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A la Scala de Milan
Milan : “Adriana Lecouvreur“ & “Jenufa“

La Scala proposait deux partitions, Adriana Lecouvreur et Jenufa, composées à la même époque,mais cependant très éloignées à beaucoup de points de vue.

Article mis en ligne le juillet 2007
dernière modification le 21 juillet 2007

par François JESTIN

Composées exactement à la même époque (première d’Adriana Lecouvreur en 1902, et 1904 pour Jenufa), ces deux partitions sont cependant très éloignées à beaucoup de points de vue. Un curieux point commun à l’issue de ces deux représentations : l’accueil très réservé du public, particulièrement surprenant pour la première de Jenufa, qui marquait le retour de l’œuvre à la Scala, après plus de 30 ans d’absence.

Adriana Lecouvreur
Donnée dans sa deuxième distribution, l’Adriana Lecouvreur du 28 avril peut être considérée comme une bonne représentation « de répertoire », soirée de qualité, mais au cours de laquelle on cherche en vain le grand frisson. Inaugurée en 1989 avec Mirella Freni dans le rôle-titre, la production hyper classique de Lamberto Puggelli – dont il existe un DVD TDK avec Daniela Dessi en Adriana – fonctionne toujours. Colonnades, bougies, faux miroirs faits de toile réfléchissante (dont on voit de nombreux plis, même sans jumelles !), le plateau est plutôt chargé et tire parfois vers le kitsch, sauf au 4ème acte où le lit en avant-scène resserre le triste dénouement final, quasiment plaqué sur celui de Traviata.
Sans démériter, la jeune soprano Irene Cerboncini a un peu de mal à enfiler le costume – un peu large pour elle – de la sublime actrice Adrienne Lecouvreur ; elle se révèle bien meilleure à l’acte 4, en femme désespérée qui va mourir. Vocalement, on pourra toutefois lui reprocher un manque de justesse sur plusieurs aigus qui restent « en-dessous », depuis « Io son l’umile ancella » jusqu’à « Poveri fiori ». Le ténor Mario Malagnini (Maurizio) rappelle, par son style, une ancienne école du chant italien (on pense d’abord à Bergonzi, avec un peu de Corelli, et un soupçon de Bonisolli). C’est un ténor lyrique élégant, à la ligne de chant bien conduite, mais qui est loin d’avoir les moyens de ses illustres prédécesseurs : il est très agréable, mais n’arrive pas à électriser.
La révélation de la soirée est la grande mezzo dramatique Anna Smirnova (Principessa di Bouillon), qui possède d’évidents gros moyens, bien utilisés. Dès son entrée en scène, elle brûle d’amour pour Maurizio, les aigus projettent, et les graves en imposent. Le baryton Angelo Veccia (Michonnet) est aussi une bonne découverte : la voix est belle, bien timbrée, l’extension dans l’aigu est toujours juste. Le vétéran Luigi Roni (Principe di Bouillon) est distribué dans un rôle qui lui convient, pas trop bas, alors que la direction musicale de Stefano Ranzani peut être considérée comme
« classiquement vériste », sans effets particuliers. Malgré les efforts de quelques « loggionisti » (c’est-à-dire les spectateurs des parties « populaires » des étages supérieurs, autrement dit les
« amis » de Roberto Alagna !), les applaudissements sont l’écho d’un bien modeste enthousiasme au rideau final, mais à peu près en rapport avec la qualité de la soirée.

Anna Silja (Kostelnicka) et Emily Magee (Jenufa)© Marco Brescia/Teatro alla Scala

Jenufa
La dernière représentation scaligère de Jenufa remonte à 1974 (Grace Bumbry, Magda Olivero), et l’actuel directeur de la Scala, Stéphane Lissner, tenait certainement à « offrir » au public milanais la production de Stéphane Braunschweig inaugurée au Châtelet en 1996, puis reprise en 2003, une des grandes réussites de son passage à la direction du théâtre parisien. L’aspect visuel est toujours aussi fort, avec un dépouillement des couleurs en noir (palissades en bois sombre) et blanc (au sol, comme la neige glaciale ou la farine sortie du moulin), avec quelques touches de rouge (les ailes du moulin sortant du plateau, ou quelques ouvertures momentanées en fond de scène). Les costumes sont exactement dans les mêmes tons : noir (Kostelnicka, Laca, Buryja), blanc (Jenufa, Steva), rouge (les soldats de retour au village). Emily Magee dans le rôle-titre compose impeccablement un personnage qui subit implacablement son destin, et choisit de pardonner successivement Kostelnicka, Steva, puis Laca, avec qui elle acceptera finalement de rester. Elle est expressive, sonore, et très émouvante à l’acte 2, lorsqu’elle prie la Vierge, dans le berceau de son pauvre bébé, victime innocente de ce drame familial et de l’honneur. Anna Silja (Kostelnicka) semble démarrer chaque acte de manière prudente, et n’est pas glaciale dès son entrée en scène. Mais très rapidement, et même si les graves continuent à rester par moments un peu confidentiels, les aigus partent comme des lames. Dans cet emploi de soprano très proche en hauteur de celui de Jenufa, Silja fait à nouveau preuve de son extraordinaire longévité vocale, et fait mouche, la tête haute dans son rôle de meurtrière finalement repentante.
Les deux ténors sont fort bien distribués à deux voix consistantes, du grave épais à l’aigu vaillant qui projette : Miro Dvorsky (Laca) et Ian Storey (Steva). La contralto Mette Ejsing (Buryja) est aussi très satisfaisante, tout comme le reste de la distribution. La direction musicale de Lothar Koenigs est vivante et dynamique ; toujours attentive, elle joue sur les variations entre certaines parties folkloriques légères, jusqu’aux passages instrumentaux à caractère dramatique.
En se souvenant des enthousiasmantes ovations reçues à Paris il y a 10 ans, l’accueil plutôt discret du public au final est très étonnant, et peut même être qualifié de « poli », en référence à quelques soirées passées à la Scala il y a plusieurs années. Silja reçoit juste le début d’une ovation, Magee des « brava » et le chef des « bravo », mais sans plus pour le reste de la distribution, alors que Braunschweig vient saluer dans la quasi indifférence. Les « loggionisti » sont apparemment absents ce soir, et le temple milanais semble avoir perdu son âme.

François Jestin

Cilea : ADRIANA LECOUVREUR : le 28 avril 2007 à la Scala de Milan
Janacek : JENUFA : le 29 avril 2007 à la Scala de Milan