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Grand Théâtre de Genève
Entretion : Marthe Keller

Marthe Keller assure la mise en scène de Don Giovanni au Grand Théâtre. Elle nous parle de sa vision de l’œuvre.

Article mis en ligne le décembre 2009
dernière modification le 22 janvier 2010

par Anouk MOLENDIJK

Événement : le Grand Théâtre de Genève accueille Don Giovanni, non seulement un blockbuster mozartien, mais surtout la production qui consacra Marthe Keller en temps que metteuse en scène lyrique. La Suissesse, plus connue comme actrice hollywoodienne, souhaite dépasser les clichés de l’œuvre pour mieux la traiter comme support d’une réflexion sur les rapports hommes-femmes. Entretien.

Les répétitions de Don Giovanni viennent de commencer, quelles sont vos premières impressions ?
J’ai toujours un peu peur lors des reprises, car j’ai des souvenirs des précédentes représentations… L’équipe que j’ai rencontrée est très bonne, les gens sont excessivement aimables, tout se passe très bien pour l’instant ! Je ne connaissais pas les chanteurs avec qui je travaille. C’est donc une toute nouvelle équipe pour un spectacle qui a été joué il y six ans pour la première fois.

Qu’est-ce qui vous a conduite à cette œuvre ?
J’y suis arrivée par accident, comme souvent dans ma vie. On m’a demandé pour la première fois de mettre en scène un opéra lorsque je tournais Jeanne d’Arc. J’ai alors fait les Dialogues des Carmélites, et ça s’est très bien passé. Les gens du Met l’ont vu, et m’ont alors demandé de monter Don Giovanni. Je trouvais que c’était trop, à la fois le Met et cette œuvre… On m’a laissé un mois de réflexion, puis j’ai fini par accepter, car j’aime les challenges ! Mais je ne l’aurais jamais choisi de moi-même. J’aurai plutôt pris Eugène Onéguine, Elektra, Jenufa, des œuvres qui me touchent plus en temps que femme, des œuvres basées sur des pièces de théâtre.

Justement, étant femme, comment abordez-vous ce mythe ?
J’ai beaucoup lu, mais je me suis vite rendu compte qu’on ne peut pas tout lire, qu’il y a beaucoup de points de vues différents et contradictoires. J’ai tout de suite voulu que les femmes ne soient pas présentées comme des victimes. Lacan a dit avec raison que Don Giovanni est le fantasme des femmes. Il exalte la féminité des femmes, et c’est ce qui séduit. C’est un acteur, qui sait modifier son langage. J’ai beaucoup travaillé ses rapports avec les femmes, de le rendre sincère. On peut ôter la misogynie, le ridicule. Je préférerais ainsi passer une demi-heure avec Don Giovanni plutôt qu’une vie avec quelqu’un d’intègre. Ce sont les situations qui sont ridicules, mais pas les femmes. Elles ne sont pas un but en soi lors de cette journée dans laquelle tout va mal. Elles ne lui suffisent plus, il lui faut donc provoquer Dieu.

Marthe Keller

Dans la littérature, Don Juan est avant tout caractérisé par ce qu’il fait ; ainsi ne sont présentés que des signes qui le définissent extérieurement, alors que lui reste opaque. Comment travailler scéniquement un tel personnage ?
Oui, on ne sait rien sur lui. Dans l’opéra de Mozart, il n’a que deux airs, ce qui est peu par rapport aux autres personnages. Le choix du chanteur est important : on est sensuel ou on ne l’est pas. Et Don Giovanni séduit sans avoir rien à faire : c’est un aimant. La musique, elle, est sensuelle. Don Giovanni doit donner le feu à tous les autres personnages. Le désir est son essence : et il ne peut pas désirer quelque chose qu’il possède. On ne peut pas avoir une démarche réaliste avec cette œuvre, car certains épisodes ne sont pas toujours crédibles, à l’instar du cimetière, il faut donc travailler sur le mythe. Celui-ci est si fort, qu’il continue toujours à inspirer des œuvres : j’ai vu dans Vicky Cristina Barcelona de Woody Allen le schéma de Don Giovanni : Maria Elena est une hystérique à la Elvira, Vicky est une Donna Anna, qui se laisse emmener par le séducteur peu avant de se marier …

Après la création du Met, vous avez fait à Verbier une mise en espace de l’œuvre. Que vous a apporté cette expérience par rapport à votre vision initiale de la mise en scène du Met ? Influencera-t-elle la reprise à Genève ?
Oui c’était une expérience formidable, on avait très peu de temps pour travailler, mais ces chanteurs étaient des bêtes ! Il y a un côté très jeune dans une mise en espace, lié à l’improvisation. On a pu faire des petites blagues dans l’esprit mozartien liées à Verbier même : par exemple utiliser les programmes du festival dans la scène du catalogue. Ce sera difficile de recréer cet aspect aussi vivant. Cela reste une expérience fabuleuse : les chanteurs voulaient faire une version de concert, en chantant les récitatifs assis. Je ne me suis pas opposée à leur volonté, mais ai créé un climat de confiance, ils ont donc accepté d’être debout et de jouer, comme je le voulais. Je suis actrice, je m’identifie beaucoup aux chanteurs, je n’ai pas envie d’être comme ces metteurs en scène violents que je ne supporte pas. Je m’adapte aux personnalités des chanteurs.

En quoi les chanteurs diffèrent-ils des acteurs ? Que pouvez-vous leur apporter en tant qu’actrice ?
Les chanteurs ont la partition alors que les acteurs sont dans le vide, ils sont nus. De plus, les acteurs ne savent pas chanter, mais les chanteurs savent jouer ! Je crois qu’ils aiment bien que je sois actrice, et que je puisse travailler avec eux le jeu. Je respecte leurs difficultés liées aux choix de mise en scène. S’ils comprennent pourquoi je leur demande certaines choses, ils le font plus volontiers.

Avez-vous d’autres projets d’opéras à mettre en scène ?
Je ne sais pas, on m’en a proposé. Mais ça me prend beaucoup de temps, me demande beaucoup de travail… En plus, on ne peut pas choisir les chanteurs, on ne sait pas qui sont les gens, et ils peuvent tomber malade… Pour l’instant je tourne beaucoup, en ce moment avec Clint Eastwood.

Propos recueillis par Anouk Molendijk

« Don Giovanni » de Mozart, au Grand Théâtre de Genève les 11, 13, 14, 15, 17, 19, 20 décembre, direction Kenneth Montgomery, mise en scène Marthe Keller, avec Pietro Spagnoli et Ildebrando D’Arcangelo en Don Giovanni et Diana Damrau et Svetlana Doneva en Donna Anna…
www.geneveopera.ch