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A l’Opéra de Nancy
Nancy : “Les Neveux du capitaine Grant“

Pari gagné à l’opéra de Nancy, avec la production maison d’une zarzuela de
Fernández Caballero.

Article mis en ligne le mars 2009
dernière modification le 29 mars 2009

par Pierre-René SERNA

Avec les Neveux du capitaine Grant, Fernández Caballero signe une zarzuela qui fit grand bruit à Madrid au XIXe s. L’Opéra de Nancy, jamais en manque d’imagination, n’hésite pas à en proposer une production maison. Folle audace payée en retour d’une franche réussite.

Manuel Fernández Caballero (1835-1906), auteur de quelque deux cents zarzuelas (en sus de divers oratorios, symphonies ou pages de musique de chambre), a écrit ici une œuvre lyrique qui ne ressemble à aucune autre. Même parmi le répertoire pourtant si divers des zarzuelas, c’est un peu l’exception. Cette transposition du roman de Jules Verne reste fidèle à son modèle, sauf que les personnages principaux sont évidemment espagnols et que les enfants du valeureux capitaine deviennent des neveux (éloignement géographique oblige). La trame est donc conservée, voyages de fabulation aux antipodes avec force délire de pieuvres géantes et volcans en feu, mais assortie d’une distance humoristique inconnue de l’ouvrage romanesque, en plus d’une musique constamment inspirée.
Autant dire que l’œuvre est presque irréalisable sur des scènes actuelles qui ignorent les changements à vue des toiles peintes et les effets de machinerie. À l’Opéra de Nancy, Carlos Wagner réussit cependant la prouesse. Le décor unique (un Madrid aux immeubles pris de tangage sur le socle d’un large livre ouvert) se voit transfiguré, par quelques éclairages appropriés et le talent du metteur en scène, en fond des mers, grotte souterraine ou envolée dans les airs. L’illusion fait office de représentation.

« Les Neveux du Capitaine Grant » de Caballero
© Marc Antoine / Opéra national de Lorraine

Une direction d’acteurs précise et bien dosée suffit à emporter l’adhésion d’un public qui ignore tout de l’ouvrage. Les dialogues (parfois coupés ou transposés) sont adaptés en un français parsemé de bribes savoureuses d’espagnol de cuisine. Mais les parties chantées demeurent fidèlement et strictement en espagnol.
Le plateau d’artistes, parfaitement bilingue, se prête au jeu, théâtralement crédible et vocalement sûr. Tous seraient à citer : le pétulant José Luis Barreto, le sombre Victor Torres, l’épanchée Blandine Folio-Peres, le supérieurement lyrique Igor Gnidii, ou les excellents Nicolas Rigas, Georgia Ellis-Filice et Jean Segani ; sans oublier l’irrésistible comédien Emiliano Suarez. Dans la fosse, le jeune chef états-unien Tito Muñoz (tant il est vrai que dans cette distribution hispanophone, aucun n’est Espagnol) fait montre d’acuité face un orchestre bien lancé et un chœur parfois un peu vert. L’élan est général et le triomphe final garanti.
Pour la partie musicologique, relevons que la pièce présentée ressemble assez à Los sobrinos del capitán Grant, tel que Caballero l’a conçu en 1877, hors l’adaptation partielle de l’action, la coupure ou la réduction de nombre des vingt-huit numéros musicaux originaux, compensées (?) par l’ajout de trois morceaux étrangers : deux airs et un duo, provenant d’autres zarzuelas du même Caballero, qui justement n’en avait pas pourvu un ouvrage fait d’ensembles vocaux et de plages d’orchestre, pour mieux le distinguer. Le résultat s’avère donc plus conventionnel. Mais peut-être était-ce le prix pour séduire un auditoire non obligatoirement acquis d’avance. Pari gagné.

Pierre-René Serna