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A l’Opéra de Lyon
Lyon : “Le Joueur“ & “Le Vin herbé“

Commentaires sur : Le Joueur de Prokofiev, et Le Vin herbé de Frank Martin.

Article mis en ligne le mars 2009
dernière modification le 28 mars 2009

par François JESTIN

Comme depuis quelques saisons, l’Opéra de Lyon organise un « festival » au sein de sa programmation. Trois œuvres sont proposées cette année, sous le thème fédérateur « Héros perdus » : Le Joueur (Prokofiev), Le Vin herbé (Frank Martin) et Dans la Colonie pénitentiaire (Philip Glass). Nous avons assisté aux deux premières.

Le Joueur de Prokofiev est encore une rareté de nos jours – on se souvient de la venue à Paris de la troupe du Marinski : une représentation au théâtre des Champs-Elysées qui remonte à 1996, avec Valery Gergiev mal rasé et Vladimir Galouzine déchaîné, souvenirs, souvenirs… – et l’Opéra de Lyon confie sa nouvelle production à un jeune metteur en scène polonais, dont le programme indique qu’il est de la même génération qu’un certain Warlikowski.

« Le Joueur », avec Misha Didyk (Alexeï)
© Jean-Pierre Maurin

Passé ce moment d’effroi (la lecture du programme), on est très vite rassuré par la réalisation de Grzegorz Jarzyna, qui réussit à captiver l’attention du spectateur tout au long de ce huis-clos de près de deux heures trente minutes. Dans le lobby d’un grand hôtel d’un style années 1960-1970 (décors et costumes de Magdalena Maria Maciejewska), les acteurs principaux jouent l’action avec naturel, sur fond de va-et-vient des femmes de chambre et maîtres d’hôtel, et de saynètes en arrière-plan, sur les côtés ou en hauteur (un jeune marié qui joue à la roulette russe, des jeunes filles qui prennent un bain de soleil, etc). Certaines scènes sont spécialement marquantes, comme le dîner aux chandelles entre Polina et Sergeï, placé en avant-scène, l’arrivée plus tard de la grand-mère Baboulenka, dont beaucoup espéraient la mort, et l’héritage, ou encore les épisodes de jeu de roulette, qui se déroulent en second plan.
La direction limpide de Kazushi Ono est bien dans le ton de ce traitement, et la musique en acquiert une belle personnalité, avec tous les traits d’humour de la partition qui sont bien rendus. Déjà très prometteur il y a quelques années, le ténor russe Misha Didyk (Alexeï) possède à présent une remarquable épaisseur vocale, de brillants aigus, et une endurance qui impressionnent fortement. A ses côtés, Alexander Teliga (le Général) est solide, un peu moins Andrew Schroeder (Mr Astley), alors que Eberhard Francesco Lorenz caractérise avec talent le rôle du ridicule et cynique Marquis français. Côté féminin, Kristine Opolais (Polina) et Maria Gortsevskaya (Blanche) sont visuellement très séduisantes, et assurent leur partition, tandis que le large volume de Marianna Tarasova (Baboulenka) lui confèrent toute l’autorité du personnage imaginé par Dostoïevski. A noter enfin les beaux moyens du ténor Vasily Efimov dans le petit rôle du Prince Nilski.

Parcours initiatique
C’est à Villeurbanne, dans la banlieue lyonnaise, que les Studios Lumière – habituellement dédiés au cinéma ou au théâtre – accueillent Le Vin herbé, composé par le Suisse Frank Martin, en 1942. Avant de pénétrer en salle, le spectateur chemine dans un large couloir aux tentures noires et baigné de pénombre. On s’installe sur des gradins, puis c’est le noir complet avant les premières notes de musique. Le rideau se lève, et au-delà de la scène, on peine à distinguer une deuxième série de gradins, en symétrie. En fait de scène, un praticable circulaire entoure un espace central où sont placés les instrumentistes (un piano et sept cordes). Les chanteurs stationnent parfois à l’intérieur de l’espace central, et se meuvent sur l’anneau de bois, en jouant habilement avec la visibilité et la sonorité offertes aux deux moitiés des spectateurs, sans que personne ne se sente lésé.

« Le Vin herbé »
© Michel Cavalca

L’intrigue est celle de Tristan et Iseut, et la mise en scène, en noir et blanc, est importée du festival de la Ruhr Triennale, montée en 2007 par Willy Decker. Quelques rares accessoires (deux demi-sphères, un glaive, une couronne, une barque-cercueil), mais surtout des mouvements en adéquation à la partition, de l’immobilisme complet jusqu’au déchaînement désordonné des personnages qui tracent des mots ou des traits à la craie. Sous la direction de Friedemann Layer, la musique est tour à tour dissonante ou mélodique, et très finement jouée par ce petit ensemble. La distribution est de premier plan, emmenée par la soprano Sinéad Mulhern (Iseut) et le ténor Finnur Bjarnason (Tristan), couple fort crédible, sur les plans vocal et visuel. Le spectacle s’achève à nouveau dans le noir complet, et le spectateur sort de son voyage : une expérience marquante.

François Jestin

Sergei Prokofiev : LE JOUEUR : le 22 janvier 2009 à l’Opéra de Lyon
Frank Martin : LE VIN HERBE : le 24 janvier 2009 à Villeurbanne – Studios Lumière