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Londres : “La Fille du régiment“ & “Carmen“
Article mis en ligne le mars 2007
dernière modification le 19 juin 2007

par François JESTIN

Sensation au Covent Garden, où La Fille du Régiment vient de faire figure « d’événement lyrique de l’année ». Il faut dire que le couple Natalie Dessay – Juan Diego Florez est proche de la perfection, dans la mise en scène souvent très drôle de Laurent Pelly. Une Carmen était donnée en alternance, rappelant, s’il en était besoin, l’attachement du public outre-Manche au répertoire français.

Pour se rapprocher de Marie, alias La Fille du Régiment, le spectateur a, ces temps-ci, l’embarras du choix : la production de Londres partira à Vienne en avril, puis à New-York pour la saison 2007-2008, tandis que Milan reprend une autre mise en scène jusqu’à la mi-mars. A quand un « Salut à la France » en France justement ?

La Fille du Régiment, avec Natalie Dessay (Marie) et Juan Diego Florez (Tonio) © Bill Cooper

Pour l’heure, pari gagné pour le Covent Garden, les choses n’étant pas forcément acquises à l’avance pour une œuvre où les dialogues parlés sont nombreux (certains textes ont été ajoutés par Agathe Mélinand), et qui met en scène des soldats, même d’opérette. Laurent Pelly choisit très clairement le côté bouffe de la pièce, et vise d’abord au plaisir du spectateur. Le décor, sous la maîtrise d’œuvre de Chantal Thomas, est constitué d’immenses cartes géographiques du Tyrol et au-delà, qui recouvrent le plateau, avec l’amenée, à l’acte II, de la grande salle du château de la Marquise de Berkenfeld, ouverte au quatre vents. Pelly réserve un traitement particulier à Marie, ceci dès son air d’entrée « Au bruit de la guerre », chanté en repassant en cadence la montagne de sous-vêtements des soldats. Que de boulot à abattre d’ailleurs, entre lavage, repassage, pliage, corvée de patates… ! Natalie Dessay incarne à merveille ce garçon manqué, en T-shirt et salopette, en y prenant visiblement un grand plaisir (elle bondit et crie encore au rideau final !). C’est aussi vocalement un rôle idéal pour elle : suraigus, graves bien audibles, vocalises, écarts, mais aussi émotion dans son air « Il faut partir ». Avec son compère Florez, ils sont bien les dignes successeurs de Sutherland – Pavarotti (1966 Covent Garden) et Anderson – Kraus (1986 Opéra-Comique). Notre ténor péruvien favori, en Tonio, se joue en effet avec aisance de ses fameux neuf contre-ut dans « Pour mon âme », et conduit avec un legato idéal son deuxième air « Pour me rapprocher de Marie », ponctué par un contre ut dièse final (un deuxième est à relever en fin de premier acte). Il faut aussi signaler l’admirable Alessandro Corbelli (Sulpice), qui chante et parle dans un français parfait, l’étonnante Felicity Palmer (Marquise de Berkenfeld), qui possède l’exacte dose d’exotisme dans son accent, ainsi que la comique britannique fort populaire Dawn French, dans le rôle parlé de la Duchesse de Crackentorp, dont l’entrée en scène, ou un simple « GO OUT ! » hurlé, suffit à faire exploser la salle d’un rire très franc et sonore ! A la baguette enfin, le même qu’à Paris en 1986, c’est-à-dire Bruno Campanella, reste le garant du style bel canto, avec une agréable variété de tempi, les passages lents étant bien plus ralentis qu’il y a 20 ans.

Carmen
Vue le lendemain dans sa deuxième distribution, la nouvelle production de Carmen, de Francesca Zambello, fait un peu figure de représentation de répertoire. Un cachet assez méditerranéen est donné à la mise en scène, qui démarre à l’acte I dans les tons ocre, avec un oranger sur la place du village. Les mêmes panneaux, utilisés tout au long de l’opéra, représenteront ensuite la montagne de l’acte III, avec mur d’escalade incliné. Il faut mentionner également la belle chorégraphie de flamenco enflammé pendant l’acte II. La Hongroise Viktoria Vizin, distribuée dans le rôle-titre, est très certainement une excellente Mercédès – rôle qu’elle tenait dans la première distribution – mais reste une Carmen seulement honnête, d’une belle couleur mais d’un volume parfois trop faible, et dont le jeu la montre un peu gentillette par moments, trop peu crédible en gitane prête à défier la mort. Le ténor Marco Berti (Don José) fait valoir, comme habituellement, son énorme voix, excitante dans les passages où on attend un gros volume et une projection spectaculaire (fin du III, et IV), mais qui devient presque handicapante, en interdisant tout diminuendo, legato, ou finesse. La soprano chinoise Liping Zhang (Micaëla) déploie un joli timbre, homogène sur toute la tessiture, avec des graves bien assurés, tandis que Laurent Naouri (Escamillo) est méconnaissable : entrant en scène sur un cheval noir, il est en effet rasé de frais, cheveux plaqués et gominés, et l’effet visuel est saisissant ! Rien à redire vocalement, le chant sonore et efficace de Naouri convenant parfaitement aux exigences du rôle. Si elle n’est pas révolutionnaire, la direction musicale de Philippe Auguin est appréciable, avec cependant à deux ou trois reprises quelques curieuses faiblesses pour les cordes solistes. Il faut souligner pour finir la très belle qualité générale des chœurs du Covent Garden, tant pour le son que pour la diction, le français prononcé par les enfants restant toutefois farouchement britannique !

François Jestin

Donizetti : LA FILLE DU REGIMENT : le 25 janvier 2007 au Royal Opera House – London Covent Garden
Bizet : CARMEN : le 26 janvier 2007 au Royal Opera House – London Covent Garden