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Entretien : Tobias Richter

Tobias Richter prend la direction du Grand Théâtre. Rencontre.

Article mis en ligne le juillet 2009
dernière modification le 4 juillet 2009

par Eric POUSAZ

Dans quelques semaines, Tobias Richter prend la direction du Grand Théâtre après avoir accepté, il y a quelques années déjà, de redonner son lustre d’antan au Septembre Musical de Montreux. Loin de voir dans cette double casquette un handicap pour le futur, il croit au contraire que la Suisse romande a tout à gagner à intensifier les collaborations entre les diverses institutions culturelles que recèlent ses nombreux centres musicaux.

A l’annonce de sa première saison genevoise lors de la traditionnelle conférence de presse du Grand Théâtre, il a tout de suite insisté sur l’importance d’assurer à l’institution genevoise une continuité dans le changement. Les différences sont certes sensibles dans l’administration, l’organisation de la billetterie ou la visibilité graphique duthéâtre, mais la programmation obéit à des impératifs similaires, car liés à des contraintes fixes : nombre limité de spectacles annuels, obstacles divers liées à la présence dans la fosse d’un OSR au programme symphonique fort chargé, alternance de titres connus et de découvertes. Pourtant, certains accents devraient être placés ailleurs dans les futures saisons.

Tobias Richter
photo Odile Meylan

Tobias Richter : Je tiens d’abord à rendre hommage au travail de mon prédécesseur qui a pris des risques, notamment en proposant chaque année une création lyrique d’importance ; maintenant, la présence d’un titre inconnu sur l’affiche de la saison est considérée comme normale (ce qui n’était pas forcément le cas auparavant !) et le public répond nombreux à l’invitation qui lui est faite de découvrir un nouveau titre. J’entends donc bien continuer dans cette direction pendant mes années de directorat genevois. Il est pourtant un aspect de la musique contemporaine qui m’intéresse pour le moins autant que celui de la création mondiale d’un nouvel opus à proprement parler : il s’agit de l’avenir des pièces données ici ou là en création mondiale et qui ne sont pas reprises en d’autres lieux. En effet, il me semble peu judicieux de mettre à l’affiche pour quelques représentations des titres qui disparaissent ensuite dans les oubliettes de l’histoire lyrique. La valeur d’une nouvelle œuvre se juge autant aux réactions qu’elle provoque à sa première apparition sur les planches qu’au nombre de reprises dont elle est l’objet par la suite. Aussi ai-je bien l’intention de donner une deuxième ou troisième chance à des partitions créées ailleurs, comme ce sera le cas dès ma première saison avec Alice In Wonderland de la compositrice coréenne Unsuk Chin. La création mondiale de l’œuvre sur les planches du Nationaltheater de Munich a connu un succès phénoménal et je trouve fascinant d’en proposer une lecture totalement différente en invitant d’autres artistes à s’y mesurer. Il ne s’agira donc pas d’une reprise ou d’une coproduction, mais d’un spectacle entièrement nouveau que mettra en scène la metteuse en scène suédoise Mira Bartov et que dirigera le chef chinois Wen-Pin Chien. Forcément révélateur d’aspects autres du livret ou de la musique, ce spectacle permettra à cette partition de toucher un public nouveau et, peut-être, de s’imposer durablement dans le répertoire contemporain.

Votre saison comprend des opéras encore jamais représentés à Genève. Sera-ce là également un des points forts de vos programmations futures ?

Roberto Frontali sera « Simon Boccanegra » en septembre 2009

Vous savez, qu’on le regrette ou non, le répertoire des maisons d’opéra est en grande partie constitué d’ouvrages anciens, car le public le souhaite ainsi et aucune programmation ne peut faire fi des goûts de ses spectateurs sous peine de vider durablement la salle. Il serait donc insolent et suicidaire de passer outre !... Par contre, redécouvrir des pans ignorés du répertoire ou en proposer une relecture contemporaine peut s’avérer extraordinairement dynamique. La donna del lago de Rossini n’a ainsi jamais été représentée sur la scène du Grand Théâtre. Je trouvais donc logique d’en proposer une version nouvelle, confiée à un metteur en scène qui aime soumettre les livrets des opéras qu’on lui confie à une relecture attentive afin d’en dégager les éléments qui touchent directement la sensibilité contemporaine. Christoph Loy (dont les Genevois ont déjà pu applaudir la mise en scène d’Ariadne auf Naxos empruntée au Covent Garden de Londres) s’intéresse à ces ouvrages qu’on a tendance à négliger pour en interroger le sujet et la structure et voir si leur relatif insuccès n’est pas lié à un traitement trop superficiel de leur sujet. Vue ainsi, toute exhumation s’apparente aussi à une aventure et ne peut qu’intéresser un public curieux même si, au départ, il n’aurait pas fait de lui-même l’effort de faire cette démarche.
La Calisto de Cavalli, un ouvrage également jamais monté ici, représente pour moi un défi d’une autre nature encore : il s’agissait d’abord d’offrir à Anna Kasyan, une cantatrice qui a reçu le Prix du Cercle du Grand Théâtre de Genève en 2007, l’occasion de se présenter au public dans un grand rôle. Le metteur en scène suisse Philipp Himmelmann, également connu pour ses approches rafraîchissantes du répertoire, et la présence en fosse de l’Orchestre de Chambre de Genève contribueront encore plus à ancrer cette production dans un paysage lyrique ‘helvétique’. Dans mes rêves les plus fous, j’aimerais assez pouvoir disposer à Genève d’un ensemble directement intéressé à la pratique de la musique baroque – mais sans dogmatisme aucun – afin de mettre sur pied une sorte de pratique ‘genevoise’ de ce type de répertoire dans le courant des années futures.

L’année 2013 approche à grands pas. Tous les théâtres voudront fêter le deux-centième anniversaire de la naissance de ces géants que sont Verdi et Wagner. Le Grand Théâtre sera-t-il de la partie ?

Detlef Roth sera Amfortas dans « Parsifal » en mars-avril 2010

Je ne peux encore répondre clairement à cette question car mes plans futurs n’en sont, par la force des choses, qu’au stade de l’ébauche. Je tiens seulement à dire que si j’aime en soi l’idée de ces festivités liées à un compositeur, un courant musical ou un événement particulier, je ne vois par contre pas l’intérêt de surcharger les programmes, surtout dans une maison qui, comme celle de Genève, ne peut élargir son public – et donc ses manifestations – à l’infini. Je préfère un spectacle particulièrement bien ciblé qui soit emblématique de la célébration envisagée à une série de concerts dont on peut retrouver l’écho sur les affiches de dix ou douze autres salles. Prenons l’an 2012, par exemple, où l’on doit se rappeler la naissance, en 1712 à Genève, de ce grand homme que fut Jean-Jacques Rousseau. Si ce dernier n’a pas laissé une œuvre lyrique digne de figurer aux programmes des théâtres, il a néanmoins pris une part active à la querelle lyrique qui à Paris opposait les tenants de la grande tragédie lyrique française à ceux de l’opéra à l’italienne. Ne serait-ce pas l’occasion, alors, de montrer par exemple un ces ouvrages qui ont déclenché une véritable guerre de tranchées dans les salons parisiens ? Pour ce qui est de Wagner, si l’on monte par exemple la Tétralogie, pourquoi ne pas la mettre en parallèle avec le Sigurd de Reyer, un compositeur français bien oublié aujourd’hui ? Vous le voyez, les possibilités ne manquent pas de donner de la consistance à une programmation. Il suffit de faire les bons choix et de convaincre le public …
Affaire à suivre, donc...

Propos recueillis par Eric Pousaz

La saison d’opéra en bref :
 L’Etoile de Chabrier, en novembre-décembre 2009
 Don Giovanni de Mozart, en décembre 2009
 Lulu de Berg, en février 2010
 Parsifal de Wagner, en mars-avril 2010
 La Calisto de Cavalli, en avril 2010
 La Donna del Lago de Rossini, en mai 2010
 Alice in Wonderland de Chin, en juin 2010

La saison de ballet en bref :
 Cendrillon de Prokofiev, chor. de Kelemenis, en octobre 2009
 Dov’é la Luna, chor. Maillot & Etre, chor. Oberdorff, en janvier-février 2010
 La Belle, chor. Maillot, en avril 2010

La saison des récitals en bref :
 Federica Von Stade, 17 novembre 2009
 Simon Keenlyside, 5 février 2010
 Patricia Petibon, 2 mai 2010
 Vesselina Kasarova, 23 juin 2010