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Au Grand Théâtre de Genève
Entretien : Patrizia Ciofi

Quelques questions à Patrizia Ciofi sur sa carrière, et ses choix de rôles.

Article mis en ligne le mai 2007
dernière modification le 18 juin 2007

par François JESTIN

La soprano italienne a effectué à Avignon, en février 2007, sa prise de rôle dans les Pêcheurs de Perles, de Bizet, puis a repris Lucia di Lammermoor à Marseille en avril avant d’être Norina au Grand Théâtre au mois de mai
C’est à Pesaro, en août 2006, qu’elle nous a accordé cette interview.

C’est votre prise de rôle dans Adelaide di Borgogna ; chanter un opéra pour la première fois, cela s’accompagne-t-il d’un stress particulier ou d’un plaisir supplémentaire ?
Je dirais les deux en même temps : le plaisir de découvrir une nouveauté, de se remettre en question. Mais le stress est important, et particulièrement pour les œuvres données en version de concert, comme cette Adelaide à Pesaro, pour laquelle les répétitions ont été peu nombreuses. Je crois que le stress existe dans toute prise de rôle : on ne sait jamais ce qui peut arriver, et l’inconnu est par définition imprévisible, mais ces défis me plaisent, et j’accepte le stress qui les accompagne !

Votre discographie et vos prises de rôles montrent un équilibre entre partitions connues (Lucia, Traviata, …) et œuvres plus rares et à découvrir. Etes-vous curieuse, et avez-vous la volonté d’élargir le répertoire ?
Oui, absolument ! En fait, les opportunités surviennent un peu par hasard, comme dans la vie courante, mais nous décidons finalement nous-mêmes quel sera le cours des choses. A chaque proposition d’une œuvre nouvelle, plus exactement jamais exécutée à notre époque moderne, en particulier au festival de Martina Franca, j’ai toujours éprouvé une grande joie. La fréquentation du grand répertoire amène à la longue une certaine fatigue, une usure au niveau de l’interprétation : on attend du chanteur des effets prédéterminés, déjà connus, et le public est toujours juge et ne peut s’empêcher de faire des comparaisons. Ceci génère chez moi un niveau de stress psychologique parfois assez difficile à supporter. En conséquence, pouvoir alterner le grand répertoire – qui m’a apporté de très grandes joies ! – avec des œuvres nouvelles, dans lesquelles je suis la première interprète, où je peux créer de la nouveauté, est un équilibre très enrichissant pour moi, et me rend libre. Libre de donner le meilleur de moi-même, et m’amène aussi la stimulation pour poursuivre ma carrière.

Patrizia Ciofi (adelaide) © Amati Bacciardi

Vous équilibrez également vos fréquentations de rôles comiques et tragiques. Avez-vous une préférence ?
L’équilibre entre buffo et serio rejoint la question précédente : c’est pour moi une exigence, un répertoire enrichit et complète l’autre. J’aime beaucoup le théâtre, et ai vraiment besoin des deux parties, comique et dramatique tour à tour, pour pouvoir m’exprimer. Du point de vue vocal également, j’essaie d’alterner des choses diverses, afin que ma voix ne s’arrête pas à une certaine tessiture ou vocalità, mais qu’elle s’enrichisse, et devienne en somme plus élastique. Ceci permet, aussi bien mentalement que physiquement, de rester éveillé et tonique. Je dis toujours qu’après une période d’opéras dramatiques, lourdement chargés du point de vue de l’émotion, il est important de s’alléger dans un buffo, un peu comme un sportif décharge son énergie. Le répertoire dramatique implique un don de soi certainement plus important, et la légèreté intérieure du buffo aide à retrouver l’équilibre

Vous avez proposé Lucia di Lammermoor cet été à Orange. Chanter au Théâtre antique était un défi, un problème pour le volume de la voix ?
Mis à part quelques rares concerts et le festival de Martina Franca, qui se déroule dans une cour intérieure fermée, de dimensions modestes, je n’avais jamais chanté à l’extérieur. J’avoue avoir pris un peu peur en écoutant quelques personnes me dire que la voix ne s’entend pas à Orange lorsque le mistral souffle. Mais j’ai fait confiance aux personnes qui m’ont offert cette Lucia, et qui me connaissent bien, comme M. Duffaut à Avignon, qui m’a dit : « Tranquillise-toi, ce lieu est fait pour toi ! ». Psychologiquement, l’impact est très fort, au premier contact l’immensité du lieu m’est tombée dessus. Il est nécessaire au début de pousser un peu la voix, car nous avons un retour très faible : je ne m’entendais pas chanter, comme dans un théâtre fermé. Et puis, j’ai pris conscience de ce que les autres me disaient : la voix s’entend sans problème dans tout le théâtre. Je crois que ce fut une belle expérience, dans une ambiance de travail très agréable.

A propos de Lucia, vous avez fréquenté également la Lucie de Lammermoor à Martina Franca, Lyon, Paris ; est-il difficile de bien séparer et ne pas mélanger les deux partitions ?
D’un côté, ce sont deux opéras qui se ressemblent, mais d’un autre côté, ils ne se ressemblent pas du tout. J’ai vu Lucie comme un opéra différent, j’ai tout de suite senti une atmosphère différente, peut-être grâce au changement de l’air du 1er acte. La Lucie est plus éthérée, plus délicate, je dis souvent plus française. On respire une atmosphère de grand opéra français, pleine de couleurs, de nuances, de sfumature. Le sang, qui est présent dès l’air d’entrée de la Lucia italienne, donne une clé de lecture plus pesante. Les tonalités sont différentes dans la Lucie, plus aiguë dans l’air de la folie, le duo avec Enrico, tout devient plus « léger », même si l’argument reste le même.

Vous êtes très demandée par les plus grandes scènes internationales, et vous enchaînez les rôles à un rythme soutenu. Trouvez-vous toujours le temps de bien vous préparer, et de reposer la voix ?
Oui, Il faut du temps pour reposer la voix. J’ai beaucoup de chance : je suis très rapide pour l’apprentissage des rôles, des nouvelles partitions. Je réussis à gérer ma fatigue : entre une production qui se termine et l’étude du spectacle suivant, j’observe une période de silence. Mon étude est d’abord mentale, non vocale, pendant un temps relativement important, soit une ou deux semaines. Je ne ressens d’ailleurs pas le besoin physique de chanter, de vocaliser, je sens que le silence est la chose qui m’aide le plus à récupérer. Puis à l’occasion du montage d’une production, je profite des répétitions de mise en scène pour me mettre petit à petit le rôle dans la gorge, sans trop chanter. Je ne commence à chanter réellement qu’à l’arrivée de l’orchestre, sinon je ressens une fatigue inutile. J’arrive aussi à me reposer, je ne suis pas une chanteuse qui enchaîne trois rôles en une semaine, je fais mon métier avec sérieux, avec en général 20 jours ou un mois de répétitions, et j’y trouve aussi mon équilibre.

Les Contes d’Hoffmann, Benvenuto Cellini, Robert le Diable : avez-vous un goût particulier pour l’opéra français ?
J’ai toujours aimé le répertoire français, peut-être de par ma sensibilité personnelle. Evidemment au début, la langue est une difficulté. Mais avec la bonne clé de lecture dans ma propre vocalità, je trouve que c’est un répertoire très proche de ma sensibilité et ma personnalité. J’aimerais en faire beaucoup plus, et j’ai quelques projets dans les prochaines années, comme Les Pêcheurs de Perles à Avignon (voir compte-rendu dans Scènes Magazine no 194, avril 2007), puis une Manon de Massenet. Dès que je sens une possibilité d’un projet dans une maison d’opéra, je n’hésite pas à lancer l’idée.

Pas de problèmes avec les metteurs en scène ?
Je suis très disponible, j’aime le théâtre et me renouveler, découvrir des choses neuves. Evidemment, il faut une idée intelligente, car s’il s’agit d’une chose juste pour elle-même, cela ne m’intéresse pas. Il faut une logique, une idée d’un personnage qui a une pensée réelle, dans un contexte, une épaisseur psychologique. Cela m’aide aussi pour le chant, pour l’expression à produire.

Vous semblez toujours disponible, souriante, loin du star system
Je ne me sens pas une star, je suis une personne qui fait son travail, parfois bien, parfois un peu moins bien, qui suis parfois très appréciée, parfois moins. Je ne me sens pas du tout dans le star system, car peut-être que je ne veux pas rentrer moi-même dans ce mécanisme. Vivre simplement est la règle. Mais j’aime aussi connaître les personnes qui sont en face, qui m’accueillent, il est important pour moi d’avoir un contact. Je fais justement ce travail en essayant d’établir un contact, de communiquer quelque chose à celui qui est assis devant moi, qui a payé son billet, qui recherche souvent une émotion. La musique est faite pour cela, et la voix humaine en particulier est l’instrument qui peut toucher le mieux le cœur et l’âme. Je m’efforce de communiquer avec ce moyen, et il me plaît de recevoir les gens après le spectacle, qui m’expriment de l’affection ; cela me touche beaucoup, parce que je trouve que cette chaleur est la partie la plus belle de ce métier. Nous faisons le théâtre tous ensemble. Chaque soir, quand le théâtre se remplit de spectateurs, je ressens une magie qui s’allume, je ressens une union, j’ai la sensation que nous faisons revivre tous ensemble quelque chose d’important.

Votre mari Luciano Acocella est chef d’orchestre. Cherchez-vous à travaillez ensemble ? Arrivez-vous à maintenir l’équilibre avec la vie privée ?
De temps en temps, cela fait plaisir de travailler ensemble, mais pas trop souvent ! Ce n’est pas notre objectif. Je crois que, comme dans toutes les professions, on peut en arriver à se disputer en travaillant trop ensemble. Il y a un stress dans ce travail, qu’un individu peut essayer de décharger sur l’autre.
Nous sommes mariés depuis un an, et nous nous sommes rencontrés déjà adultes, chacun inséré dans sa propre vie professionnelle. Pour l’équilibre avec la vie privée, on doit parfois faire des choix : si j’ai envie de rester avec mon mari, et si je ne trouve pas d’intérêt artistique particulier dans une proposition, alors je peux décider de rester à la maison. Je suis aujourd’hui celle qui travaille le plus dans le couple, mais j’espère que dans quelques temps Luciano travaillera encore plus, et que je pourrai moi aussi trouver du temps libre pour le suivre. C’est une question d’équilibre : quand il est libre, il peut choisir de me suivre. L’important est que l’esprit de notre couple ne change pas, que l’envie de rester ensemble soit la même.

Vous ne chantez pas beaucoup en Italie ...
Non, peu à l’heure actuelle ; il y a quelques années, je chantais beaucoup plus en Italie. Puis quand on commence à chanter à l’étranger, la programmation des scènes italiennes devient problématique, car les contrats sont proposés très tard, quand tous les chanteurs sont déjà engagés ailleurs. Toutefois, un rythme de une ou deux productions par an en Italie me plairait. Mais mon travail à court et moyen termes sera en majorité en France, Espagne, Allemagne (Berlin, Munich), à Vienne, en Amérique, au Japon.

Un projet, un auteur, un opéra particulier ?
Mis à part l’opéra français, j’aimerais faire plus de Bellini. J’ai chanté une seule fois I Capuleti, I Puritani, et j’aimerais les reprendre, à l’étranger éventuellement.

Propos recueillis par François Jestin

Patrizia Ciofi sera Norina dans Don Pasquale, au Grand Théâtre de Genève, les 22 24 26 30 mai à 20h00, 28 mai à 17h00 et 1er juin à 20h00 (loc. 022 418 31 30)