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Grand Théâtre de Genève
Genève : “Les Troyens“ selon John Nelson
Article mis en ligne le septembre 2007
dernière modification le 30 août 2007

par Pierre-René SERNA

John Nelson s’est taillé une réputation méritée de berlioziste. Car Berlioz reste, avec Bach, la grande passion de ce chef qui sait conjuguer méticulosité et enthousiasme. Il sera dans la fosse du Grand Théâtre pour les Troyens dans la mise en scène de Yannis Kokkos, coproduituction du Châtelet en 2003.

C’est une forme de retrouvailles pour vous, puisque vous aviez déjà dirigé les Troyens à Genève...
C’était en 1974, juste un an après d’autres Troyens que j’avais faits à New York. Au Grand Théâtre il y avait Evelyn Lear et Guy Chauvet. C’était il y a si longtemps… Je ne les ai pas repris depuis. Et je commence seulement maintenant à me replonger dans la partition. Je suis complètement étonné ! À nouveau. C’est comme si je redécouvrais l’œuvre, et je vais de surprise en surprise à chaque page… Extraordinaire !

Quoi par exemple ?…
Un exemple : le timing de l’œuvre, comme dans la Pantomime d’Andromaque ; ce moment suspendu, après la jubilation et juste avant l’entrée fougueuse d’Énée : six minutes de musique d’une mélancolie, d’une tristesse, d’une profondeur incroyables… encadré par deux choses absolument différentes. C’est tout Berlioz !

John Nelson

Depuis tout ce temps, est-ce que l’œuvre vous revient en mémoire ?
Bien sûr ! tout est encore là. Mais c’est pour moi intéressant à plus d’un titre : c’était la première œuvre de Berlioz que j’ai dirigée, dans ma jeunesse, à 29 ans. Pas la Symphonie fantastique, ni Roméo et Juliette… rien de tout cela. De suite les Troyens ! Maintenant, après une vie passée à exécuter quasiment tout Berlioz, j’y reviens. C’est comme un parcours, une arche. Mais il est dommage que j’aie abordé Berlioz directement avec les Troyens, car je n’étais pas vraiment prêt…

Ah bon ?…
Ce fut un grand succès au Metropolitan. Ma carrière était lancée. Mais je crois que je n’avais pas la connaissance profonde de l’œuvre. Désormais, avec l’expérience que j’ai accumulée du compositeur, de Benvenuto Cellini à Béatrice et Bénédict, les symphonies, les œuvres religieuses… je pense pouvoir donner plus. Beaucoup plus.

Justement, avec le recul, la maîtrise acquise au fil du temps de la musique de Berlioz, comment concevez-vous aujourd’hui les Troyens ?
Je suis énamouré ! J’aime tout Berlioz. Mais ici, c’est le sommet. La peinture est encore plus large, qui touche à des moments les plus variés, sans un instant de faiblesse. Tout est à un niveau extraordinaire. Qu’il ait écrit une telle œuvre, avec cette intensité, cette ligne si parfaite, sans savoir si elle pourrait être exécutée, tient pour moi du miracle.

Et à Genève, comment cela se présente-t-il ?
On peut hésiter devant certains passages alternatifs : le finale par exemple*. Mais je ne pense pas qu’il faille choisir : il faut prendre l’œuvre telle qu’elle est. Il se trouve toutefois, à la demande de la production, que j’ai renoncé, à regret, aux trois Entrées du troisième acte. Il y avait peut-être un problème de mise en scène à cet endroit. Mais ce sera la seule entorse à la partition.

Vous n’avez pas encore commencé à travailler avec le metteur en scène…
Ce sera pour début août. Nous aurons cinq semaines de répétitions. Je pense que la conception initiale de Yannis Kokkos, au Châtelet en 2003, a été très influencée par John Eliot Gardiner. Il y aura donc forcément des changements à Genève.

Revenons à l’interprétation musicale. Respecterez-vous les indications précises de la partition ?
Je ne suis pas un fondamentaliste. Il faut parfois s’adapter aux circonstances, à la salle, aux conditions acoustiques ou des interprètes. Je tâche d’être au plus près de la partition, mais je dois transmettre une chaleur, inspirer mes musiciens avec ma conviction personnelle. Cela dépend de beaucoup de choses : la flexibilité des chanteurs, le type de voix... Je prends comme départ les indications métronomiques de Berlioz, par exemple, mais il y a des moments où je dois nuancer, pour de simples raisons pratiques.

Quels sont vos rapports avec l’Orchestre de la Suisse romande ?
Je l’ai dirigé il y a six ans. Je crois qu’il a fait beaucoup de progrès ces dernières années. J’essayerai de trouver avec lui une couleur claire, déliée.

Et les chanteurs ?
Antonacci est magnifique. C’est une fantastique bête de scène. Anne Sofie von Otter est une grande chanteuse, et elle désirait depuis longtemps aborder Didon. Ce sera certainement une grande incarnation. Énée est confié à Kurt Streit, une voix de style mozartien qui devrait être un renouvellement du rôle. Je suis satisfait de ce plateau vocal.

Après les Troyens, qu’est-ce qui vous attend ?
À Genève, il est prévu la Damnation de Faust pour la saison prochaine, ainsi que Der Freischütz. Par ailleurs, je reste encore un an à la tête de l’Ensemble orchestral de Paris. Après : free lance ! Avec joie. Car je serai plus libre, et je pourrai davantage me consacrer à l’opéra par exemple. J’ai déjà beaucoup de projets. Certains ne sont pas encore fixés, mais je suis presque sold out pour 2009-2010. J’ai prévu des dvd de musique sacrée : la Missa solemnis de Beethoven, la Création de Haydn, avec l’Orchestre de chambre d’Europe ; le Messie de Haendel avec l’Orchestra of the Age of Enleightment… Il y aura d’autres Troyens, à Amsterdam en 2010. J’ai aussi des engagements pour des opéras aux États-Unis ou au Pays de Galles…

Propos recueillis par Pierre-René Serna

* À propos des différentes versions des “Troyens“, voir notre ouvrage “Berlioz de B à Z“ (Van de Velde), en vente au Grand Théâtre. Une signature du livre par l’auteur (et responsable de l’entretien ci-dessus) aura lieu au Grand Théâtre lors de la première des Troyens, le 13 septembre.