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Opéra de Lausanne
Entretien : Philippe Sireuil

Philippe Sireuil met en scène Verdi américain à Lausanne.

Article mis en ligne le octobre 2010
dernière modification le 16 octobre 2010

par Anouk MOLENDIJK

La saison 10-11 de l’Opéra de Lausanne s’ouvre sur une œuvre de Verdi, Un Ballo in maschera. En co-production avec l’Opéra Royal de Wallonie (Liège), la mise en scène de cet opéra par Philippe Sireuil sera à voir sur la scène lausannoise du 29 octobre au 3 novembre. Entretien.

Un Ballo in maschera traite de l’assassinat de Gustave III de Suède. Pour des raisons de censure, les auteurs ont déplacé l’action à Boston. Alors que certains metteurs en scène replacent l’action dans son contexte initial, vous préférez vous dégager tout à fait du « fatras historico-muséal » en transposant l’œuvre dans les Etats-Unis des années 60 : pourquoi ?
Pour autant que l’on puisse considérer le legs du librettiste et du compositeur comme un bijou, mettre en scène un opéra revient de fait à trouver l’écrin le plus approprié au dit bijou. Le livret d’Un Ballo in maschera comporte nombre de faiblesses et d’anachronismes, dus au sujet, à la double écriture (Eugène Scribe pour le premier opéra sur le sujet, composé par Auber, puis Antonio Somma pour Verdi), mais aussi aux conventions de l’opéra du dix-neuvième siècle. Il fallait donc trouver un univers esthétique qui, tout à la fois, déplace l’œuvre et l’encadre, la fasse « fonctionner » sans l’étouffer dans une représentation annihilante. Tout se résume toujours à cette question : comment rendre dynamique l’écoute de l’œuvre et le regard qu’on peut porter sur elle aujourd’hui, sans l’embaumer, ni la violer. Le choix de déplacer la fable de l’opéra dans les années soixante aux Etats-Unis vient originellement de la qualité de métis de Renato, l’ami fidèle du prince, qui le trahira pour venger l’humiliation dont il est la victime aveugle. Mais elle est aussi relative au mépris du juge à propos du sang noir de la sorcière Ulrica. L’opéra comme le théâtre, c’est une transcription poétique du réel ; dans le cas présent, je ne cherche pas le réel au sens historique, mais un effet de réel qui me permette de traverser l’œuvre, de la mettre en scène et d’y conduire les chanteurs.

« Un Ballo in maschera »
Production de l’Opéra Royal de Wallonie

Votre lecture suggère un parallélisme entre le meurtre du prince Riccardo et celui du président Kennedy, mais ce dernier a été tué pour des raisons politiques et non privées. Les deux se rejoignent-ils néanmoins ?
Mettre en scène, c’est, bien entendu, d’abord lire et écouter l’œuvre, mais c’est aussi l’écrire scéniquement, avec l’ensemble des bagages qui sont à ma disposition, dont ma part d’enfance et ma faculté d’imaginaire. Je m’inspire de mes souvenirs d’enfance - et l’assassinat des frères Kennedy en est un -, de ma fréquentation de l’Amérique au travers du cinéma ; je ne cherche pas à suggérer, encore moins à réduire une œuvre à une lecture sociologique ou historique, quelle qu’elle soit. Dans le livret et la partition, le comte de Warwick est un caractère transposé et construit à partir d’un personnage historique ; dans le spectacle, Riccardo Warwick est une figure fictive, irriguée par des réminiscences et des références, rien de plus.

Philippe Sireuil

L’extravagance du mélange des genres, aussi bien dans la dramaturgie que dans la composition musicale, semble faire de cette intrigue un pur simulacre ; en tenez-vous compte ?
J’essaie de trouver un fil rouge qui permette de réunir le caractère composite du livret et de la musique dans un ensemble esthétique, où les différents genres se côtoient sans qu’on ait l’impression que le vêtement scénique avec lequel nous habillons l’œuvre craque aux coutures, ou que le patron qui nous a servi de modèle ait été trop vite griffonné… On voit bien, par exemple, que Verdi ne prend pas au sérieux la conspiration, et encore moins les conspirateurs, comment il lorgne du côté d’Offenbach, comment il cède lui-même aux conventions de son époque - qu’il critique par ailleurs.

Au-delà de l’intrigue de façade, quel est pour vous le propos profond du drame ?
La contradiction entre le politique et le sentiment, le tragique et la légèreté, la posture publique et le comportement privé.

Quels sont les atouts de votre distribution ?
Je ne connais pas la distribution, n’ayant pas participé à son élaboration. Comme c’est souvent le cas dans les maisons d’opéra, le choix du metteur en scène n’est pas l’élément moteur d’un projet, mais d’abord l’œuvre, le chanteur ou le directeur musical. On ne peut mettre en scène à l’opéra que si l’on fait sien l’aphorisme de Gide selon lequel « l’art naît de la contrainte ». J’espère que la distribution réunie à Lausanne sera sans apriorismes, réceptive, partie prenante, partenaire à part entière, et peu soumise à la tradition paresseuse.

Propos recueillis par Anouk Molendijk

« Un ballo in maschera » de Giuseppe Verdi, direction par Stefano Ranzani, mise en scène par Philippe Sireuil, avec Romano Aronica, Adriana Damato, George Petean, Mariana Pentcheva... A l’Opéra de Lausanne les 29 octobre, 31 octobre, 3 novembre. Informations et réservations sur : www.opera-lausanne.ch et 021.310.16.16.