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Opéra de Monte-Carlo
Entretien : Jean-Louis Grinda

Jean-Louis Grinda évoque le fonctionnement de l’Opéra de Monte-Carlo, et l’ouverture de saison avec la Flûte enchantée.

Article mis en ligne le mars 2009
dernière modification le 28 mars 2009

par François JESTIN

Succédant à John Mordler, Jean-Louis Grinda a pris depuis l’automne 2007 les rênes de l’Opéra de Monte-Carlo. Nous l’avons rencontré avant la représentation de la Flûte enchantée, dont il assure la mise en scène, pour
l’ouverture de la saison monégasque.

Votre père fut baryton, puis directeur de maisons d’opéras (dont Toulon, puis Monte-Carlo) ; vous a-t-il suggéré une carrière de chanteur ?
Alors on a tout fait, sauf me pousser là-dedans ! Mon père avait rêvé vraiment autre chose pour moi, car il pensait que c’était un métier difficile, et qu’il valait mieux que je suive une voie plus « sérieuse » dirons-nous. Et puis, ayant passé ma vie dans le milieu, j’ai été pris très vite par le virus, et j’ai intégré le métier, mais sans y être aucunement poussé par mon père. Quand j’ai arrêté mes études de licence d’économie et de droit, et lui ai annoncé que je rentrais à l’Opéra d’Avignon, nous n’avons pas été copains pendant quelques semaines, puis très rapidement il a été content de me voir heureux dans le même métier que le sien.

Le passé un peu plus récent : vous êtes resté 13 ans à l’Opéra de Liège (ndlr : directeur artistique 2 ans, puis directeur général), et avez réalisé une programmation attrayante, avec un nombre important d’opéra différents…

Jean-Louis Grinda
© Alain Hanel

A Liège, j’avais développé une politique artistique ambitieuse, pour une maison de taille moyenne. Nous jouions 10 productions par an, et avons abordé des répertoires extrêmement différents qui allaient de Mozart, Rossini (certains jamais joués, comme Moïse et Pharaon, Guillaume Tell), à Strauss, Janacek (jamais joué au théâtre), puis du répertoire contemporain, comme Lulu, la Mort de Danton, du Britten, du von Zemlinsky, avec un chef-d’œuvre total qui est le Roi Candole, etc. Ce fut un peu mon laboratoire, en invitant le public, qui est par essence conservateur, à nous suivre. Aux spectateurs rétifs à tout titre qu’ils ne connaissent pas, je réponds toujours que c’est comme s’ils me disaient « non, je ne lis pas ce livre, parce que je ne l’ai jamais lu ! ». J’ai essayé de créer un lien de confiance entre la direction de l’Opéra et son public, ce qui permet d’avoir sur la durée une politique artistique un peu plus audacieuse. Il y a une frange extrêmement faible du public qui est gourmande et curieuse, et une autre partie qui se dit « pourquoi pas, on va se laisser guider », en faisant confiance à la maison qui produit le spectacle.

A Monte-Carlo, avez-vous le même objectif en terme de volume, un objectif de jouer plus ?
On ne m’a pas donné du tout de mission de cet ordre-là, en terme de volume. Comme je ne pouvais pas me contenter de 4 titres par saison, parce que je trouvais ça un peu juste, nous sommes passés à 6, et mon ambition est de s’ajuster à 7 titres par an, étant entendu que l’orchestre est déjà très occupé par son activité de concert, qu’à Monte-Carlo on doit obligatoirement commencer avec la Fête Nationale, le 19 novembre, et s’arrêter fin avril, avant le Grand Prix de Formule 1. Nous terminions auparavant fin mars, et j’ai donc prolongé la saison d’un mois, et au sein de ces titres, on augmente le nombre de représentations. On amplifie comme cela le volume, tout en essayant de faire quand même découvrir aux gens des choses qu’ils ne connaissaient pas ici. J’envisage toujours ma fonction de directeur de l’Opéra comme un bibliothécaire : on doit entretenir sa bibliothèque, c’est-à-dire ajouter des volumes, l’enrichir, et en même temps proposer de relire tel ou tel classique. Vous êtes également obligé de tenir compte de l’histoire de la maison, avec ses créations d’opéras, sa politique artistique, il faut donc s’inscrire dans cette perspective historique.

Beaucoup d’ouvrages n’ont jamais été joués à Monte-Carlo.
Effectivement, par exemple jusqu’à l’année dernière on n’avait jamais joué Janacek ; le Don Giovanni de Mozart n’avait pas été représenté depuis 25 ans. La Dame de Pique de Tchaïkovski, qui sera donnée cette saison, n’a jamais été jouée à l’Opéra de Monte-Carlo, et nous monterons aussi plus tard Mazeppa du même Tchaïkovski. Il y a eu pourtant un directeur fantastique ici, qui est resté plus de 60 ans, Raoul Gunsbourg, un génie, qui a créé des opéras de Massenet, l’Enfant et les sortilèges de Ravel, la première version scénique de la Damnation de Faust de Berlioz, etc.

La création justement ?
Il y en aura, j’ai passé commande d’un opéra qui sera créé en avril 2011 : depuis longtemps, j’avais envie d’adapter sur scène La Marquise d’O, la nouvelle de Kleist, qui est d’après moi un sujet d’opéra extraordinaire, et idéal pour l’Opéra de Monte-Carlo, de par la configuration de la salle. J’en ai confié la composition musicale à René Koering, qui est un formidable compositeur d’opéras.

A propos de la programmation, vous veillez à un équilibre entre répertoires italien, français, allemand, russe … On se souvient de vos Huguenots à Liège.
Oui pour cet équilibre. Et oui pour le grand-opéra français, il y aura un jour La Juive à Monte-Carlo. Il faut diversifier et ne pas jouer toujours le même type d’opéras, au risque de rester un peu sur sa faim.

« La Flûte enchantée »
© Opéra de Monte-Carlo

Une question sur le fonctionnement des deux salles : un seul opéra par saison est programmé au Forum Grimaldi ?
Absolument, c’est le rythme. C’est très simple, nous avons une convention, avec le gouvernement, d’occupation de la salle du Forum Grimaldi pour une plage de 30 à 40 jours par an, ceci à titre gratuit. Avec les répétitions et les représentations, on ne peut pas faire plus d’une production. La location de la salle pour y monter une seconde production viendrait grever le budget.

Sans cette contrainte financière, y aurait-il un intérêt à une répartition plus équilibrée entre le Forum Grimaldi et l’Opéra Garnier, d’une jauge très réduite ?
D’abord, l’Opéra de Monte-Carlo, c’est Garnier, et historiquement parlant, je ne me sens pas directeur d’une maison qui a son lieu de vie principal au Grimaldi Forum. Mes prédécesseurs ont fait le Ring à Garnier, ou encore Parsifal. Effectivement, les jauges respectives sont de 530 et 1800 places ; il faut je crois garder ce côté exceptionnel de Garnier, ce plaisir de venir y voir un spectacle. Le cas de la Flûte enchantée (voir article de Scènes Magazine à ce sujet)en ouverture de cette saison est particulier : prévu à l’origine à Garnier pour la Fête Nationale, le spectacle a été transféré au Grimaldi Forum, en raison de l’étroitesse de Garnier pour le protocole, ce qui m’a permis de monter un plus grand spectacle, qu’on aurait certainement pas fait de la même façon à Garnier. Ceci dit, si je pouvais jouer 10 productions par an, j’en ferais volontiers 3 au Grimaldi Forum.

Comment fonctionne le financement ?
C’est très simple, le gouvernement me donne les moyens de fonctionner. La Société des Bains de Mer (ndlr : gestionnaire du casino et d’hôtels), dans ses statuts, a l’obligation d’aider les entités culturelles, donc l’Opéra. Nous disposons par ailleurs d’une vente de tickets qui n’est pas négligeable, et nous avons l’association des Amis de l’Opéra, qui intervient massivement pour nous aider à réussir tel ou tel spectacle, ainsi qu’un sponsor principal, Rolex.

Les places ne semblent pas hors de prix, en regard du privilège d’assister à un spectacle dans la salle Garnier.
Les places les plus chères sont à 150 € pour les galas, et à 100 € sinon. Je ne vois pas l’intérêt de monter toujours le prix des places, certaines places à 30 et 40 € sont ici à la vente pour les opéras, et je trouve ça juste. Monte-Carlo est un endroit où il existe, je dirais, des facilités financières. Nous sommes privilégiés, mais j’attire votre attention sur un point que je trouve extrêmement scandaleux : partout les prix des places sont de plus en plus chers, ce qui est contraire à l’intérêt public. L’opéra, comme le concert, comme le ballet, comme l’hôpital, constitue un service public, qui doit être accessible au plus grand nombre. Je dis cela peut-être facilement, en tant que directeur de l’Opéra de Monte-Carlo, mais au long de mes 13 années à la tête de l’Opéra Royal de Wallonie, j’ai même baissé les prix. Notre mission n’est pas de « faire du fric », mais de beaux spectacles, et lorsque des gens se saignent pour aller à l’opéra, ce n’est pas sain, c’est un débat que l’on ne voit d’ailleurs que trop peu.

Fonctionnez-vous en coproduction ?
Les coproductions constituent une politique intelligente, qui permettent réellement de diviser les coûts. Elles s’établissent en fonction des rencontres, on travaille ainsi avec le festival d’Aix-en-Provence, Rome, Dublin, la Monnaie de Bruxelles, avec d’autres maisons américaines, avec le Chili, etc.

Avez-vous des relations privilégiées avec certains chanteurs ?
J’engage les chanteurs non pas parce qu’ils sont des stars, mais parce qu’il y a des choses à faire dans certains répertoires avec les uns ou les autres. Alors oui, on a besoin de vedettes, et Roberto Alagna est une vedette, Natalie Dessay et Anna Netrebko sont de grandes vedettes d’opéra, Villazon et Domingo également. Il y aura toujours dans le futur de grands noms à l’affiche, ce qu’apprécie le public, mais on a surtout besoin de voir en scène des choses en lesquelles on peut croire, ça me semble encore plus important. Transformer un opéra en tour de chant n’est pas intéressant, en revanche faire du théâtre peut motiver un nouveau public.

Propos recueillis par François Jestin