

« Les Contes d’Hoffmann » à Nice, avec Annick Massis (Antonia)
© Opéra de Nice

Et pourtant cette espèce de « trilogie méditerranéenne » a bien failli s’alléger d’un tiers. Avant le lever de rideau de cette deuxième représentation des Contes niçois, le directeur de l’Opéra Paul-Emile Fourny, également réalisateur de la nouvelle production proposée, annonce en effet la forte grippe de Annick Massis. La soprano française, qui prépare depuis 6 semaines sa triple prise de rôles – Olympia, Giulietta, Antonia – maintient cependant sa participation, et évite ainsi l’annulation, en faisant preuve d’un exceptionnel courage. Son entrée en scène en Olympia est visuellement saisissante, en automate chauve dans une combinaison noire moulante, et évoluant ainsi devant une tête de bébé poupée géante. Elle est très handicapée vocalement, et on souffre avec elle dans son air des « Oiseaux dans la charmille », même si la musicalité n’est jamais mise en défaut. Plus tard, en ajustant son volume, elle gagne un peu de sérénité, et devient particulièrement touchante en Antonia, réellement fiévreuse et malade ce soir-là. L’idée du metteur en scène, assisté de Louis Désiré pour les décors et costumes, est plutôt enthousiasmante dans l’illustration de l’acte d’Antonia – rappelons que son papa, Monsieur Crespel, est collectionneur d’instruments de musique. Un gigantesque gramophone occupe la scène, du moins son bras et le plateau tournant, le pavillon – peint sur une toile – étant dévoilé à l’apparition de la mère d’Antonia, celle-ci chantant en son centre. L’acte de Giulietta est plus brouillon, et manque malheureusement d’une certaine sobriété qui a prévalu jusqu’alors : les costumes sont un peu passe-partout, un quart (ou un tiers ?) de gondole est posé là sans conviction, et le rideau rouge en arrière plan s’ouvre et se ferme de trop nombreuses fois, jusqu’à saturation pour le spectateur. La prestation du ténor marseillais Luca Lombardo (Hoffmann) nous fait regretter qu’il ne soit programmé plus souvent sur des scènes d’importance : ligne de chant longue et élégante, diction toujours appliquée, sonorité agréable, il en sera généreusement remercié au rideau final. Il manque à Giorgio Surian, distribué dans les quatre méchants, les quelques graves extrêmes d’une vraie basse profonde, et c’est certainement ce petit déficit qui l’empêche de composer un diable à 100%. On l’apprécie toutefois, en particulier dans son « Scintille Diamant » qui sollicite le registre aigu, et il faut souligner son excellente prononciation du français. Juliette Mars (Nicklausse, la Muse) est une belle surprise – jolie timbre de voix, sûre, et une vraie présence dans son personnage – tandis que Yvan Matiakh est assez transparent dans les quatre valets, et que Marcel Vanaud (Luther, Crespel) serait le « monsieur plus » de l’acte d’Antonia, avec sa voix volumineuse et bien timbrée. La direction de Emmanuel Joël-Hornak est plutôt rapide, et oublie quelques ralentis habituels.

« Les Contes d’Hoffmann » à Martigues, avec Jean-Claude Saragosse (Docteur Miracle) et Isabelle Philippe (Antonia)
© Festival de Saint-Céré

Opéra Eclaté s’éclate
Alors que Nice et Avignon montent une désormais traditionnelle version mixte Choudens / Oeser (avec l’air final « Des cendres de ton cœur » pour la Muse), Martigues choisit de placer l’acte de Giulietta avant celui d’Antonia, et de remplacer les récitatifs d’Ernest Guiraud, composés après le décès d’Offenbach, par des dialogues parlés, reconstitués à partir des quatre contes d’E.T.A. Hoffmann. La jolie salle du théâtre des Salins à Martigues accueille en fait la troupe d’Opéra Eclaté, qui fait tourner actuellement son spectacle en France, créé l’été dernier au festival de Saint-Céré, dans la production d’Olivier Desbordes. Ce qui est donné à voir sur scène est remarquable, surtout lorsqu’on imagine les moyens certainement modestes dont dispose cette troupe (les rôles de Nicklausse et de la Mère d’Antonia sont tenus par une seule chanteuse, Sabine Garrone), et prouve une fois encore – a contrario – qu’un budget important n’est pas une garantie de réussite d’un spectacle. Dans une ambiance de cirque (Nicklausse est grimé en Auguste) et de magie (plusieurs tours sont réalisés par le diable, dont une « téléportation de diamants » par Dapertutto), une grande table octogonale est utilisée comme plateau. Les protagonistes qui ne participent pas à l’action sont assis autour de la table, et celle-ci est ornée de chandeliers pour la Venise de l’acte de Giulietta, ou recouverte d’un voile rouge pour celui d’Antonia. On baigne en permanence dans une atmosphère mystérieuse et de suspense, bien entretenue par le choix des dialogues parlés. La direction musicale de Dominique Trottein s’inscrit dans cette épaisseur dramatique, et maintient de bout en bout la tension, sans pour autant lâcher les décibels, au risque de couvrir les voix. Le maquillage et la grande stature de Jean-Claude Saragosse sont effrayants dans ses quatre incarnations du diable, même s’il accuse d’évidentes faiblesses vocales, et le ténor Andrea Giovannini (Hoffmann) maîtrise très agréablement sa partition, mais peut encore améliorer sa diction française. Le meilleur pour la fin : la soprano Isabelle Philippe dessine une impeccable Olympia, avec une vélocité et une précision exceptionnelles sur les passages d’agilité en notes piquées, puis se tire sans encombre des graves du rôle de Giulietta. Mais c’est en Antonia que son timbre fait des merveilles, associé à sa ligne de chant et sa capacité à jouer et faire progresser la tension dramatique.

Monsieur Hoffmann ?

« Les Contes d’Hoffmann » à Avignon, avec Nicolas Cavallier (Docteur Miracle) et Michelle Canniccioni (Antonia)
© ACM – Studio Delestrade

On attendait avec impatience la prise de rôle de Gilles Ragon en Hoffmann, surtout après ses récentes apparitions dans des rôles difficiles du répertoire français (Salammbô de Reyer et Faust de Berlioz, à Marseille). On tombe de haut : sans doute en méforme, le ténor français frôle l’accident à deux ou trois reprises, manque souvent de volume (il est difficilement audible dans le trio avec Miracle et Crespel), et surtout fait valoir un timbre ingrat, où l’on cherche vainement la séduction, pourtant essentielle au rôle d’Hoffmann. A ses côtés, Nicolas Cavallier dans les quatre diables, brille par sa présence, son autorité et sa projection vocale. La Nicklausse / Muse de Caroline Fèvre est aussi excellente : même sans une grande puissance, la voix est homogène sur toute la gamme, et la diction splendide. Les trois femmes sont distribuées à trois chanteuses différentes, comme la plupart du temps, faut-il le rappeler ! Mélanie Boisvert vient à bout des passages pyrotechniques d’Olympia, mais sans flamboyance, avec une mince marge de sécurité vis-à-vis des suraigus à exécuter. Michelle Canniccioni n’a pas la fragilité ni le timbre idéal d’une Antonia, avec une voix pas très ronde, et un vibrato déjà développé. Elle s’investit toutefois dans le jeu, et on retrouve avec joie le vrai climax de la pièce, à savoir le trio Antonia / Miracle / Mère d’Antonia. Patricia Fernandez (Giulietta) manque sans doute d’un peu d’ampleur sonore pour incarner la femme fatale. Mis à part le faible Yvan Rebeyrol (Nathanaël / Spalanzani), il faut noter le bon niveau des seconds rôles : Raphaël Bremard (les quatre valets) est très drôle et bien chantant, Eric Martin-Bonnet (Luther / Crespel) et Qiu Lin Zhang (Mère d’Antonia) sont impeccables, et Christophe Gay (Schlemil / Hermann) possède un élégant timbre de baryton. La direction de Jonathan Schiffman est superlative : techniquement les choix des rythmes et des effets sont toujours bienvenus, et la musique semble respirer avec une grande amplitude. Dommage que l’orchestre ne soit pas au-dessus de tout soupçon ce soir, par exemple les cordes qui font preuve de quelques « temps faibles » (Valse d’Olympia, …). La production, réalisée par Eric Chevalier, prévoit un lieu unique pour l’action, le foyer d’un Opéra, et son petit comptoir – buvette. Chaque femme passe le relais à la suivante, et quelques accessoires figurent efficacement les lieux du livret.

François Jestin

Offenbach : LES CONTES D’HOFFMANN : le 21 janvier 2009 à l’Opéra de Nice, le 25 janvier 2009 au Théâtre des Salins de Martigues, et le 27 janvier 2009 à l’Opéra-Théâtre d’Avignon