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Grand Théâtre de Genève
Entretien : Stephen Gould

Entretien avec Stephen Gould, alias Peter Grimes.

Article mis en ligne le avril 2009
dernière modification le 24 avril 2009

par Martine DURUZ

Stephen Gould, c’est le marin du Suffolk exactement tel qu’on se l’imagine : grand, imposant, barbu. Sa voix parlée étonne pourtant par sa profondeur. C’est Peter Grimes lui-même avec un timbre de basse russe. Le public du Grand Théâtre, qui se souvient du Tannhäuser de la saison 2005-2006, sait cependant que le chanteur américain est bien ténor, dramatique, wagnérien.

Même si, au départ, sa première intention n’était pas d’embrasser une carrière musicale, Stephen Gould, né en Virginie, a découvert très tôt la qualité de son organe vocal. A l’âge de quatre ans, il exécuta son premier solo, encouragé par son père, pasteur, et sa mère, excellente pianiste, qui se consacrait à la musique d’église. A huit ans il interpréta dans le cadre scolaire le rôle de Bert, ramoneur et homme-orchestre dans Mary Poppins, révélant ainsi ses dispositions pour la comédie musicale. Sa voix était alors plus aiguë que celle de la protagoniste !
L’un de ses professeurs lui écrivit un mot de félicitations adressé à « un futur chanteur du Metropolitan Opera ». Un enseignant qui ignorait probablement ses dons de voyance. A l’époque Stephen n’avait évidemment aucune idée de ce qu’était le théâtre lyrique. Au collège, il continua à apparaître dans de nombreux spectacles et, dès l’âge de dix-sept ans, prit des leçons de chant dans le but d’améliorer ses performances sur scène.

Stephen Gould

La découverte de La Bohème de Puccini le décida finalement à choisir la musique comme sujet principal de ses études. Il se mit alors en tête de devenir le nouveau Pavarotti et travailla à développer sa voix de tête et sa virtuosité pour devenir un ténor rossinien. Dans les années 80, ce type de voix était particulièrement recherché. A vingt-six ans il obtint le rôle d’Argirio dans Tancrède, aux côtés de Marilyn Horne. Des problèmes vocaux ne tardèrent pas à se déclarer ; il pensa bifurquer vers les rôles de baryton lyrique, mais renonça, pensant que son physique ne correspondait pas à ce répertoire. Poussé par le besoin d’éponger les dettes que ses études avaient occasionnées, il participa à la tournée américaine du Fantôme de l’opéra d’Andrew Lloyd Webber. Pas moins de trois mille représentations en huit ans !
A cette période il rencontra un bon nombre de professeurs, avant de tomber enfin sur le bon : John Fiorito. Ce dernier « diagnostiqua » immédiatement une erreur d’orientation : son élève était à coup sûr un Heldentenor ; il fallait arrêter la tournée et changer de technique. Une année plus tard, Stephen Gould suivit ce conseil et commença sa réorientation au rythme de trois leçons par semaine, financées par son salaire d’office manager dans une compagnie de télécommunications.
Pendant deux ans, l’élève et le maître se concentrent uniquement sur les exercices et les airs antiques italiens, dans le but de trouver le centre naturel de la voix. Puis, petit à petit, ils reprennent certains airs du répertoire pour enfin s’attaquer aux rôles wagnériens, en commençant par les plus « légers » : Parsifal, Lohengrin, Tannhäuser…. Le timbre du ténor, plus métallique que mœlleux, leur convient en effet parfaitement. Fiorito pense également à certains rôles italiens de même qu’à Samson et Dalila et aux Troyens. Dès lors l’Europe s’impose ; Stephen Gould est engagé à Linz, où il se fait un répertoire (Fidelio, Freischütz, Peter Grimes, Katia Kabanova). Il rencontre ensuite Zubin Mehta, qui le prend sous son aile et lui offre son premier Otello à Florence. De même Christian Thielemann lui apporte un soutien essentiel et l’engage à de nombreuses reprises. C’est sous sa direction qu’il chante en 2008 au Festival de Bayreuth les deux Siegfried de la Tétralogie. Mais la critique n’apprécie pas. Il faut dire que les circonstances n’étaient pas absolument favorables. Le chanteur, qui avait perdu plus de trente kilos, s’est retrouvé affublé d’un costume rembourré et handicapant, parce que le metteur en scène imaginait un Siegfried corpulent !
De toute façon il est difficile de plaire à tout le monde : chaque rôle demande des qualités spécifiques qui ne peuvent être réunies en une seule personne de façon optimale. Les plus grands chanteurs, Lauritz Melchior par exemple, ont aussi eu de mauvaises critiques. L’important, pour Stephen Gould, est d’avancer, de se développer quoi qu’il arrive. Mais il est difficile de ne pas se laisser démoraliser : après la désapprobation de la presse, il a repris en partie les kilos qu’il avait perdus. Ses problèmes de régime, dit-il, ne datent pas d’hier. Prématuré à la naissance, il pesait pourtant cinq kilos et n’a pas eu l’autorisation de quitter la clinique avant d’avoir perdu du poids !! Et la vie d’artiste n’arrange rien : repas au restaurant ou sandwiches sur le pouce en voyage, dîners tardifs après les représentations, tout cela n’est pas favorable.

« Peter Grimes » au Grand Théâtre, avec Stephen Gould (Peter Grimes) et Clive Bayley (Swallow)
Photo : GTG / Pierre-Antoine Grisoni

Peter Grimes
C’est le rôle favori du ténor, avec Lohengrin et Tannhäuser. Il n’a aucun mal à s’identifier à ce personnage marginal, car il a été lui-même un outsider, puisqu’il a grandi avec des idées et des intérêts qui n’étaient pas ceux de tout un chacun. La musique lui convient également, même si la tessiture, choisie en fonction des aptitudes de Peter Pears par son ami Benjamin Britten, n’est pas toujours confortable. Aujourd’hui, les moments dramatiques présentent moins de difficultés que les passages fluides et lyriques.
Stephen Gould assure que la distribution est la meilleure qu’il ait jamais vue. Le décor est un vrai décor et le chef, Donald Runnicles, sait comment rendre intelligible la profondeur des personnages. Le chœur aussi est un personnage : il incarne l’hystérie de la société qui condamne Grimes.
En ce qui concerne le futur, Stephen Gould attend avec impatience son premier Tristan à Tokyo au cours de la saison 2010-2011. De nombreuses scènes internationales l’ont invité, dont le Met, où il fera ses débuts en 2010.

Propos recueillis et traduits par Martine Duruz

Les 2, 7, 9 avril à 20h00, le 5 avril à 16h30 (loc. 022/418.31.30)