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Rencontre à Paris
Entretien : Mireille Delunsch

Rencontre avec une cantatrice talentueuse qui n’a pas cessé d’explorer de nouveaux horizons.

Article mis en ligne le mars 2010
dernière modification le 23 mars 2010

par Christophe IMPERIALI

Le nouveau disque de Mireille Delunsch est encore tout chaud sur les étals des disquaires. Il est entièrement consacré à des mélodies de Fauré, avec, en particulier deux beaux cycles sur des poèmes de Charles van Lerberghe : La Chanson d’Eve et Le Jardin clos.
En décembre, à quelques semaines de la parution de ce disque, nous avons rencontré Mireille Delunsch à l’occasion de la reprise parisienne d’un spectacle que les mélomanes genevois ont sans doute encore en mémoire : Platée de Rameau, dirigée par Marc Minkowski et mise en scène par Laurent Pelly.

Eloge de la générosité
Dans les coulisses de l’Opéra Garnier, c’est l’heure d’effervescence. Quelques étranges batraciens sautillent dans les couloirs tandis que l’on entend de lointaines vocalises : le spectacle se prépare – et quel spectacle ! Platée, créé il y a dix ans dans ces lieux, repris la même année à Genève, et immortalisé par un DVD. Platée, cet extraordinaire feu d’artifice où, sous la houlette de la Folie, les dieux de l’Olympe se mêlent au peuple croassant des marais, au rythme de l’une des plus excitantes partitions de Rameau. La Folie, dans sa robe faite de partitions, c’était Mireille Delunsch, stupéfiante dans ce rôle, qu’elle reprenait aujourd’hui avec un bonheur non dissimulé :
«  De tous les spectacles auxquels j’ai participé, c’est probablement celui que je préfère. Il est absolument jubilatoire, et surtout il est réussi sur tous les plans. C’est très rare de trouver une si parfaite cohérence entre tous les aspects d’une production : la mise en scène, les décors, les costumes, la chorégraphie, la musique, le théâtre... Si on fait de l’opéra (et c’est valable pour tous les corps de métier), c’est parce qu’on aime les arts voisins ; on a tous le fantasme de l’art total, même si c’est une utopie. A mon sens Platée est un exemple de la possibilité de réussir cette communion des arts. Quand je me souviens d’il y a dix ans, de la création, il y avait une espèce de bouillon de culture, parce que Marc Minkowski s’occupait de théâtre, Laurent Pelly s’occupait de musique, [la chorégraphe] Laura Scozzi s’occupait de théâtre aussi, et c’était joyeux ; chacun marchait sur les plates-bandes des autres et on arrivait à s’entendre et à créer quelque chose de tout à fait original – ce qui correspond parfaitement à cette œuvre, qui est une espère d’opéra extra-terrestre sans équivalent, une réussite absolue ! »

Mireille Delunsch (La Folie) dans « Platée » en avril 2006
Crédit : Opéra national de Paris/ E. Mahoudeau

Retour euphorique à d’anciennes amours, donc, pour une cantatrice qui n’a pas cessé d’explorer de nouveaux horizons et qui continue d’élargir un répertoire pourtant déjà exceptionnellement large (de Monteverdi à Eötvös, en passant, entre autres, par Lully, Haendel, Gluck, Mozart, Berlioz, Wagner, Verdi, Offenbach, Debussy, Poulenc, R. Strauss, Britten, Varèse, etc.). Après avoir défrayé la chronique en ajoutant à son répertoire des rôles dans lesquels on ne l’attendait pas, a priori, comme Violetta (La Traviata) ou, plus récemment, Elsa (Lohengrin), elle a également été très active dans la création contemporaine en participant tout récemment à trois créations mondiales (La Lumière Antigone de Pierre Bartholomée à Bruxelles, Lady Sarashina de Peter Eötvös à Lyon, et Yvonne, princesse de Bourgogne de Philippe Boesmans à Paris).
«  J’ai fait des rencontres étonnantes : par exemple, j’ai rencontré Henri Bauchau, l’année dernière, à l’occasion de la création de l’Antigone de Pierre Bartholomée, dont il a écrit le livret ; ça a été extrêmement émouvant. C’est un écrivain que je trouve absolument merveilleux ; j’avais découvert ses romans bien avant qu’il soit question de cet opéra. C’était formidable d’avoir ses mots dans la bouche, de pouvoir chanter ses mots. Il y a eu aussi l’opéra de Eötvös, Lady Sarashina, à Lyon. C’est pareil : être dirigée par un compositeur, c’est quelque chose de rarissime, et c’est une expérience mémorable.
Je suis toujours un peu comme un enfant ; je crois que je ne suis pas du tout blasée, et que je ne le serai jamais. Ce qui me transporte, dans ce métier, ce sont les rencontres et la façon dont chacun est artiste à sa manière. On arrive tous avec nos bagages, nos vies, et on rencontre un metteur en scène qu’on ne connaît pas, qui a lui-même sa propre vie, voire ses propres manies, et quelque chose naît de cette rencontre, qui est éphémère et qui va s’évanouir comme un parfum : ça va partir dans l’air et ça laissera seulement une trace dans l’esprit, un souvenir. Chaque fois ça me bouleverse. 
 »

Mais évidemment, la musique contemporaine engage un travail de mémorisation extrêmement exigeant, une “gymnastique du cerveau“ des plus astreignantes. Pour se reposer de ces trois créations successives, notre intarissable dévoreuse se met au tchèque, dans l’idée d’aborder enfin un compositeur qu’elle aime depuis longtemps : Leos Janácek (Jenufa, programmé ce printemps à l’opéra de Bordeaux).
«  Ça fait longtemps que j’y songeais. J’avais chanté Broucek, mais en français, quand j’étais bébé chanteuse. J’avais très envie d’y revenir, mais dans la langue originale. Maintenant, je suis en train de m’arracher les cheveux avec le tchèque, mais comme j’ai fait du russe, il y a des passerelles qui permettent de comprendre la syntaxe plus facilement que si on est complètement néophyte. Il faut comprendre chaque mot ; si je n’avais pas la certitude d’y arriver, je ne le ferais pas, parce que chanter dans une langue où on ne comprend rien, je ne veux pas le faire. Je pense que vocalement, Janácek est un compositeur qui me correspond très bien, et puis il écrit une musique très émouvante et construit des personnages magnifiques. Je me réjouis beaucoup.  »

Et nous donc ! Mais qu’en est-il du répertoire wagnérien ? D’autres rôles sont-ils prévus après l’Elsa parisienne et la Freia (dans L’Or du Rhin) d’Aix en Provence ?
«  Il n’y a pour l’instant rien de prévu, mais j’aimerais beaucoup. J’ai adoré mon expérience wagnérienne. Elsa, je referais ça tous les jours de ma vie. Je vibre profondément pour Wagner ; il n’y a aucune autre musique qui me fasse autant d’effet.  »

Mireille Delunsch

Pour triompher dans des répertoires aussi variés, pour parvenir à être toujours juste dans des styles aussi divers, deux mots-clefs : engagement et générosité.
«  On a chacun un rapport différent avec sa voix. Pour ma part, je considère que le travail de la voix est fait avant le spectacle ; ce n’est pas une fois que je suis devant le public que je vais travailler encore ma voix ou mon rôle. A ce moment-là, il faut accepter que tout ne soit pas parfait, parce que ça ne l’est jamais pour personne ; il faut lâcher la bride et laisser venir les sentiments. Certains sont tellement focalisés sur leur voix qu’ils ne pensent qu’à ça, mais moi, j’essaie toujours de laisser une place pour la connexion aux sentiments.

Mais surtout, j’essaie de faire mon métier de manière généreuse. Être généreuse par rapport aux metteurs en scène, d’abord : essayer vraiment de servir leur vision. Quand je ferai de la mise en scène, j’aurai mon propre univers et je serai artisan de ce que je donnerai à voir. Mais tant que je chante et que je suis sur scène, je ne peux pas avoir cette vision de l’ensemble, et j’estime que mon rôle est de faire jaillir les choses de l’intérieur ; c’est la seule manière d’être à la fois honnête et généreux envers un projet, et reconnaissant par rapport au public et à ce qu’est le monde de l’opéra.
  »

C’est donc qu’elle prévoit de se consacrer plus sérieusement à la mise en scène, après un premier essai à Bordeaux il y a deux ans (La Mort de Cléopâtre de Berlioz et La Voix humaine de Poulenc) ? Y a-t-il déjà des projets, des envies particulières ?
«  Je ne suis pas pressée. J’ai un projet dont je ne peux pas encore parler : c’est encore un peu trop secret. Mais à vrai dire, j’ai envie de tout monter. J’aime vraiment l’opéra dans son ensemble. Je trouve tellement émouvant de pouvoir, aujourd’hui, continuer à jouer des œuvres du passé. Si on ne monte pas les œuvres sur scène, avec orchestre, dans les vraies conditions, ce n’est qu’un tas de papier, dans les bibliothèques... Je me sens une grande responsabilité de porter des projets, par rapport aux difficultés qu’éprouve l’opéra aujourd’hui. L’opéra a trop de mal à vivre, trop de gens veulent le supprimer, pour des raisons évidemment financières, pour qu’on manque, nous, à notre rôle de générosité.  »
Merci !

Propos recueillis par Christophe Imperiali

Références du CD Fauré : « La Chanson d’Eve », op. 95 - « Le Jardin clos », op. 106 - « Poème d’un jour », op. 21... / Mireille Delunsch (soprano) - Marie-Josèphe Jude (piano) / Lyrinx LYR2257.