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A la Scala de Milan
Milan : “Le Joueur“

Le Joueur présenté à la Scala sous la direction de Daniel Barenboïm est une réussite !

Article mis en ligne le septembre 2008
dernière modification le 20 septembre 2008

par Bernard HALTER

La Scala de Milan présentait en juin Le Joueur (Igrok’) de Prokofiev. Cette coproduction avec la Staatsoper Unter den Linden de Berlin marque le retour de
l’ouvrage à La Scala, douze ans après la première fois de Valery Gergiev.

Daniel Barenboïm s’est adjoint les talents du metteur en scène et scénographe Dmitri Tcherniakov pour explorer un opéra russe rarement donné. Pourtant, le livret est tiré du roman homonyme de Dostoïevski et le compositeur de Guerre et Paix pleinement intégré à la constellation des musiciens du vingtième siècle ayant accédé au rang des "grands classiques". Il est vrai que le livret du Joueur est un peu énigmatique. Seuls les trois premiers quarts de l’œuvre de l’écrivain sont mis en musique, si bien que l’opéra se termine alors qu’Alexis rentre du Casino les poches pleines d’or et que l’énigmatique et lunatique Pauline finit par se détourner de lui. Pas trace de la suite de la destinée de ce précepteur gagné par la frénésie du jeu lorsqu’il vit à Paris dans le sillage de l’opportuniste Blanche, ni de son retour sur les lieux des intrigues entre le Général à la retraite, le Marquis français et le riche Anglais. La fin a quelque chose d’abrupt, à l’instar d’une partition qui explore sans complexe les registres les plus extrêmes de l’orchestre, avec des coups sourds de grosse-caisse, des cuivres envahissants et une densité sonore qui charge la dramaturgie avec ostentation.

« Le Joueur »
Photo Marco Brescia – Teatro alla Scala

L’éloquence et la plasticité de l’orchestration, son rapport étroit à la psychologie des personnages, donnent également lieu à des moments plus modérés soulignant des sentiments intérieurs, des inquiétudes. La fosse milanaise parvient alors à exhaler les murmures lancinants imaginés par le compositeur. Il serait du reste inopportun de tenir rigueur à Daniel Barenboïm, et encore moins aux chanteurs de la distribution si, çà et là, l’orchestre – l’orchestration devrait-on dire – couvre les voix. Le ténor Misha Didyk a la couleur spécifique des grands rôles héroïques russes, avec des tenues dans l’aigu de tout premier plan. Il se double d’un acteur efficace et d’un danseur athlétique. Pauline, campée par l’envoûtante Kristine Opolais, appelle pareils éloges, à l’instar de Stefania Toczyska qui croque magnifiquement le rôle magnétique de la Grand-Mère bousculant les attentes cupides de toute cette cour d’opportunistes aux abois. La demi-mondaine Blanche (Silvia de la Muela), Mr. Astley (Viktor Rud) et le Marquis (Stephan Rügamer) ainsi que les petits rôles se profilent à l’avenant des fers de lance de l’opéra.
La mise en scène est assez classique de ton. Toute cette société aisée évolue dans un palace contemporain que l’on devine fastueux malgré un mobilier assez froid, avec des resserrements de l’action dans les chambres de celui-ci lorsque le livret l’appelle. Le mérite principal du travail scénique réside dans le fait que chaque personnage du roman est caractérisé à la perfection, même si l’époque de Dostoïevski devient une époque contemporaine dans la lecture de Dmitri Tcherniakov. Sa direction d’acteurs est virtuose, personne n’est jamais livré à lui-même et chaque épisode procède d’un projet clair porteur de sens pour l’ensemble de la pièce. Une réussite qui a tous les atouts requis pour un DVD d’exception !

Bernard Halter

Représentation du 26 juin 08