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Grand Théâtre de Genève
Entretien : José van Dam

José van Dam sera au Grand Théâtre en décembre, pour un récital, puis pour les représentations de La Veuve joyeuse.

Article mis en ligne le décembre 2010
dernière modification le 15 décembre 2011

par Eric POUSAZ

José van Dam est certainement le chanteur qui a été le plus souvent invité à se produire sur la scène du Grand Théâtre depuis sa réouverture. Il reviendra à nouveau sur la place Neuve en décembre, d’abord pour un récital de mélodies essentiellement françaises le 5 décembre, avant d’incarner le Baron Mirko Zeta lors des représentations de fin d’année de La Veuve joyeuse. Entretien.

En début de carrière, il a en effet passé deux ans à Genève où il s’est chargé de divers petits rôles alors qu’il avait été engagé dès 1965 à faire partie de ce qui aurait dû devenir une petite troupe fixe lorsque l’institution était dirigée par Herbert Graf. Puis, alors qu’il avait atteint le statut de vedette internationale, il est revenu régulièrement à la Place Neuve pour incarner bon nombre des plus grands rôles qu’il a tenus sur toutes les scènes du monde : le Hollandais dans Le Vaisseau fantôme, Masetto puis Leporello dans Don Giovanni, Figaro, Sancho Pansa dans Don Quichotte de Massenet, les deux Méphistophélès de Berlioz et Gounod, Barak dans La Femme sans ombre de Strauss, Lindorf dans Les Contes d’Hoffmann, Golaud dans Pelléas et Mélisande, Guillaume Tell dans l’ultime chef-d’œuvre de Rossini, et la liste n’est pas close ! Depuis ses premiers pas sur cette scène, il a ainsi participé à vingt-sept productions lyriques alors qu’il se produisait quatre fois en récital….

José van Dam en récital
© GTG

En ce mois de décembre, il revient d’abord pour une cinquième soirée où il interprétera essentiellement des mélodies françaises avant de faire sa première apparition sur une scène lyrique dans une production d’opérette, un genre qu’il n’a jamais abordé jusqu’ici alors qu’il a cinquante ans de carrière derrière lui !.
En sortant d’une répétition de La Veuve joyeuse de Lehár, mise à l’affiche du Grand Théâtre pour les Fêtes, le baryton-basse d’origine belge nous a accordé quelques moments pour un entretien à bâtons rompus au cours duquel il a évoqué sa carrière et ses projets.

Vous entendre dans le rôle du Baron Mirko de La Veuve Joyeuse de Lehár est pour le moins surprenant. Auriez-vous sous un autre nom fait une carrière de chanteur d’opérette ?
(Rire) Bien sûr que non. Mais on aurait tort de croire que ce genre est mineur. Si je ne l’ai jamais abordé jusqu’ici, ce n’est pas par mépris pour cette musique considérée à tort comme mineure, mais parce que les occasions ont manqué. Ma seule incursion dans le genre s’est limitée à un enregistrement de Ciboulette de Reynaldo Hahn où j’ai chanté le rôle de Duparquet aux côtés de Mady Mesplé, Nicolai Gedda et Colette Alliot-Lugaz.

Comment avez-vous construit votre carrière ? Qu’est-ce qui a présidé au choix des rôles que vous avez mis à votre répertoire ?
Pendant six ans, alors que j’étais encore un chanteur en formation, j’ai été en troupe à Paris, mais je n’ai pas eu l’occasion d’y chanter grand-chose. Ensuite, j’ai été engagé deux ans à Genève où j’ai incarné bon nombre de petits rôles comme un Soldat dans Salomé de Strauss, un Apprenti dans Wozzeck de Berg ou encore le Bailli dans Werther de Massenet. Puis ce furent mes dix ans en troupe à Berlin où ma carrière a rapidement pris une tournure plus intéressante avec notamment le rôle titre dans une nouvelle production d’Attila de Verdi. Mais, pour revenir à votre question, je ne saurais pas dire que j’ai véritablement construit ma carrière. On m’a très vite proposé des rôles intéressants et j’ai eu la chance de pouvoir faire mes choix. J’ai simplement placé mes priorités, en me fixant des limites que j’ai toujours respectées. Il y a des rôles que l’on m’a proposés et que j’ai refusés parce que j’étais encore trop jeune et que ma voix devait mûrir, et d’autres qui ne me convenaient tout simplement pas parce que je n’avais aucune affinité avec leur univers musical. J’ai par exemple toujours refusé de chanter Wotan dans L‘Anneau du Nibelung parce que si le jeune dieu dans L’Or du Rhin ou le père de Brünnhilde dans La Walkyrie eussent pu me convenir, je ne me voyais pas tenir celui du Wanderer dans Siegfried. Ajoutez à cela le fait que, lorsque Georg Solti, par exemple, m’a proposé de participer à une nouvelle production du Ring à Bayreuth, j’aurais dû passer plus de trois mois dans cette ville et cela n’entrait tout simplement plus dans mon agenda ! Il y a d’autres cas plus regrettables pour moi, par exemple le rôle titre d’Eugène Onéguine qui m’aurait beaucoup tenté mais là, j’ai dû renoncer pour des raisons purement artistiques : je n’aime pas, en effet, incarner des personnages dont je ne comprends pas la langue et le texte tiré du poème de Pouchkine, dans le chef-d’œuvre de Tchaïkovsky, est d’une très grande complexité. C’est pourquoi ma seule incursion dans le répertoire russe s’est limitée au personnage central de Boris Godounov. Je regrette d’autant plus cet état de fait que les opéras russes sont riches en personnages intéressants réservés aux voix graves…

José van Dam
Photo Jacques Sarrat

Lorsque vous refusiez un rôle, avez-vous eu des problèmes avec les chefs qui souhaitaient vous engager ?
Non, jamais. Même Herbert von Karajan, que l’on dépeint parfois sous les traits d’un tyran impitoyable, a toujours compris mes réticences lorsqu’il s’agissait pour moi de renoncer à un rôle qui ne me convenait pas. Il m’a par exemple proposé Telramund dans son Lohengrin salzbourgeois. Je lui ai simplement dit que je ne m’entendais pas dans ce rôle qui convenait mal à ma personnalité. Et lorsque ce même chef a souhaité m’engager pour Pizarro de Fidelio, je lui ai dit que je n’avais que faire de ce rôle où l’interprète est invité la plupart du temps à hurler sa colère. J’ai ensuite ajouté que je pouvais par contre m’accommoder de Rocco, et il a accepté. J’ai donc incarné deux fois cette figure ambiguë de père dont les hésitations et les angoisses sont beaucoup plus en accord avec ma personnalité.

Et vos rapports aux metteurs en scène ?
Par principe, j’accepte ce qu’ils proposent pour autant que cela fasse sens pour moi. Lorsque je ne comprends pas ce qu’on me demande, j’attends qu’on puisse m’expliquer très clairement ce que mes gestes et attitudes, voire mon costume, doivent signifier. Le problème est que le spectateur ne jouit pas du même temps de formation. Pendant les six à huit semaines de répétitions, un metteur en scène a ainsi le temps de clarifier ses prises de position en face des divers interprètes de la représentation. Mais lorsque le spectateur se trouve, lui, devant le produit fini après une journée de travail, il n’a pas la même disponibilité d’esprit. Pour moi, la différence entre une bonne et une mauvaise mise en scène est à rechercher dans ce hiatus : si le spectateur comprend dans l’immédiat les enjeux dramatiques de la réalisation visuelle qu’on lui propose, le metteur en scène a rempli son contrat. Sinon, même la plus géniale des interprétations reste bancale car elle manque son effet direct sur celui qui a payé sa place pour venir au spectacle !...

Avez-vous eu l’impression que certains rôles vous ont trop longtemps collé à la peau ?
Musicalement, non ! J’ai chanté plus de quatre cents fois Figaro dans les Noces de Mozart et j’aurais pu continuer s’il s’était agi d’approfondir un rôle immense dont on ne peut jamais prétendre avoir fait le tour ! Je suis sûr que la dernière fois que j’ai incarné ce personnage sur scène, il y a eu deux ou trois moments où je me suis dit : ‘Tiens, et pourquoi n’ai-je jamais songé auparavant à faire ce passage ainsi ou à mettre cet accent ailleurs’ ? Lorsque j’ai arrêté, c’était avant tout parce que je ne voulais plus incarner un personnage qui était trop jeune pour moi et que je brûlais de passer à autre chose. On m’a alors même proposé d’incarner le Comte dans ce même ouvrage, mais pour moi, ce personnage doit être encore plus jeune que Figaro, comme cela est parfaitement visible dans Le Barbier de Séville ! J’ai donc abandonné ce titre de Mozart, certes à regret, mais il faut aussi savoir s’arrêter !...

Pour revenir au personnage que vous allez incarner dans La Veuve Joyeuse, qu’est-ce qui vous attire dans ce genre plus léger ?
L’opérette est un genre qui a ses lois propres, et il est toujours fascinant pour un chanteur de se mesurer à une tâche nouvelle. Le passage du chant au théâtre parlé, par exemple, n’est pas facile et met les interprètes dans une situation qui peut s’avérer délicate si la technique vocale n’est pas aguerrie. Et puis, un chanteur d’opérette doit savoir tout faire : séduire, danser, convaincre dramatiquement dans les situations les plus abracadabrantes, passer avec élégance d’un moment sentimental à une scène comique, et j’en passe. D’ailleurs, depuis que j’enseigne, je répète toujours à mes jeunes élèves qu’ils devraient impérativement s’exercer dans ce genre car c’est la meilleure école pour la formation scénique d’un artiste. J’ai même essayé d’imposer à Paris l’idée d’un théâtre d’opérette qui aurait construit ses saisons avec de jeunes artistes afin de leur donner la possibilité de découvrir ce genre scandaleusement décrié et méprisé en France, - et la situation est réellement choquante si l’on songe à l’immensité de ce répertoire ignoré ! Mais, comme toujours, des impératifs financiers ont fait capoter le projet.

José van Dam dans « Le Vaisseau fantôme » en septembre 1991
© GTG / Marc Vanappelghem

Avez-vous l’impression que les conditions de travail d’un chanteur ont beaucoup changé depuis vos débuts ?
Oui et non. Musicalement, les choses sont restées assez semblables, si ce n’est que le répertoire s’est beaucoup élargi (notamment dans le baroque ou dans les ouvrages italiens du début du 19e siècle). Par contre, on ne dénoncera jamais assez le pouvoir quasiment discrétionnaire de certains metteurs en scène qui utilisent les chefs-d’œuvre pour faire passer leurs fantasmes sur scène. Je n’ai rien contre une relecture politique, voire sexuelle de Don Giovanni, mais est-il légitime de refuser le rôle de Zerlina à une chanteuse qui en a les moyens au prétexte qu’elle est trop enrobée aux yeux du metteur en scène ? Je ne comprends pas cette époque où l’on en vient à choisir le titulaire du rôle de Don Giovanni en fonction de la beauté de ses pectoraux, non des qualités intrinsèques de sa voix… La difficulté pour un metteur en scène est de faire du neuf tout en restant classique, c’est-à-dire en respectant le plus possible les intentions du compositeur et de son librettiste, deux personnalités sans lesquelles l’œuvre n’aurait tout simplement pas vu le jour. Il est inadmissible que certains artisans de la scène actuels oublient ce paramètre essentiel et ne proposent finalement qu’une variation sur un thème qu’ils croient connu ! Or, dans chaque théâtre, même aujourd’hui, il y a une bonne partie des membres de l’audience qui n’ont tout simplement jamais vu l’ouvrage représenté dans son entier sur une scène ou qui n’ont pas eu le temps de se préparer pour mesurer les enjeux de la mise en scène et comprendre ce que l’on veut faire passer comme message au second ou troisième degré !

Et qu’en est-il des voix ? Ont-elles changé selon vous ?
On parle toujours de grandes voix du passé, mais là aussi, il faut remettre les pendules à l’heure. Les grandes voix ne sont pas forcément des voix puissantes, mais d’abord des voix qui ont suffisamment de technique pour ne pas se fatiguer et passer la rampe avec le maximum d’aisance. Un chanteur ne doit jamais chanter fort pour le seul plaisir de produire des décibels. Je rappelle toujours aux étudiants que leur voix est d’abord un instrument qui n’est pas destiné à faire du bruit mais à se mettre au service d’un message musical. Ce n’est pas parce qu’un timbre est beau qu’il doit systématiquement être utilisé à pleine puissance. Un violoniste qui a la chance de jouer sur un Stradivarius doit-il jouer plus fort que les autres simplement parce que son instrument est plus parfait ? C’est ridicule ! Cessons d’attendre des chanteurs qu’ils roulent les mécaniques et attendons d’eux d’abord une approche différenciée de la musique qu’ils interprètent !...

José van Dam dans « Les Contes d’Hoffmann »
©GTG / Carole Parodi

Puisque nous en revenons au chant proprement dit, parlez-nous brièvement de la soirée de mélodies françaises que vous allez chanter en récital
Le récital est une forme de dialogue avec le public que j’affectionne particulièrement. D’habitude, je conçois mon programme avec une première partie allemande (Brahms ou Schumann, par exemple) suivie d’une section française après l’entracte. Pour ce récital en particulier, j’ai pourtant opté pour un programme entièrement français. D’abord parce que ce répertoire est moins souvent abordé que le répertoire allemand en récital, et puis Genève est tout de même d’abord une ville francophone !

Comment concevez-vous l’équilibre d’un tel récital ?
Je veille d’abord à mêler les pages connues et les découvertes. Poulenc, par exemple, est trop rarement chanté alors qu’il est un des tout grands maîtres de la musique. La difficulté réside bien sûr dans la mise en valeur du texte que l’on ne peut se permettre de chanter de façon relâchée car chaque mot doit faire mouche. L’interprète de mélodies ne devrait en effet jamais oublier que le texte a existé avant la musique. Même lorsque les vers choisis par le musicien ne sont pas de première valeur en apparence, ils ont eu un rôle déterminant dans l’écriture de la musique ! Il est facile, par exemple, de se gausser de la naïveté de certains vers mis en musique par Schubert, qui auraient certainement sombré dans l’oubli depuis longtemps sans l’intervention du compositeur. Mais la musique immortelle qui les habille n’aurait pas vu le jour sans eux non plus !

Et quels sont vos projets ?
Je vais, en 2012, participer à un spectacle dramatique écrit spécialement pour moi qui sera créé dans un théâtre bruxellois. Et puis, j’aimerais me consacrer à la direction d’orchestre. Je ne vais certes pas me lancer dans l’exploration systématique de la musique de Boulez ou de Schoenberg, mais il me plairait de diriger certaines œuvres que j’ai chantées pour les découvrir sous un autre angle. Je ne veux pas encore parler de projets fixes, mais les choses évoluent favorablement…

Propos recueillis par Eric Pousaz

Récital au Grand Théâtre le 5 décembre avec des mélodies de Fauré, Duparc, Debussy, Poulenc, Ibert ; puis il incarnera pour dix représentations le Baron Mirko Zeta dans les représentations de « La Veuve Joyeuse » entre le 14 et le 31 décembre