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Au Victoria Hall de Genève
Genève : Anna Netrebko

Événement à Genève, avec la venue de la célèbre soprano russe.

Article mis en ligne le avril 2011
dernière modification le 28 août 2011

par Eric POUSAZ

Pour sa première apparition en Suisse romande, la soprano russe interprètera le Stabat Mater de Pergolèse et quelques autres pièces vocales du même compositeur. Ce répertoire n’est certes pas celui dans lequel ses nombreux admirateurs auraient souhaité l’entendre en premier lieu, mais l’enregistrement exceptionnel qu’elle a gravé du chef-d’œuvre sacré de Pergolesi aux côtés de Marianna Pizzolato sous la direction du chef principal du Covent Garden Opera Antonio Pappano prouve avec éclat que la versatilité de l’artiste n’est pas la moindre de ses qualités.

Depuis son apparition dans La Traviata aux côtés de Rolando Villazón au Festival de Salzbourg de l’été 2005, le nom d’Anna Netrebko suscite les passions les plus délirantes et toutes les salles de concert ou d’opéra du monde tentent d’attirer cette véritable star pour répondre aux attentes du public.

Anna Netrebko

Atouts
Il faut dire que cette artiste d’exception a tout pour elle : ses débuts difficiles - elle fut nettoyeuse au Théâtre Marinsky de Saint-Petersbourg avant d’être découverte par le grand Valery Gergiev - font d’elle une véritable Cendrillon moderne qui parvient à percer dans le monde impitoyable des chanteurs d’opéra et à s’imposer ensuite dans une mémorable production de Ruslan and Lyudmila de Glinka dans lequel elle tient le rôle principal alors qu’elle vient de quitter le Conservatoire (Un DVD a été publié par Philips en 2003). Les invitations internationales se suivent ensuite sur un rythme soutenu : elle est notamment de nouveau Lyudmila à San Francisco, Gilda dans Rigoletto à Washington, Natacha à Londres dans Guerre et Paix de Prokofiev…). Sa première apparition au Festival de Salzbourg en Donna Anna dans un Don Giovanni dirigé par Nikolaus Harnoncourt est remarquée, mais ce sera avec La Traviata déjà mentionnée qu’elle atteindra, trois ans plus tard, ce degré de célébrité qui fait d’une artiste une star incontournable dans le monde entier.
Anna Netrebko a tous les atouts en main : elle est belle comme un mannequin engagé pour vendre divers articles de luxe ; elle est de plus une actrice de premier plan et sait faire converger vers elle tous les regards par un jeu dramatique d’une extraordinaire acuité dans l’observation du détail qui fait mouche dans la caractérisation d’un personnage. Aussi la remarque-t-on avant même qu’elle ne commence à chanter. Son timbre, prenant et riche en harmoniques sombres, est de ceux qui vous prennent à la gorge : la voix est souple, brillante et chargée d’une sensualité à laquelle il est difficile de se résister. La texture de son chant frappe par ses couleurs chatoyantes alors que l’énonciation du texte reste toujours d’une parfaite clarté ; cet alliage de qualité font de cette voix un organe reconnaissable entre tous qui parvient à donner à la phrase musicale la plus insignifiante une charge émotive dynamisant immédiatement une scène entière ; autant dire que lorsqu’elle entre en scène, le public n’a d’yeux et d’oreilles que pour elle..
Au plan purement musical, pourtant, les avis positifs sont moins tranchés. Voir Anna Netrebko incarner Manon ou Susanna dans Les Noces de Figaro est certes une expérience fascinante mais la musique pure ne trouve pas toujours en elle une interprète soucieuse du respect de la partition. Il faut en effet bien reconnaître que tout ce qui brille dans son chant n’est pas de l’or pur. Dans une Manon vue il y a trois ans à l’Opéra de Berlin – et disponible en DVD chez DG depuis plus d’un an - , elle convainc pleinement dès que la jeune femme se mue en mangeuse d’hommes aux roucoulements légèrement teintés de nuances rauques. En jeune fille pure débarquant de sa province dans une auberge de campagne, elle a de la peine à faire oublier son goût pour le paraître et à alléger le chant pour donner l’illusion d’une certaine pureté que le personnage conserve encore à ce moment de l’action scénique.

Anna Netrebko
© Mat Henneck / DG

Minimes réserves
De même, l’auditeur admire certes sans réserve ce timbre d’une largeur inaccoutumée mais toujours maîtrisée qui fait de chacune des héroïnes qu’elle aborde un de ces personnages hors du commun qu’on aime à voir hanter les scènes lyriques. Néanmoins une comparaison attentive de ses interprétations avec celles d’autres grandes cantatrices moins médiatisées montre également les limites d’une chanteuse qui n’a jamais pris la peine d’apprendre à vocaliser avec brio : ainsi l’ornementation de son air de la folie dans Lucia de Lammermoor de Donizetti ou les passages rapides, effleurés sur le fil de la voix, de son Elvira dans Les Puritains de Bellini n’ont rien d’irréprochable car trop de notes sont simplement savonnées au prétexte de rendre l’expression plus dramatique. En de tels instants, le danger guette de voir un talent d’exception se perdre progressivement sous l’effet d’une admiration publique qui perd tout sens de la mesure et fête à grands cris une artiste qui n’a pas encore atteint une réelle maturité dans ce registre.
Heureusement, il est un répertoire plus intimiste dans lequel la chanteuse excelle, celui qu’elle aborde sur le podium de concert. La confrontation directe avec le public, sans l’artifice du costume, des éclairages et de la mise en scène, l’incitent alors à se montrer autrement plus soucieuse de style et de précision dans l’intonation. Une soirée de mélodies où elle est accompagnée d’un seul pianiste suffit à faire découvrir chez elle un talent autrement plus subtil que ce qu’elle laisse transparaître dans ses apparitions sur les scènes des grands opéras du monde. Il en va de même dans un concert comme celui qu’elle donnera en Suisse romande : car l’artiste met alors son art au service de la musique sans trop se soucier de l’effet que son apparition ou son jeu scénique produisent sur le public.
Les Genevois ont donc finalement la chance de découvrir cette artiste hyper-médiatisée sous son meilleur jour dans cette soirée où elle interprétera, diverses cantates de Pergolesi, accompagnée par The English Chamber Orchestra placé sous la direction de Paul Watkins. La mezzo soprano Kate Lindsey sera sa partenaire en fin de programme pour une exécution du célébrissime Stabat Mater du même compositeur.

Eric Pousaz

Victoria Hall, 28 avril à 20 heures.