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Spécial Grand Théâtre
Entretien : Tobias Richter

Tobias Richter répond aux questions de Scènes Magazine.

Article mis en ligne le mai 2010
dernière modification le 20 juin 2010

par Eric POUSAZ

Après une saison que l’on peut qualifier de transition, Tobias Richter affiche désormais une programmation conforme à son projet artistique à la tête de la scène lyrique genevoise. Entretien.

Comment se passe la transition pour vous qui venez d’un système différent, le système allemand ? Comment ressentez-vous la transition ?
Je connaissais ce système par la pratique, de la perspective du metteur en scène. Je pense que ce n’est pas seulement une question de système, c’est plutôt la situation genevoise qui est assez particulière par le simple fait qu’il y a 2 statuts d’employés. Cela, c’est quelque chose de rarissime. Vous avez pour la majorité du personnel une situation qui crée des problèmes. Je suis tout à fait conscient que c’est une structure avec laquelle l’institution a vécu depuis la réouverture dans les années 1960. Alors ce n’est pas nouveau. Mais je pense que les conditions du système ont changé. Les règlements ont changé, les données techniques et politiques ont changé. Cela n’a pas facilité les choses. Chaque situation un peu complexe dépend des intervenants. Si vous avez une situation très calme, harmonieuse, que tout le monde est content, motivé, on peut vivre avec pas mal de difficultés parce qu’un statut, un contrat est là pour régler le conflit, pas la situation normale. Mais comme vous le savez, il y a eu des conflits dans cette maison qui ont éclaté à plusieurs reprises, ça a naturellement créé des problèmes qu’on ne peut effacer d’un jour à l’autre. Dès que vous avez un conflit à n’importe quel niveau, l’harmonie, l’efficacité, l’énergie artistique, tout est touché. J’ai l’impression que mon arrivée a suivi le départ d’une équipe pour qui tout n’a pas été très facile, le climat extérieur n’était pas idéal. Il faut retrouver l’esprit, la motivation pour tous les intervenants du théâtre pour avoir envie de partir pour un nouveau projet, retrouver l’esprit de solidarité. En même temps, il faut qu’on trouve un accord parmi tous ceux qui sont censés nous aider, nous soutenir. C’est notamment les financiers, les instances politiques et également les milieux privés qui doivent se retrouver dans un partenariat privé/public pour soutenir, pour encadrer et donner la base matérielle sur laquelle on peut développer notre projet artistique.

Grand Théâtre de Genève
© Mario Del Curto

Je me retrouve actuellement dans une saison transitoire où il y a pas mal de choses qui ont été imaginées dans d’autres conditions, dans une autre situation. Et il faut transformer ce capital artistique, intellectuel avec d’autres idées pour créer une saison cohérente, qui fasse envie au public et qui rentre dans les paramètres et dans le cadre financier.
Il y a encore un autre élément : j’ai amené quelques collaborateurs, collaboratrices, et j’ai retrouvé des gens formidables ici dans l’équipe, maintenant il s’agit de redéfinir le projet, que chacun retrouve sa place. C’est un peu comme dans les sports. Quand vous avez une équipe de foot ou autre, vous avez des joueurs formidables, mais ça ne donne pas encore l’équipe… Là, il y a une grande différence avec le système germanique, car dans le système germanique c’est impensable de commencer une nouvelle direction avec des éléments de vos prédécesseurs, c’est tout à fait inhabituel. Tout change.

Par rapport au projet artistique, est-ce que la saison prochaine sera la vôtre, ou est-ce que vous avez dû encore tenir compte des choix de votre prédécesseur ?
Il y a quand même des éléments qu’on retrouve, mais ils sont beaucoup moins présents. C’est-à-dire on aura une production I Puritani, ça c’est un projet imaginé par Jean-Marie Blanchard, c’est une co-production avec l’Opéra d’Amsterdam, et je vous dis très franchement, je me réjouis de pouvoir réaliser cela. Mais, naturellement, chaque production dans une programmation a pour moi une importance dramaturgique dans une saison. Si j’ai une production de bel canto qui est imaginée par un autre théâtre, je ne suis pas du tout opposé à cela, c’est simplement que c’est une donnée à laquelle il faut s’adapter.

En fait, il y a deux productions avec Amsterdam, c’est-à-dire il y en a une que vous avez choisie…
En effet. Parce qu’ il y a un principe dans ma perception de la scène de la Place Neuve que j’avais déjà connue au début de mon parcours, dans les années 1970. Cela a toujours été une des grandes scènes internationales avec des collaborations avec d’autres grandes scènes du circuit ayant des données un peu comparables, données d’ordre technique. Pour moi, il n’y a pas de cohérence si je devais imaginer une collaboration avec un théâtre dont les dimensions sont beaucoup plus petites que les nôtres, car automatiquement ça demande un travail d’adaptation énorme et ça ne donne pas les synergies qu’on souhaite pouvoir activer avec un projet de coopération. Et en plus, c’est une question de prestige. Si je peux partager une programmation avec le MET, Londres, San Francisco, Paris, Munich, Berlin, ça m’intéresse un peu plus que si je devais coopérer avec un théâtre – je ne veux pas citer de noms – de province ! C’est un peu dans cette optique qu’il faut voir les choses. Et Amsterdam, c’est naturellement une compagnie et une scène prestigieuse, d’où cette collaboration programmée à l’époque de Jean-Marie Blanchard et cette autre par moi maintenant.

Tobias Richter

Au fil des années en Allemagne, vous avez eu des collaborations régulières avec un certain nombre de chefs, de metteurs en scène, est-ce que vous pouvez dire un mot des ces personnes que nous allons retrouver ? Christoph Loy, par exemple, Rainer Mühlbach ...
Christoph Loy c’était quelqu’un qui a partagé mon parcours depuis longtemps, je dois dire que c’est en partie grâce au travail que l’on a pu partager au sein de la troupe à Düsseldorf-Duisburg que Christoph Loy a pu développer son projet théâtral, sa carrière qui est très liée avec un travail de comédien, de musicien, de dramaturge. Et quand on m’a confié le mandat à Genève, j’ai cherché à pouvoir continuer un projet artistique sur la base d’autres données, mais avec quelqu’un qui, finalement, maintenant, compte parmi les metteurs en scène les plus inventifs, novateurs. J’ai été très heureux de constater que Christoph Loy habite maintenant en Suisse, à Zurich, il s’est rapproché, comme ça c’est naturel qu’il marque au moins une fois, ou au maximum deux fois une mise en scène dans le cadre d’une saison que je programme. On vient de lui décerner le Laurence Olivier Awards en Angleterre, c’est formidable, il vient de recevoir ce prix dimanche dernier pour sa mise en scène de Tristan et Iseult qu’il a fait en début de saison au Royal Opera House of Covent Garden.

Et pour d’autres metteurs en scène ?
Dans la saison prochaine, sur Elektra, il y aura Christoph Nel. Lui aussi, c’est quelqu’un qui a marqué non seulement les scènes germaniques, mais qui a également beaucoup travaillé dans les théâtres européens. C’est aussi quelqu’un qui ne vient pas seulement du théâtre lyrique, il vient aussi du théâtre de prose, il a même travaillé avec des chorégraphes pour des projets, et c’est quelqu’un qui a développé un style remarquable. C’est une vision de la dramaturgie, de la direction d’artistes très approfondie. J’ai pu organiser cette rencontre entre Roland Aeschlimann et Christoph Nel pour former une équipe. Alors c’est ce que l’on retrouve ici naturellement.
Au sujet de Rainer Mühlbach, le projet de la Veuve joyeuse, c’est un projet qui est né il n’y a pas très longtemps. Je savais que Christoph Loy avait toujours envie de faire une Veuve Joyeuse. Il était sur une production, et Annette Dasch et Johannes Martin Kränzle – qui était ici pour La Chauve-Souris – sont venus pour des raisons personnelles. Et pour faire une surprise à Christoph Loy, ils ont joué des scènes de la Veuve Joyeuse qu’ils avaient improvisées. Et ils ont fait ça pas seulement en allemand, mais dans un mélange de plusieurs langues. Alors je me suis dit que cela pourrait être quelque chose qu’on pourrait imaginer faire ici. Car ce n’est pas vraiment une pièce allemande, ce n’est pas vraiment une pièce française, même s’il y a une version française qui a été beaucoup jouée par le passé. Dans la Veuve Joyeuse, il y a beaucoup de langues de pays différents. Alors tout d’un coup, j’ai dit que ce serait peut-être une idée si vous avez envie de faire une version genevoise.. Alors on s’est dit, on va le faire, si on peut réunir, les artistes charismatiques pour la production. Je dois dire qu’Annette Dasch, qui est très demandée aujourd’hui, s’est libérée pour cette production, elle a annulé autre chose pour pouvoir faire ce projet. Et j’ai également pu convaincre Jennifer Larmore pour un rôle qui normalement n’est pas imaginé – celui de la Valencienne – , mais dans ce contexte dramaturgique, elle avec José Van Dam, c’est un projet vraiment genevois, ce n’est pas quelque chose qu’on peut imaginer ailleurs. Et Rainer Mühlbach, c’est un des chefs qui a grandi dans le système allemand, qui connaît à fond la tradition musicale, aussi de la musique d’opérette, il a un métier énorme, mais il est ouvert aux autres traditions. Il a fait du Mozart, du répertoire italien, français d’une manière assez remarquable. C’est un très bon musicien.

Jennifer Larmore
© Ken Howard

Les fans de Rossini ont pu découvrir à Pesaro le travail de Damiano Michieletto qui a réalisé une superbe productionde La Scala di seta, deux ans après la Gazza ladra. C’est quelqu’un qui vient du théâtre…
Oui, en effet. Il a fait des mises en scène de théâtre, il est devenu connu quand il a fait La Gazza Ladra, c’était sa première production à Pesaro également. C’est un représentant de la jeune génération, qui a aussi une esthétique, une façon de percevoir le théâtre différente de la mienne, ce que je trouve très intéressant. De pouvoir lui confier un projet avec un des grands noms du métier, Alberto Zedda, qui est un spécialiste de Rossini, mais qui a aussi une grande curiosité, je pense que ça valait la peine d’imaginer ce projet. Et ce projet est un peu particulier, car on présente les 2 versions du Barbier de Séville.
Par ailleurs, je voulais, dans la première partie de la saison, marquer par de nouvelles productions le nouveau projet qui essaie de se mettre en place. Ce ne sera pas la formule pour chaque saison, mais dans cette situation particulière, je pense que c’est la bonne formule.
Après, avec Jesús López Cobos, on peut fêter le retour d’un chef qui a marqué la vie musicale dans la région, peut-être moins à Genève qu’à Lausanne. López Cobos c’est quelqu’un qui a longtemps été directeur musical à Berlin, après à Madrid. C’est quelqu’un qui est très respecté partout, qui a choisi le canton de Vaud pour domicile, je me suis dit qu’il fallait aussi profiter de cela.

Pour Orphée, vous avez choisi la version Berlioz. On sait qu’il y a quatre versions importantes différentes.
C’est la version Berlioz qui me paraît la mieux adaptée à des maisons comme la nôtre. Il ne faut pas oublier que la scène de la Place Neuve est une scène qui est faite pour le Grand opéra. Je pense que la version de Berlioz, cette instrumentation, c’est la plus adéquate pour le dispositif de la salle genevoise. Cela c’est une des raisons. La deuxième, c’est naturellement que j’ai voulu travailler avec Mats Ek. Mats Ek, c’est quelqu’un avec qui j’ai des rapports artistiques de longue date. Mats Ek, je l’ai toujours eu comme chorégraphe, il venait travailler dans mon théâtre en Allemagne, mais ce n’est pas seulement un chorégraphe. J’ai vu pas mal de mises en scène qu’il a faites pour le théâtre de prose. C’est un homme de théâtre, dont les talents, dont le style ne se fixent pas à un genre. Quand il commençait son premier projet de mise en scène d’opéra, quand il a préparé la production à Stockolm d’Orphée et Eurydice, j’étais très curieux de voir ça. Et quand j’ai vu le résultat, j’ai été vraiment très impressionné, et je suis allé tout de suite le trouver et lui ai dit : je veux absolument que tu fasses un projet dans mon nouveau théâtre. On a discuté. Lui voulait absolument refaire, retravailler sa version d’Orphée et Eurydice parce qu’il y avait quelques éléments qu’il voulait changer. Pour moi c’est un projet qui pouvait réunir le travail artistique d’une troupe de ballet et d’un chœur. Et si je regarde la structure de notre maison, ici je n’ai pas de troupe de solistes, les deux seuls instruments collectifs sont le ballet et le chœur. De pouvoir les réunir dans un projet majeur de la saison, cela me paraissait très important, aussi sur le plan artistique et dramaturgique. C’est donc une nouvelle production sur un projet déjà existant.

« Punch & Judy »
© Catherine Ashmore

Il y aura au programme une œuvre contemporaine.
Comme je l’avais déjà annoncé l’année passée, je souhaite toujours inscrire un ouvrage contemporain. On va naturellement faire des créations, mais une création, ça s’organise d’abord beaucoup plus à l’avance, et deuxièmement il faut des moyens considérables. Je pense que la première création aura lieu dans le courant de l’année civile 2012. Maintenant, pour la saison prochaine, je voulais présenter un ouvrage majeur, contemporain, de notre époque. J’avais un compositeur en vue, auquel j’ai promis de réaliser son ouvrage : Oetvos. Ca viendra une année plus tard, parce qu’on était parti sur l’idée d’une co-production, et cette co-production pour des raisons techniques ne pouvait se réaliser, il fallait trouver une autre configuration. Finalement, j’ai pu trouver le projet de Punch & Judy, ce sera la production de l’English National Opera de Daniel Kramer qui a fait un tabac. C’est une production qui a été réalisée au Young Vic de Londres et maintenant, il s’agit de trouver la bonne formule pour présenter au public un ouvrage majeur mais dans un dispositif scénique un peu différent. Alors pour vraiment justifier notre décision d’aller hors les murs, nous présenterons ce spectacle dans une autre salle. Ce sera quelque chose que j’aimerais approfondir dans l’avenir. Quand on propose un spectacle qui n’est pas joué à la Place Neuve, on peut trouver des projets qui se distinguent encore plus du répertoire, pour donner un autre aspect à notre travail.

La distribution sera différente de celle de la création londonienne.
Ce ne seront pas les mêmes chanteurs. Il y aura une distribution genevoise. Mais nous sommes juste en train de finaliser cela.

Dans le même ordre d’idée il y aura l’Amour des trois Oranges, c’est un peu le même esprit de divertissement…
C’est-à-dire, ça commence déjà cette saison avec Alice in Wonderland. Quand vous voyez les ouvrages qui sont créés aujourd’hui, vous entendez souvent une musique qui n’est pas facile à aborder, vous voyez aussi des thèmes qui sont très symboliques, littéraires, allusifs, sans être vraiment dramatiques ou théâtraux. Alice, une féerie, sujet très connu, quand je l’avais programmé, je ne connaissais pas encore le film. Nous vivons une période où l’on rêve ces féeries, ce n’est pas pour rien que Harry Potter ou d’autres ont fait un tabac. Dans cette optique, j’ai cherché Punch & Judy, et l’Amour des trois oranges pour moi ça a toujours été un sujet absolument merveilleux, fantastique. Cette production me tient spécialement à cœur, parce que j’ai été un grand admirateur de Benno Besson, on se connaissait très bien. Benno n’aimait pas trop l’opéra, il se méfiait toujours de ça. Mais Benno a créé la production à Venise, il l’a reprise en Allemagne. C’est une production qui est toujours d’actualité, c’est un classique.
Enfin, en ce qui concerne les Vêpres siciliennes, ce sera une version de Christoph Loy. J’avais dans l’idée de compléter les Verdi joués à Genève. C’est un opéra peu joué, sans être totalement inconnu du répertoire.

Christof Loy

Danse
Pour ce qui est de la danse, je voulais mettre en avant l’aspect musical. Il y aura deux soirées autour du Clavier bien tempéré de Bach, mais on entendra aussi du Fauré et du Schönberg. Notre invité sera le Tanztheater en accord, à l’époque avec Pina Bausch, qui était une grande amie. Il s’agit de Nefes, l’un de ses derniers travaux, créé en Turquie.

Récitals
Pour moi, les récitals sont l’occasion de présenter dans un cadre plus intime des personnalités du métier. Nous accueillerons ainsi Jennifer Larmore, José Van Dam ou encore Anna Caterina Antonacci.

Pour revenir à l’opéra, il y aura une version famille de la Flûte enchantée en 90 minutes, où il s’agira de faire un tour d’horizon des musiques de ce Singspiel. Mais ce n’est pas un spectacle destiné uniquement aux familles.

Il n’y a pas de Wagner à l’affiche de la saison prochaine…
Non, en effet et ce pour la raison suivante. Nous sommes en train de monter un grand projet : une nouvelle tétralogie qui débutera en 2012-2013.

Quelle est votre politique envers les jeunes interprètes ?
J’aimerais fidéliser une petite troupe de jeunes artistes, environ 8 personnes, pour travailler sur des projets qui auront lieu entre les grandes productions de la saison. C’est un projet soutenu par l’un de nos partenaires, la banque BNP Paribas.

Allez-vous changer quelque chose par rapport à la politique d’abonnements ?
En gros, nous garderons la même ligne, il y aura simplement quelques ajustements nécessaires. Les objectifs restent, de toute façon, toujours les mêmes : fidéliser le public, remplir les premières,…

Et au niveau du financement ?
Il y le Cercle, les mécènes, etc, mais il s’agit de développer sans cesse le partenariat avec nos soutiens aussi bien publics que privés.

Propos recueillis par Claire Brawand et Frank Fredenrich