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Entretien : Krzysztof Warlikowski
Article mis en ligne le juillet 2007
dernière modification le 20 juillet 2007

par François LESUEUR

Ecorché vif, volontiers provocateur, exalté parfois, Krzysztof Warlikowski est un artiste rebelle, comme on n’en fait plus. Recherché pour ses lectures radicales, il s’exprime aujourd’hui au théâtre et à l’opéra. Après Paris où il présentait L’affaire Makropoulos de Janacek à la Bastille, il sera à Avignon cet été avec Angels in America de Tony Kuschner. Rencontre.

Vous êtes connu pour votre côté provocateur et l’on sent chez vous que cet état n’est pas nouveau. Le refus, le fait de vous opposer a-t-il été nécessaire à votre travail ?
Je suis convaincu qu’au théâtre, il faut déranger les spectateurs, les sortir de la routine pour les confronter à autre chose que ce à quoi ils s’attendent : nous sommes là pour les secouer. Les hommes, à la différence des animaux, peuvent se rassembler, se retrouver autour de l’opéra, du théâtre, des musées. Mais pourquoi cette convention existe-t-elle ? D’où vient ce phénomène ? Je refuse en tout cas d’appliquer la définition anglaise d’entertainment au théâtre : pour moi c’est autre chose.

Qu’êtes-vous venu chercher à Paris et à Londres ?
Je suis né dans une sorte de no man’s land, une ville qui n’est devenue polonaise qu’après la seconde guerre, où il n’y avait pas de route, pas de racine. Nous étions sur un continent à part et recherchions une stabilité. C’est étrange, mais quand je suis en Amérique, je regarde toujours vers l’Europe, comme si mes origines s’y trouvaient. Ce besoin de voyage s’est manifesté très tôt, je cherchais un passé, une civilisation, une culture surtout. J’ai souhaité m’enraciner quelque part en France, plus tard à Cracovie, où j’ai fait mes études.

Votre première expérience scénique date de 1995, il s’agissait de Roberto Zucco de Koltès, suivi de Purifiés de Sarah Kane. Qu’est-ce qui vous a poussé vers ces auteurs vivants, réputés sulfureux ?
Koltès est le premier auteur qui m’ait rapproché de moi-même. J’avais trente ans, je cherchais à me comprendre et grâce à lui, j’ai trouvé nombre d’analogies entre son parcours et le mien. Il parlait de son existence difficile et cela résonnait en moi, nous parlions la même langue. Il m’était possible de travailler avec mes limites, mes souffrances, ma peur. Il ne s’agissait plus d’un metteur en scène qui fait du théâtre, mais d’une expérience proche de l’analyse. L’univers de Sarah Kane me correspondait aussi. Depuis ce temps j’essaie de trouver des textes dont je me sens proche. Il était important qu’ils soient vivants, cela dit, même avec les tragédies grecques j’ai toujours voulu sortir des conventions.

A Paris vous avez fréquenté le Théâtre des Bouffes du Nord et L’Odéon et assisté aux spectacles de Peter Brook et de Giorgio Strehler. Qu’en avez-vous retenu ?
C’était la première rencontre importante, après Cracovie où j’avais vu quelques grands metteurs en scènes polonais comme Wajda. A Paris, j’ai découvert un univers très formel, esthétisant, que j’absorbais, même si je ne savais pas encore précisément si je voulais exercer ou non ce métier. J’étais plutôt perdu et je me rendais au théâtre pour découvrir, apprendre, comprendre. Il fallait que je trouve où me situer par rapport aux autres, sans pour autant entrer en compétition. Au tout début je me souviens que je m’adressais aux comédiens comme un étranger qui n’est là que pour apporter une vue extérieure. Je me suis senti metteur en scène le jour où j’ai vu le public se lever et applaudir, considérant que mon langage était compréhensible. Je parlais de leurs problèmes, de la réalité et cela les avaient touché à un moment où la culture qui avait toujours été importante en Pologne, était à reconstruire. J’ai dû lutter pour reconquérir le public qui avait déserté les salles de spectacle après la chute du système. Il y avait un tel décalage entre le romantisme montré au théâtre et la vie quotidienne que j’y ai trouvé ma place.

Comment avez-vous abordé l’opéra ?
J’ai écouté l’opéra assez jeune ; à Paris j’assistais parfois à dix reprises du même spectacle sans savoir pourquoi. Puis à Varsovie on m’a confié des ouvrages lyriques et le passage du théâtre à l’opéra a été douloureux. Le plus grand choc a été ma première mise en scène de Don Carlo de Verdi : j’ai été bouleversé par la force d’un spectacle d’opéra, car les chanteurs qui s’étaient économisés pendant les répétitions ont chanté à pleine voix. Cela m’a ébloui, mais j’ai réalisé qu’il fallait être un génie pour réussir une mise en scène lyrique. Cela me motive, mais j’en sors souvent massacré avec le sentiment de ne pas être à la hauteur.

De quelle manière s’est déroulé votre travail sur L’affaire Makropoulos présenté à Paris en mai dernier ?
Le sujet de L’Affaire Makropoulos est fabuleux : l’immortalité, la jeunesse, la femme éternelle. J’ai beaucoup écouté l’œuvre et essayé de trouver en moi une traduction. Je suis arrivé à l’âge où l’on ressent avec acuité le passage de la jeunesse à la maturité, la perte de l’innocence, les premiers signes de vieillissement, autant d’éléments qui me font réfléchir. J’ai vécu des années difficiles pendant lesquelles mon corps n’a pas été ménagé et la vie a finalement pris le dessus. Vous savez, je m’insurge contre les traditions bourgeoises pratiquées à l’opéra au 19ème siècle et lutte contre les chanteurs qui arrivent sur scène pour incarner des rois ou des inquisiteurs et se sentent obligés de prendre des poses qui n’ont rien de naturel : ils ne font que perpétuer des clichés. Ce milieu est à mon avis insuffisamment ébranlé.

Vous serez à nouveau l’invité du festival d’Avignon cet été, avec une pièce de Tony Kuschner, Angels in America .
Je me suis beaucoup impliqué pendant les six mois de répétitions, vivant avec ces personnages qui souffrent, se mentent, se trahissent et cela a empiété sur ma vie. La scène où le pédé veut avouer à sa mère son homosexualité, me hantait longtemps après que je sois sorti du théâtre. Ce texte qui parle de Manhattan, des juifs, du milieu gay, de la société américaine n’a rien d’artificiel ; c’est la raison pour laquelle je cherche des œuvres qui me « parlent » et refuse le « répertoire ». Monter Le Misanthrope ne m’intéresse pas. Le public d’Avignon doit être à mon sens secoué par des artistes qui lui révèlent la misère du monde.

Vous qui aimez avoir des ennemis tels que la tradition, l’Eglise, le pouvoir politique, allez vous attaquer la saison prochaine, toujours à la Bastille, à Parsifal. Quels liens entretenez-vous avec Wagner ?
Des liens de Polonais (rires). Je ne sais pas encore de quelle manière je vais aborder cette œuvre ? Par son côté mystique, son aspect grand rituel religieux ? Tout ce que je sais c’est que cette rencontre me tente, même si je suis à l’avance déprimé par les conventions et la rigidité des codes qui accompagnent un tel titre.

N’êtes-vous tenté par le cinéma ?
En tant que spectateur, le cinéma m’intéresse plus que le théâtre. Un film comme L’enfant des frères Dardenne est selon moi plus important et plus utile que le fait de remonter Le Misanthrope à la Comédie Française : c’est un manque de responsabilité, un gaspillage d’argent public. Il faudrait prendre cet argent pour faire des films.

Propos recueillis par François Lesueur