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Grand Théâtre de Genève
Entretien : Py danse avec “Lulu“

C’est le très controversé Olivier Py qui fera la mise en scène de Lulu à Genève.

Article mis en ligne le février 2010
dernière modification le 26 février 2010

par Anouk MOLENDIJK, Julien LAMBERT

Génial impertinent pour les uns, provocateur insupportable pour les autres, acclamé à Genève après sa Trilogie du diable, hué à Aix, Olivier Py a le talent indéniable de remuer les publics. Et de mettre en lumière la profondeur comme le grotesque de n’importe quelle œuvre. En revanche Lulu et sa mascarade de bourgeois, happés par un trou noir de bêtise et d’irrédentisme féminin, semble avoir été écrite par Wedekind et adaptée à l’opéra par Berg à l’intention du metteur en scène le plus audacieux et intelligent du moment. Entre deux répétitions, Py nous parle d’une mise en scène qu’il conçoit comme une danse pulsionnelle saturée de couleurs

Avec Lulu, vous avez choisi une œuvre qui semble s’inscrire de manière évidente dans votre univers…
Il n’est pas commun qu’un metteur en scène puisse choisir ses œuvres à l’opéra. J’avais demandé il y a dix ans à Jean-Marie Blanchard, mais il m’a d’abord proposé le Freischütz, trouvant Lulu trop difficile. En l’enchaînant aujourd’hui à la Damnation de Faust et aux Contes d’Hoffmann, j’aurai fait tout le mouvement du romantisme allemand jusqu’à l’expressionnisme.

Olivier Py

On vous catégorise souvent comme un metteur en scène sulfureux. Avec Lulu, une œuvre déjà passablement sulfureuse, n’avez-vous pas peur d’en faire trop ?
Je n’aurai pas besoin d’en rajouter, mais si on monte Lulu comme une œuvre noble, on fait un Strindberg. Or Lulu a été écrite pour en finir avec le théâtre bourgeois, Strindberg et Ibsen. C’est une chose détraquée, qui tend vers la folie ; on ne sait pas si c’est tragique ou clownesque, s’ils se tuent vraiment ou si c’est du sang de théâtre. L’angoisse doit venir avec le rire.

Cette ambiguïté de la parole se retrouve dans le prologue de Wedekind ; l’auteur compare son geste d’écriture à la compassion du Christ pour les pécheurs, afin de démentir les accusations d’immoralité : y a-t-il une (im)morale de Lulu ?
Elle est par-delà la morale. L’influence de Nietzche est considérable, comparable à celle de Schopenhauer sur Wagner. Lulu danse Ainsi parlait Zarathoustra. Elle danse une pulsion de vie, pas au sens chrétien, mais philosophique : sans distinction entre Eros et Thanatos. D’où l’aspect épouvantable et énergique de l’œuvre.

Le personnage de Lulu est-il pour vous un mythe personnifié, ou le révélateur d’une société corrompue ?
Wedekind dit avoir écrit une « tragédie-monstre », dont le combustible est l’affirmation de la volonté de puissance. Lulu incarne cette volonté, qui a perduré comme un emblème de la modernité, dans son combat spirituel contre son protecteur Schön. Ce combat ne peut avoir aucun aboutissement : après la mort de Schön, Lulu chute naturellement à son tour. Cela n’a rien de mélodramatique : j’en fais donc une apocalypse joyeuse.

« Lulu » d’Alban Berg
Photo GTG/Gregory Batardon

D’ailleurs, le même chanteur interprète Schön et Jack l’éventreur, futur meurtrier de Lulu…
C’est prévu par Berg. Lulu est construite selon une structure en arche, qui fait réapparaître les amants de Lulu morts au premier acte, dans la peau de ses trois clients lorsqu’elle se prostitue au troisième. On l’a toujours montrée incapable d’aimer, mais je suis plus littéral : Lulu dit que Schön est le seul qu’elle ait jamais aimé. Ils ont des relations sado-masochistes, que Berg a édulcorées.

Visuellement, à quoi ressemblera votre Lulu ?
À un carnaval ensorien ! On la représente souvent en noir et blanc, peut-être à cause du film de Pabst. Mais avec Pierre-André Weitz (son scénographe habituel, ndlr), nous nous sommes inspirés des peintres expressionnistes, de leur couleur d’une violence morbide. Le décor bougera latéralement, comme un long travelling dans une ville, de la boucherie au cinéma porno, en passant par l’église abandonnée.

Vous dites chercher à reproduire sur scène le mouvement de la musique. Comment faire avec la musique sérielle ?
Nous avons cherché des couleurs atonales, dans un rapport violent entre elles, qui corresponde aux chocs musicaux. Un bazar informe, qui reproduit le bric à brac de la partition, elle-même truffée de citations.

N’est-ce pas risquer la redondance ?
Peut-être, mais le spectateur doit en sortir avec une impression d’écœurement : trop de notes, trop de couleurs. C’est le principe de « l’époque-eye » (retrouver les sensations des spectateurs de l’époque avec des effets adaptés à une nouvelle sensibilité, ndlr).

« Lulu » avec Patricia Petibon et Gerhard Siegel
Photo GTG/Gregory Batardon

En parlant d’écœurement du public, pensez-vous que les Genevois soient plus frileux ?
Le public d’Aix-en-Provence peut être borné, pas du tout celui de Genève. Je crois qu’on a compris que je n’étais pas là pour détruire les œuvres, mais pour les servir. Ce n’est pas parce que je monte une Lulu foisonnante que l’on ne pourrait pas en faire une plus sobre.

Quels sont vos prochains projets à l’opéra ?
Roméo et Juliette de Gounod à Amsterdam en août 2011, et peu après Matis der Maler d’Hindemith, une œuvre magnifique, à Grenoble.

Et après Les Enfants de Saturne, poursuivez-vous votre œuvre dramatique dans la ligne de vos pièces fleuves, d’un lyrisme exalté ?
Je voulais écrire une pièce légère, mais on m’a volé mon ordinateur portable. Plutôt que de la réécrire, n’étant plus dans le même état d’esprit, j’ai commencé une biographie de Mitterrand pour la scène. Cette pièce abordera la représentation du pouvoir, le pouvoir comme représentation, la mort… Il s’agit aussi de raconter l’histoire de la gauche. L’année 1995, celle du départ de Mitterrand, du Rwanda, de la Bosnie, et pour moi d’Avignon et de mes trente ans, c’est l’année où je suis né.

Propos recueillis par Anouk Molendijk et Julien Lambert

Au Grand Théâtre de Genève, les 4, 10, 13, 16 et 19 février à 20h, le 7 février à 17h.
Loc. 022 418 31 30. www.geneveopera.ch