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Marseille : “Colombe“
Article mis en ligne le mars 2007
dernière modification le 19 juin 2007

par François LESUEUR

Vingt-quatre ans après sa création in loco, l’Opéra de Marseille affichait en janvier et février dernier, Colombe de Jean-Michel Damase, dans une mise en scène réglée par Robert Fortune. Comme en 2004 avec L’héritière du même compositeur, Renée Auphan a confié le rôle principal à la
jeune soprano Anne-Catherine Gillet. Impressions.

En plus d’être une directrice de théâtre éclairée, Renée Auphan est une nostalgique. Ancienne soprano, elle a su, à Genève comme à Marseille, trouver l’équilibre entre les attentes du public et ses coups de coeur, défendre le répertoire et redonner vie à des titres oubliés.
Fidèle à l’univers musical de Jean-Michel Damase (né en 1928) dont elle a créé Madame de… en 1970, elle n’a pas hésité à mettre en scène cet ouvrage en 2001 (à Genève), suivi trois ans plus tard de L’héritière (à Marseille, déjà avec Anne-Catherine Gillet), confiante en cet artiste français quelque peu passé de mode, très lié au monde des écrivains et à celui du théâtre.
Nouvelle résurrection cette saison, avec Colombe, tirée de la pièce éponyme de Jean Anouilh, donnée pour la première fois au Festival de Bordeaux en mai 1961. L’histoire de ce jeune couple qui "bat de l’aile", sur fond d’apprentissage de la vie (la vraie !) par les planches, peut paraître datée, mais la caricature et la parodie sont utilisées avec suffisamment de malice pour rendre supportable quelques situations désuètes. Amour, trahison, mensonge et réconciliation ? tous les ingrédients sont ici étroitement mêlés et se confondent sur la scène et dans la vie avec une certaine férocité. La musique de Damase colle sans doute trop au texte original et donne le sentiment d’assister davantage à du théâtre lyrique qu’à de l’opéra. Le style est léger et inclassable, mais il appartient à un compositeur de métier dont l’écriture naturelle a du charme et ne manque pas de mordant, notamment dans les scènes de confrontation (entre la mère et le fils), de dispute (entre Colombe et son mari), ou de parodie (la scène d’opéra au 4ème acte). La partition est agréable, les mélodies sont faciles, mais l’absence d’ensemble, la monotonie harmonique et la répétition des refrains compromettent à plusieurs reprises notre attention. L’esprit du Paris de la "Belle époque", suranné, est respecté à la lettre par Jacques Lacombe, à la tête de l’Orchestre de l’Opéra de Marseille, dont la direction à l’humour sensible n’appelle pas de réserve. La mise en scène et les décors de Robert Fortune sont un hommage appuyé au peintre Jean-Denis Malclès qui collabora près de quarante ans aux créations de Jean Anouilh : morceaux de décors peints, mobiliers et costumes de couleurs vives, plateau et coulisses de théâtre, tout cela est efficace et astucieux, drôle parfois.
Blanche et timorée, cette Colombe s’affranchira bien vite de sa condition de femme vertueuse et soumise, grâce au spectacle, mais également au demi-frère de son mari, qui devient son amant. Anne-Catherine Gillet est assez convaincante dans le rôle-titre, surtout lorsqu’elle répond aux accusations de Julien et tente vainement de se disculper, scène interprétée avec justesse. Vaillante du point de vue vocal, son timbre est cependant monochrome, tandis que son français est net et sans faille. Remarquable de diction, de projection et de présence, Philip Addis, jeune baryton canadien, élève Julien au rang des grands cocus magnifiques. Un nom à retenir et une voix que l’on espère réentendre rapidement. Le ténor Sébastien Droy chante Armand, le demi-frère dandy, avec élégance et sobriété, entouré par Marc Barrard, drôlissime en Poète chéri, les personnages secondaires étant dessinés avec tact par Patrick Vilet (Desfournettes), Eric Huchet (Du Batras), Jacques Lemaire (La Surette) et Nicole Fournier (Mme Georges). Initialement prévue dans le rôle de l’excentrique Mme Alexandra, Felicity Lott a laissé la place à Marie-Ange Todorovitch, pour des raisons de santé. Celle-ci s’y est montrée de bout en bout formidable dans la dérision, comme dans l’excès, dans la cruauté comme dans l’émotion, avec une voix sonore et vibrante et des allures de Sarah Bernhardt, mâtinée de Cantatrice Chauve assez inénarrables. Représentation du 2 février.

François Lesueur