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Entretien : Laurent Pelly

Rencontre avec un metteur en scène très en vue.

Article mis en ligne le février 2011
dernière modification le 19 février 2011

par François LESUEUR

Laurent Pelly est devenu en une vingtaine d’années un metteur en scène incontournable, tant sur la scène française, qu’internationale. Le regard facétieux qu’il porte sur le monde se retrouve en alternance sur l’opéra et le théâtre qu’il ne cesse de relire de façon pétillante et poétique, utilisant l’humour et le second degré comme de véritables armes. Il sera très facile de découvrir ou de retrouver son travail cette saison de Paris, au Palais Garnier, à la Comédie Française et à l’Odéon (Giulio Cesare, L’opéra de quat’sous en avril, et Mille francs de récompense en mai), à Turin ou Londres. Rencontre.

Laurent Pelly, votre emploi du temps depuis la rentrée 2010 donne le vertige : Funérailles d’hiver au Rond Point, Mahagonny à Toulouse, reprise d’Ariadne auf Naxos à la Bastille, Giulio Cesare à Garnier, L’opéra de quat’sous à La Comédie française, Mille francs de récompense à l’Odéon, reprise de La Traviata à Turin et de Cendrillon au Covent Garden pour 2011, sans compter la direction du TNT, la création de la plupart des costumes de vos spectacles. Comment expliquez-vous cette frénésie de travail et quel est votre secret pour tenir ce rythme ?
Le secret : être curieux et s’amuser. Si je n’éprouvais pas de curiosité, je m’ennuierais. J’ai toujours soif de découvrir, d’explorer, de passer d’un univers à l’autre, d’un compositeur à un autre : c’est une des grandes chances de mon métier. J’ai toujours fait comme cela, car je suis passionné par les grandes œuvres du théâtre, de la littérature et de la musique pour lesquelles je me mets toujours au service. Je crois qu’il est impossible de faire le tour d’une œuvre, qu’il s’agisse de Giulio Cesare ou de Mille francs de récompense de Victor Hugo. Ce sont des gouffres que l’on tente d’explorer et ce travail m’anime intensément.

Laurent Pelly
© Ph. Emmanuel Grimault

Avant de pouvoir alterner opéra et théâtre, vous êtes venu à la scène par le théâtre, en créant votre propre compagnie, Le Pélican, à 18 ans. Vous souvenez-vous ce que vous aviez envie de dire, ou de revendiquer, par votre appartenance à un courant ou à une esthétique, à cette époque ?
Oh la la non, je n’ai jamais pensé de cette manière… j’ai toujours été passionné par la musique et le mélange des genres. Les influences que j’avais au tout début étaient plus cinématographiques que théâtrales. A l’origine il s’agissait davantage de porter un certain regard sur le monde, à la fois tendre et caustique, de rendre compte de ce qui m’entourait, du milieu dans lequel je vivais. Le point de départ est encore une fois le jeu : au théâtre, j’aime inventer des histoires et pouvoir les porter avec des personnages, des acteurs et des équipes.

Quels auteurs allez-vous mettre en avant pendant ces années et sur quels critères vont se définir vos choix ?
Agathe Mélinand, en tant que dramaturge, a très tôt collaboré à mes côtés sur la plupart de mes spectacles, comme certains acteurs avec qui je travaille depuis mes débuts ; je me suis rapidement intéressé au théâtre comique du 19ème, au vaudeville, en raison de la peinture acerbe de la société bourgeoise qui caractérise ce mouvement. J’ai monté Labiche, Feydeau, Becque et Monnier, avant d’aborder en toute logique Offenbach qui joue aussi sur l’alternance des registres, sur le chant et le jeu.

Vous êtes devenu très vite une sorte de super manager, en dirigeant des comédiens mais également des théâtres. D’où vous vient ce goût, cette faculté pour entraîner les autres dans une aventure collective ?
Je ne sais pas ? Très tôt mes parents m’ont amené au théâtre, ils étaient curieux et ouverts sur toutes les formes d’art et j’ai réalisé que la chose artistique était ce qu’il y avait de plus beau dans la vie. Le côté collectif fait partie de ma nature ; je travaille très instinctivement, choisi très rapidement et fait tout pour préserver le jeu. Je me souviens qu’à 13 ans je faisais du théâtre avec mes copains de lycée et ma sœur. Cela prenait tout mon temps libre, mais nous nous amusions beaucoup.


Comme Olivier Py ou Stéphane Braunschweig, vous avez su très tôt vous entourer de personnalités fidèles et talentueuses, je pense à votre dramaturge, à votre décoratrice Chantal Thomas, à votre éclairagiste Joël Adam, ou à votre chorégraphe Laura Scozzi, véritables compagnes de route. Comment expliquez-vous ce besoin de créer un cocon autour de vous ?
Je suis très sensible à la fidélité en amitié et dans le travail. Je possède aujourd’hui un noyau dur d’acteurs avec lequel je collabore souvent ; je choisi parfois des œuvres en fonction d’eux. Avant je travaillais beaucoup avec les mêmes chanteurs un peu par hasard, Dessay, Naouri, Beuron. Le cocon fait gagner du temps, permet d’engager la complicité dans la vision, l’humour, le style, le mouvement sur le plateau. Sur Mille francs de récompense que nous jouons depuis l’année dernière, nous avons travaillé très vite l’esthétique du spectacle, la position des corps dans l’espace, car nous sommes partis d’images et d’un passé commun. Mais attention j’aime aussi rencontrer de nouvelles personnalités.

« Giulio Cesare »
Photo de répétition avec Laurent Pelly

Alors que vous enchaînez le répertoire théâtral, l’opéra apparaît relativement tard dans votre carrière. Votre rencontre avec Marc Minkowski en 1997 est-elle à l’origine de cette nouvelle orientation ?
J’avais très envie de mettre de la musique en scène et le hasard a voulu qu’à l’époque Agathe soit directrice de communication du Centre de musique baroque de Versailles, où elle rencontra Marc, qu’elle s’empressa de me faire connaître. Nous avons d’emblée évoqué Platée, puis j’ai été nommé à Grenoble tout comme Marc. Nous devons pourtant notre première rencontre professionnelle à Jean-Pierre Brossmann qui nous a réunis pour Orphée aux Enfers à Lyon. Marc a eu la proposition de Platée à l’Opéra de Paris et a donné mon nom... Voilà.

On peut dire que depuis 1997 vous avez abordé tous les styles et tous les répertoires, de Rameau, à Poulenc en passant pas Puccini, Verdi, Debussy, Donizetti, Massenet, Prokofiev ou Humperdinck. Vous déterminez-vous par rapport au sujet de la pièce, de la musique, ou de l’auteur et pourquoi ?
La plupart du temps la musique est déterminante, car les sujets sont parfois mineurs (rires) ; cela peut être les chefs, ou un chanteur, comme pour La fille du régiment de Donizetti à laquelle tenait Natalie Dessay. Quand j’ai écouté l’œuvre je me suis demandé ce que j’allais bien pouvoir en faire. Il existe des compositeurs que je ne comprends pas, ou que je ne veux pas aborder, je refuse parfois des partitions dont la langue étrangère est un handicap, même s’il m’est arrivé d’accepter Bartok ou Janacek : j’aime m’appuyer sur les mots. Je n’aborderais pas Wagner, mais je me suis laissé tenter par Strauss, Humperdink et Weill avec Mahagonny, une œuvre que je connaissais très bien depuis l’âge de17 ans.

Par deux fois cette saison vous mettrez en scène Brecht et Weill, avec Mahagonny d’abord à Toulouse, puis L’opéra de quat’sous à la Comédie Française (1ère le 2 avril). Etait-ce un désir ancien de vous intéresser à cet auteur et à ces œuvres chantées, ou le hasard des propositions qui vous permet de l’approcher enfin ?
J’avais au préalable collaboré au spectacle de Laura Scozzi, Les 7 pêchés capitaux. J’ai une grande passion pour Weill, plus que pour Brecht, même si les deux ouvrages sont extraordinaires dramatiquement, Mahagonny l’est plus que L’opéra de quat’ sous qui reste léger idéologiquement et demeure une adaptation de L’opéra des gueux. Mahagonny est davantage subversif, fou au niveau de la forme et fort dans le fond.

« Giulio Cesare » avec, à gauche, Lawrence Zazzo (Giulio Cesare) ; à droite : Natalie Dessay (Cleopatra)
Mise en scène et costumes de Laurent Pelly. Crédit : Agathe Poupeney / Opéra national de Paris

Nouveau venu dans votre carrière, Haendel à Garnier en janvier, avec Giulio Cesare. Là encore il va vous falloir jouer avec les conventions du genre, un certain statisme, de longs airs avec da capo. Comment allez-vous traiter cette œuvre politico-amoureuse ?
Le télescopage du temps m’intéresse particulièrement dans cet opéra écrit au 18ème et qui parle de l’antiquité. Nous avons pensé Agathe et moi à la façon dont l’antiquité était représentée et comment nous pouvions voyager entre réalité historique et fantaisie absolue. Tout le travail que nous avons élaboré doit permettre de jouer avec la vraie antiquité archéologique, le traitement qui a pu en être fait au 18ème et aujourd’hui, le tout étant réuni dans un même espace, une réserve de musée géante. A cela s’ajoute la vérité contemporaine, à savoir la vie d’un musée de nos jours. La forme musicale de Haendel est très contraignante, mais de la contrainte nait souvent les idées et il convient de trouver pourquoi les personnages répètent les choses de la même manière, travailler sur la forme et inventer du théâtre dans la forme.

Si au théâtre, vos comédiens trouvent naturel de jouer, d’interpréter, les chanteurs avec lesquels vous travaillez ne tarissent pas d’éloge votre capacité à les diriger en faisant passer le théâtre à travers la musique. Comment l’expliquez-vous ?
Je suis extrêmement admiratif et respectueux du travail effectué par les chanteurs. Je travaille à leur côté, dans la complicité, pour construire avec eux les personnages et raconter des histoires. A l’opéra on dessine la mise en scène bien avant la répétition, mais je n’impose jamais rien aux interprètes, je suis là pour les aider à chanter et la matière théâtrale, le jeu les aide : plus le chanteur est conscient de ce qu’il fait sur le plateau, plus il est crédible.

Vous travaillerez cette saison successivement à Toulouse, au Rond Point, à La Bastille, puis à Garnier, à La comédie française, à l’Odéon, au Regio di Torino et au Covent Garden, de grandes institutions au fonctionnement malgré tout humain. Y travaillez-vous mieux qu’en Autriche où règnent encore le système des troupes et où la qualité du spectacle passe après la musique ?
J’ai eu beaucoup de difficultés au Staatsoper de Vienne, où le théâtre passe en second plan, mais c’était il y a cinq ans, les choses ont du changer : les vrais théâtres de répertoire sont plus faciles. Au Met les répétitions ont lieu chaque matin de 10 à 14 heures et le soir il y a représentation, mais on travaille différemment. J’aime aussi le Covent Garden où l’on ne se dit jamais que les gens sont à l’usine.

« Ariane à Naxos » en décembre 2010 à l’Opéra de Paris.
Mise en scène et costumes de Laurent Pelly. Crédit : Julien Benhamou / Opéra national de Paris

Cette saison votre goût pour l’exploration sera servi puisque vous passerez des Funérailles d’hiver d’Hanok Levin, à Mille francs de récompense d’Hugo au théâtre. Pourquoi aimez-vous davantage vous attaquer à des œuvres peu connues : Molière ou Tchekhov ne vous inspirent pas ?
Tchekhov ça m’étonnerait, Molière ? j’ai déjà mis en scène Tartuffe. Je viendrai sans doute aux œuvres dites "du répertoire", mais en même temps j’ai l’habitude de monter certains textes peu ou mal connus comme Le menteur de Goldoni et aujourd’hui Hugo. J’aime Tchekhov mais que vais-je pouvoir encore apporter ? C’est toujours l’esprit de curiosité, d’exploration qui me guide. Je reviendrai à Shakespeare sans doute avec Antoine et Cléopâtre ou Macbeth.

Vous êtes l’un des rares metteurs en scène et directeurs de votre génération à ne jamais avoir été installé dans la capitale. Que vous appris la vie culturelle en région et quelle différences majeures avez-vous ressentie ?
A Toulouse, j’apprécie beaucoup les rapports développés avec le public : les liens sont étroits, nous connaissons ses attentes, savons d’où il vient, essayons de le comprendre en utilisant cette proximité. Et puis les rivalités sont moins marquées, l’offre est moins importante qu’à Paris, nous pouvons raconter une histoire. Les autres lieux étaient différents, à Grenoble j’étais directeur de la structure dramatique mais ne faisais pas de programmation, tandis qu’à Toulouse Agathe et moi sommes responsables de toute la maison.

Propos recueillis par François Lesueur