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A Londres
Entretien : Stephen Revell d’Opera Rara

Enquête auprès de Stephen Revell, à propos des enregistrements parus sous le label anglais Opera Rara.

Article mis en ligne le juillet 2007
dernière modification le 20 juillet 2007

par François JESTIN

Depuis de nombreuses années, on voit chez les disquaires de magnifiques coffrets aux titres assez invraisemblables : qui sont ces Emilia di Liverpool, Rosmonda d’Inghilterra et autre Margherita d’Anjou ? Tout simplement de superbes opéras de Donizetti ou Meyerbeer, enregistrés la plupart du temps en première mondiale par le label anglais Opera Rara. Enquête auprès de Stephen Revell, son « Managing Director ».

Opera Rara a été créée il y a environ 30 ans, par Patric Schmid (décédé l’année dernière – ndlr) et Don White, très intéressés par le répertoire bel canto, et passionnés par les œuvres italiennes du début du XIXème siècle. Ils explorent les boutiques et les bibliothèques, et exhument parfois des trésors. Au début des années 1970, ils décident d’organiser des concerts, au Camden Festival, enregistrés sur le vif par la BBC, pour une diffusion radio. Un jour dans les rayons d’un magasin de disques, Patric et Don découvrent un enregistrement pirate d’un de leurs concerts, et c’est là le déclic. Ils décident de créer leur propre label. L’idée pour le financement est de solliciter toutes les universités et institutions dans le monde, intéressées par le projet. Le premier enregistrement est Ugo, Conte di Parigi, de Donizetti. Grâce à ce mécanisme, environ 350 souscripteurs reçoivent chacun une copie de l’enregistrement. Puis au début des années 1980, l’homme d’affaires Peter Moores, qui partage la même passion pour l’opéra du début du XIXème siècle, décide d’assurer le financement de l’entreprise, au travers de la Peter Moores Foundation.

L’objectif recherché par Opera Rara : un but artistique plutôt que des profits ?
Oui, absolument ! Nous visons des profits « raisonnables », mais en premier lieu des produits artistiques d’excellence. Nous ne sommes pas un label commercial comme les autres, nous avons d’ailleurs les statuts d’une « charity » (association à but non lucratif), sans actionnaires.

Depuis des années, vos enregistrements étaient réalisés en studio, mais vos dernières parutions, comme Adelaide di Borgogna, ou Dom Sebastien, ont été captées sur le vif, à l’occasion de concerts publics. Est-ce une tendance lourde, commune à d’autres grands labels ?
La plus grande partie de nos ouvrages ont été produits en studio, et nous continuerons ainsi. De temps à autre, nous formons des partenariats avec des maisons d’opéras : trois années de collaboration avec le festival d’Edimbourg, ou le récent Dom Sébastien au Covent Garden, ou encore la Ginevra di Scozia de Mayr avec l’Opéra de Trieste. Une autre formule que nous pratiquons aussi consiste en un enregistrement de studio, suivi de concerts, non enregistrés (Imelda de’ Lambertazzi de Donizetti, ou la prochaine Straniera de Bellini avec Patrizia Ciofi).

Judith Howarth, Jennifer Larmore et Manuela Custer, lors d’une séance d’enregistrement

Vous avez révélé de grands artistes dans le passé (Fleming, Larmore, Merritt, Ford, Eaglen, Miricioiu,…). Avez-vous la volonté de découvrir de nouveaux chanteurs ?
Oui, je crois que Opera Rara a une responsabilité importante : encourager les jeunes chanteurs dans ce répertoire qui exige une grande flexibilité vocale, et nous sommes toujours à la recherche des jeunes, car ceux-ci possèdent cette flexibilité vocale. C’est aussi pour cette raison que nous avons créé notre concours de bel canto, qui en est à sa 4ème édition annuelle. Il est à noter que beaucoup de primés participent ensuite aux enregistrements.

Pour le futur, avez-vous un listing de titres à aborder, sur plusieurs années ?
Oh oui, le réservoir d’œuvres est immense, et vous pourriez continuer
indéfiniment ! Il faut tout de même rester prudent : certains œuvres valent vraiment le coup d’être enregistrées, d’autres beaucoup moins. Dans cet esprit, nous proposons, dans notre série « Essential », les meilleurs extraits d’un opéra, qui tiennent sur 1 CD, en toutefois imprimant le livret complet (la récente Maria Stuarda de Mercadante). A propos du difficile sujet du goût musical, beaucoup d’artistes avec lesquels nous travaillons peuvent transformer le moindre passage en un morceau passionnant (Annick Massis ou Jennifer Larmore par exemple sont remarquables). Nous avons un « noyau dur » décisionnel, et pouvons faire aussi appel parfois à nos relations dans le métier pour résoudre d’éventuels problèmes de distribution. Le chef d’orchestre David Parry, qui a dirigé beaucoup de nos enregistrements, y est très impliqué.

Vis-à-vis d’autres maisons d’édition ou de festivals, y a-t-il compétition, stimulation, complémentarité ?
Je ne pense pas que nous soyons des compétiteurs. Il nous est peut-être arrivé de produire un CD, et avons vu la sortie d’un DVD de la même production par Dynamic, mais cela ne nous affecte pas. C’est comme si vous trouviez tous les fleuristes au même endroit : le résultat est que vous vendez plus de fleurs au final ! La particularité des CD Opera Rara, au-delà de la qualité des enregistrements, est également liée à la richesse des livrets d’accompagnement (texte intégral du livret, historique, photos des artistes, ainsi que des créateurs des rôles, …).

Des projets de collaboration ?
Nous sommes toujours à la recherche de partenariats, et ouverts à toutes les propositions ! Nous souhaitons collaborer avec le Concertgebouw d’Amsterdam, lors de ses matinées du samedi, car le répertoire joué nous intéresse. Nous poursuivons aussi depuis des années nos relations avec le Covent Garden, où ont été enregistrés Roberto Devereux, et Dom Sébastien, Roi de Portugal.

Des projets particuliers ?
Oui, par exemple Meyerbeer est vraiment sous-enregistré. Nous aimerions faire Robert le Diable, et sans doute bientôt l’Africaine, avec le Concetgebouw d’Amsterdam.

Quelle est l’atmosphère à Opera Rara, de l’enthousiasme, du sérieux ?
L’enthousiasme est toujours bien présent à Opera Rara. Il y a des auditeurs impliqués et intéressés, et du public pour les concerts. Une preuve assez extraordinaire en est le concert que nous avons donné fin 2006 au Coliseum de Londres, de Alessandro nell’Indie, de Pacini ; nous avons rempli la salle à 84% (1800 places vendues), ce qui est une performance pour un opéra très rare, donné un dimanche soir.

Vous considère-t-on parfois comme des Britanniques excentriques, ou comme des gens sérieux investis d’une « mission » ?
Nous avons simplement du bon temps, en faisant bien notre travail, avec passion. C’est une atmosphère détendue, mais sérieuse, et professionnelle. Nous essayons aussi de rester objectif sur notre travail, c’est-à-dire de ne pas être trop passionné, rester pragmatique, réaliste, d’évaluer ce travail.

Avez-vous des regrets ?
Je vous répondrais volontiers que toute notre production est brillante, mais je suppose, que comme dans toute activité, il y a des choses plus ou moins réussies. Parfois vous mettez ensemble les meilleurs chanteurs, et la magie n’opère pas. Vous n’êtes jamais sûr du résultat, dans ce travail d’archéologie musicale. Il y a quand même un standard chez nous en-dessous duquel on ne descend pas.
Je regrette certainement de ne pas avoir enregistré plus avec Renée Fleming par exemple : c’est chez nous qu’elle a fait son premier enregistrement (et son dernier pour Opera Rara !), et il est triste de ne pas avoir pu continuer avec les œuvres de Bellini. Nous aurions voulu aussi travailler avec Juan Diego Florez, ce répertoire est idéalement fait pour lui. Ce n’est pas faute d’avoir essayé, et nous continuerons de lui proposer des projets. Il est cependant nécessaire d’avoir des artistes réellement engagés dans nos projets.

Propos recueillis par François Jestin

Dom Sebastian

Donizetti : DOM SEBASTIEN, ROI DE PORTUGAL - 3 CD Opera rara
Dernière livraison d’Opera Rara, un enregistrement capté à l’occasion de concerts donnés au Covent Garden de Londres à l’automne 2005 : Dom Sébastien, roi de Portugal est le dernier opéra composé par Gaetano Donizetti, en 1843 pour l’Opéra de Paris, et possède tous les ingrédients d’appartenance à la famille du « grand-opéra français » : 5 actes, ballets obligés, exotisme (expédition portugaise vers le Maroc), …
Dom Sébastien avait été redécouvert en 1998 à Bergame (Sabbatini, Ganassi, Rivenq, …), mais il s’agit ici d’une version de référence, sans coupures, avec l’intégralité des ballets. La distribution est de premier ordre avec la ligne de chant distinguée et très lyrique du ténor Giuseppe Filianoti (Dom Sébastien), même si quelques aigus le mettent en difficulté, ainsi que l’incandescente Vesselina Kasarova (Zayda), au timbre très riche en harmoniques. A côté de la basse Alastair Miles (Dom Juan de Sylva), le baryton Simon Keenlyside (Abayaldos) est exceptionnel, comme très souvent, alors que l’autre baryton Carmelo Corrado Caruso (Camoëns) n’est pas à ce niveau d’excellence belcantiste, et ce malgré son illustre patronyme ! La direction musicale de Mark Elder est généreuse et dynamique, et les chœurs et solistes chantent fort bien le français.

Mercadante : MARIA STUARDA - 1 CD Opera rara
Un bonheur n’arrivant jamais seul, les meilleurs extraits de la Maria Stuarda, regina di Scozia, créée en 1821 par Mercadante, viennent nous consoler - un peu ! – de la quasi absence des œuvres du compositeur à l’affiche des maisons d’opéra. Mercadante est un contemporain de Rossini (de 4 ans son cadet), et cela s’entend : mélodies, variations de l’orchestration, passages élégiaques, rythmes effrénés, finales I et II, etc. Tout est admirable dans cette musique, très bien servie ici par les artistes réunis autour du chef Antonello Allemandi à la tête du Philharmonia Orchestra : Judith Howarth, dans le rôle-titre, s’en sort avec les honneurs et une belle agilité (même si elle « tire » un peu 2 ou 3 aigus), tandis que Jennifer Larmore (Olfredo), Colin Lee (Ormondo) et Manuela Custer (Carlo) maîtrisent leur difficile partition. Vivement la « Mercadante Renaissance » pour voir cet opéra sur scène !