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Grand Théâtre de Genève
Entretien : Joyce DiDonato

Joyce DiDonato sera Elena dans la production de La Donna del lago, donnée au Grand Théâtre en mai.

Article mis en ligne le mai 2010
dernière modification le 29 mai 2010

par Martine DURUZ

Après Marie Stuart, Sextus et Ariodante, la séduisante mezzo-soprano américaine sera de retour en mai au Grand Théâtre de Genève pour l’opera seria de Rossini, La Donna del lago. Pour connaître l’interminable liste de ses prestations, une seule solution : se référer à son site sur internet, car l’énumération de ses performances occuperait une bonne moitié de ce magazine et rappellerait le
catalogue des conquêtes de Don Giovanni.

D’autant plus si on y ajoutait un aperçu des critiques dithyrambiques qui suivent chacune de ses apparitions sur scène, à l’opéra, en concert ou en récital. C’est à se demander où les journalistes iront chercher à l’avenir de nouveaux adjectifs ou expressions valorisantes dignes de sa voix, de sa musicalité, de ses talents de comédienne. Même avec une jambe cassée, la cantatrice continue à ravir la cohorte de ses fans : un DVD Virgin Classics témoigne de ses exploits en chaise roulante dans Le Barbier de Séville en juillet 2009 à Londres. De plus, ses admirateurs ont la chance de pouvoir lire la prose intelligente et spirituelle que la cantatrice dispense généreusement sur son blog (yankeediva@aol.com)(!)
L’industrie du disque ne l’oublie pas non plus. A écouter absolument parmi ses derniers enregistrements : Furore, airs de Haendel, ébouriffants de virtuosité et saisissants d’émotion et les airs de Rossini (Colbran, la muse) tout aussi impressionnants, chez Virgin Classics. Bref, Joyce DiDonato est une star à l’américaine, avec paillettes et photos glamour, mais l’essentiel n’est pas là : il réside dans l’indubitable authenticité de son art et la démonstration de ses exceptionnelles qualités.
Joyce DiDonato a répondu à quelques questions de Scènes Magazine par courrier électronique. On verra que sa vie n’a pas été qu’un chemin parsemé de roses, ce qui lui ajoute un atout supplémentaire : une dimension humaine !

Joyce DiDonato
© Sheila Rock, courtesy of Virgin Classics

Quand et pourquoi avez-vous décidé d’embrasser une carrière lyrique ? Votre famille, vos professeurs ou certains modèles ont-ils eu une grande part dans cette décision ?
J.D : Ma vie a toujours été baignée dans la musique ; il m’est donc impossible de situer le moment où j’en suis tombée amoureuse. Ayant découvert la puissance et la magie du chant choral, j’ai commencé mes études universitaires avec la conviction que je deviendrais professeur de chant choral, mais tout a changé lorsque j’ai participé à une production de La Chauve-Souris. Je n’étais que choriste, mais j’ai eu la révélation de la merveilleuse alchimie qui pouvait naître de la combinaison de la grande musique et du théâtre. Alors que je luttais encore contre la tentation de poursuivre la carrière personnelle, prestigieuse et égocentrique d’une chanteuse d’opéra, au lieu de préférer la noble tâche de professeur, mon père me donna la clé qui me permettrait de poursuivre mes rêves : « Il y a plus d’une manière d’éduquer les gens, de les toucher et de communiquer avec eux, Joyce. » Je l’ai écouté et ne l’ai jamais regretté, gardant toujours à l’esprit cette vérité, comme une devise, dans ce monde de fous qu’est l’opéra.

Avez-vous eu des difficultés particulières, des doutes ?
Mes débuts ont été lents et incertains. Je n’étais considérée comme une star dans aucun domaine – une artiste sûre, oui – mais pas une star. Donc il m’a fallu beaucoup de courage et de détermination pour traverser ces premières années pénibles. Mes auditions ont souvent été sanctionnées par un “non“, par exemple, au cours de ma tournée européenne. J’ai essuyé un refus dans les douze premières villes, avant d’être enfin acceptée dans la treizième : c’était à l’Opéra de Paris, je ne me plains donc pas ! Jusqu’à ce jour, je semblais promise à une petite carrière nationale aux Etats-Unis. Au lieu de ça, grâce à ce “oui“ parisien pour une nouvelle production du Barbier de Séville, ma destinée a changé.

Joyce DiDonato (Elena) dans « La Donna del lago »
© GTG / Monika Rittershaus

Aviez-vous commencé par un autre instrument ?
J’ai commencé par le piano, j’en joue encore et j’adore ça. C’est un grand plaisir de pouvoir m’installer et déchiffrer seule les œuvres d’un compositeur, de converser avec lui, d’observer chaque détail d’écriture. Je trouve cela magique. La musique entendue par le compositeur il y a des siècles est en quelque sorte dépoussiérée et je lui insuffle une nouvelle vie pour tous ceux qui l’entendront aujourd’hui. Il y a un côté mystique dans ce processus ; cela me paraît miraculeux.

Vous qui êtes encensée dans le monde entier, pourriez-vous nous raconter un épisode où tout ne s’est pas passé comme vous le vouliez ?
Je devais faire mes débuts à Munich dans une production des Noces de Figaro, dont la distribution comprenait de nombreuses stars. La période de répétitions avait été tragiquement courte et avant d’avoir le temps de dire ouf, je me suis retrouvée devant le public pour ma première scène. J’avais demandé à Susanne, qui avait participé à de multiples représentations de cette même production, si Cherubin devait s’attendre habituellement à des applaudissements à la fin du premier air, ou non. Elle acquiesça énergiquement : «  Oh oui, il y a TOUJOURS des applaudissements à ce moment-là ! » Bon, c’étaient mes débuts, Chérubin était un rôle qui me convenait bien et j’étais prête pour une imminente explosion d’enthousiasme. J’ai sauté sur le coffre pour les dernières notes de mon air, brandissant le poing au paroxysme de l’exubérance, et …. Rien. Pas un bruit. Silence complet. Ce fut sans aucun doute l’une de mes pires expériences. Aujourd’hui encore je ne sais pas ce qui s’est passé. Je pensais avoir plutôt bien chanté – si cela n’avait pas été le cas, je l’admettrais volontiers – mais je pense que le courant n’a pas passé. Je crois que le public n’a simplement pas senti la connexion entre lui et moi à cette occasion. J’espère, lorsque je retournerai à Munich dans quelques années, après une longue absence, que les résidus de cet “apéritif“ auront disparu !

Joyce DiDonato (Elena) et Luciano Botelho (Uberto) dans « La Donna del lago »
© GTG / Monika Rittershaus

Y a-t-il des rôles que vous incarnez avec plus de plaisir que d’autres ? Quelle place occupe la Donna del lago, que vous chanterez pour la première fois à Genève et que vous reprendrez à Paris en juin avec Juan Diego Flores ?
Je n’ai pas vraiment de rôles favoris. Je suis constamment émerveillée par le privilège que nous avons dans ce métier d’être immergés quotidiennement dans les chefs-d’œuvre. Les œuvres de MAITRES. Je suis impatiente de revisiter les rôles que je n’ai chantés qu’une fois : Octavian, Komponist, Cendrillon, Sesto, Romeo entre autres. Cependant je suis absolument fascinée par la partition de La Donna del Lago. C’est le premier opéra dramatique de Rossini que j’aborde et je suis émerveillée par sa science de l’harmonie, de la structure et de la mélodie. C’est une œuvre stupéfiante et donc, pour l’instant, elle est ma préférée ! Je pense que mon évolution en tant qu’artiste m’a conduite à ce rôle juste au bon moment. J’étais au régime opéra bouffe de Rossini et je suis heureuse de faire un écart pour quelque chose de plus substantiel et d’une portée plus grande. Cette partition est très importante à plusieurs égards – il y a des choses que l’on ne trouve dans aucun autre opéra rossinien, et c’est pour moi une réelle découverte. De plus, compte tenu de la difficulté à trouver une distribution adéquate et à monter une production ayant des chances d’être un succès, cet opéra est rarement représenté. C’est une chance d’être engagée pour ce spectacle programmé à Genève, et de réaliser cette prise de rôle devant un public qui m’a toujours soutenue. Cela ne pouvait pas mieux tomber !

Propos recueillis et traduits par Martine Duruz