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A l’opéra de Lausanne
Entretien : Omar Porras

Omar Porras évoque sa mise en scène du “Barbier de Séville“.

Article mis en ligne le mars 2007
dernière modification le 19 juin 2007

par Jérôme ZANETTA

Les 2, 4, 7, 9, 11 mars sur la scène lyrique lausannoise, Omar Porras donnera à voir la musique truculente de Giovanni Paisiello dans le fameux Barbier de Séville qui rivalise sans peine avec celui de Rossini. Artiste aux rythmes scéniques endiablés, Porras se sent particulièrement à l’aise quand il évolue au sein de cet art total qu’est l’opéra. Avec lui, l’œil écoute ! Entretien.

Pour un artiste naturellement porté vers un théâtre très musical et spectaculaire, la mise en scène d’opéra s’est-elle imposée de façon évidente ?
O.M. : Oui, mais, en même temps, j’y suis venu assez tard, puisque ma véritable première expérience en la matière a été la mise en scène de L’Elixir d’amour de Donizetti en décembre 2005 à l’Opéra National de Nancy. Mais je dois dire que l’opéra a toujours fait partie de ma vie et que mes mises en scène ne cessent de s’en inspirer. J’aime cultiver cette relation quasi organique avec le spectateur qui passe par le travail de la scène, avec les comédiens, la parole, l’image et surtout avec la musique. Mais, à vrai dire, les véritables propositions à l’opéra se sont faites rares pendant longtemps ; et puis, lorsque mes mises en scènes ont commencé à voyager, certains directeurs d’opéras à l’étranger m’ont fait des clins d’œil quant à d’éventuels projets, mais qui, faute de temps, n’avaient pas pu voir le jour.
Depuis, la possibilité m’a été donnée de m’exprimer très librement avec L’Elixir d’amour à Nancy et j’ai pu investir cette musique et ce livret comme je l’entendais. Comme souvent, il s’agit d’une histoire de rencontres avec une équipe, avec un compositeur et avec une musique.

Est-ce la définition de l’opéra comme art total qui vous séduit lorsque vous le mettez en scène ?
Il y a effectivement un assemblage mystérieux dans l’opéra qui me séduit beaucoup, mais c’est avant tout l’impulsion musicale qui me ravit à chaque fois et avec laquelle j’ai besoin d’en découdre. D’ailleurs, si j’aime lire une partition musicale plus que son livret, c’est que même lorsque je prépare une pièce de théâtre avec son texte, je le fais toujours d’une manière très musicale et presque rythmique. Si vous consultez mes carnets de notes au moment de la mise scène, vous y trouverez toujours des références musicales qui viennent ponctuer la plupart des scènes. Musiques du monde, jazz, musique symphonique ou lyrique. On se souvient du cinquième acte du Quichotte, il y a de nombreuses allusions au Don Giovanni de Mozart, ainsi que des éléments de La Flûte enchantée.

A l’opéra, la musique vous inspire-t-elle votre vision de la mise en scène ?
Oui, certainement, et même elle évoque des couleurs, des sentiments ou des caractères qui nourrissent mon imaginaire et me permettent de dépayser plus facilement l’œuvre, de la sortir des tendances habituelles de la mise en scène en prenant la musique comme guide. Dans le cas du Barbier de Séville de Paisiello, il y a cette impulsion formidable de l’ouverture qui laisse présager de grands moments de musique.

Comment est né le projet de monter Le Barbier de Paisiello ?
Par le biais du Théâtre de la Monnaie à Bruxelles. Son directeur m’a proposé de monter cette œuvre dont je ne connaissais alors que quelques airs. Mais lors de ma première écoute intégrale, j’ai immédiatement compris qu’il s’agissait d’une musique exceptionnelle dotée d’une qualité d’émotion remarquable. De plus, il s’agit d’une vraie pièce de théâtre dans son écriture, d’un théâtre musical et chanté où je retrouve modernité et tradition du théâtre italien. J’ai alors également compris que cette œuvre était particulièrement en adéquation avec mon type de travail et que je ne pouvais donc pas refuser semblable opportunité.
Quant aux chanteurs choisis pour la distribution, ce sont des artistes exigeants et qui ont une approche de l’opéra qui ne peut être dissociée d’une approche théâtrale. Ce sont de vrais acteurs qui échappent à toutes les formes de hiératisme lyrique et font preuve d’une grande flexibilité d’évolution sur le plateau. Par conséquent, toutes les conditions étaient réunies pour me convaincre définitivement. Aujourd’hui, je suis très heureux de l’échange que j’ai eu avec ces chanteurs qui m’ont beaucoup apporté sur le plan musical et à qui j’ai tenté de communiquer mon expérience du théâtre déjà marqué par un univers musical permanent.

Comment cela se traduit-il dans votre conception du Barbier de Séville ? Avez-vous choisi de jouer avec des masques comme vous le faites si souvent ?
À chaque fois qu’il y a un changement de décor ou de tableau, cela se passe en musique, en cadences. De même, lorsque les comédiens se déplacent, jouent d’un regard, s’arrêtent, tout est musique. Quant aux masques, peut-être justement parce qu’on attendait trop ces masques liés à la commedia dell’arte, nous avons pris le parti de travailler seulement avec des postiches. Et quand on me demande si je suis resté fidèle à l’époque du récit de Beaumarchais, je réponds encore que je ne suis resté fidèle qu’à la musique de Paisiello. Un auteur ne nous transporte pas dans une époque pour que nous restions derrière des barreaux, mais afin que soyons au plus près de la géographie de son imaginaire ; et cet imaginaire, à son tour, ne peut pas exister sans la musique, un espace intemporel et toujours en mouvement qui est l’âme de l’esprit.

Aujourd’hui, vous posez-vous la question de savoir où vous vous réaliser le mieux : dans le théâtre ou dans l’opéra ?
Je ne peux pas les dissocier, même si au théâtre je travaille de manière plus intense encore afin de trouver le bon rythme et la musicalité de l’ensemble, alors qu’à l’opéra, je connais déjà le rythme et la musique et je peux me concentrer sur d’autres aspects plus purement scéniques.

D’ailleurs, vous préparez dans le même temps une mise en scène de M. Puntila et son valet Matti de Brecht à Vidy, votre Pedro et le Commandeur fait un triomphe à la Comédie française, nous allons bientôt entendre votre Paisiello à Lausanne, bref, vous aimez toujours travailler de façon à enchaîner les projets afin de ne jamais vous figer, d’être toujours en mouvement ?
Oui, c’est cela, j’ai une chance énorme actuellement de pouvoir travailler de cette façon-là et j’ai encore une opportunité future pour une Flûte enchantée ! Tous ces projets me nourrissent et me rendent plus fort, mais ils ne font jamais oublier que depuis 17 ans maintenant je travaille à développer la troupe du Teatro Malandro, une équipe solidaire et passionnée qui cherche encore une certaine stabilité, mais dont l’envie est intacte et dont vous n’avez pas fini d’entendre parler.

Propos recueillis par Jérôme Zanetta

Les 2, 4, 7, 9, 11 mars : Il Barbiere di Siviglia de Paisiello. OCL, dir. Emmanuel Joel, m.e.s. Omar Porras. Théâtre Municipal à 20h, di à 17
loc. 021/310.16.00