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A l’Opéra de Lausanne
Entretien : Jean-Christophe Spinosi

L’infatigable Spinosi évoque son parcours et ses passions.

Article mis en ligne le février 2007
dernière modification le 14 juin 2007

par François LESUEUR

Chef de l’Ensemble Matheus, Jean-Christophe Spinosi cumule avec une énergie débordante et une sympathie communicative, les fonctions de violoniste solo et de chef d’orchestre invité. De passage à Paris où il dirigeait “La pietra del paragone“, il a répondu à nos questions, quelques jours avant de s’envoler pour la Suisse où il est attendu en concert le 9 février, à Lausanne.

Après avoir remis au goût du jour Vivaldi sur instruments anciens et enregistré des opéras totalement oubliés, comme cette Griselda publiée il y a peu chez Naïve, parallèlement à la sortie chez Virgin du récital "Heroes" avec Philippe Jaroussky, l’infatigable Spinosi se consacre aujourd’hui à Rossini, avant de s’adonner à Haendel, Mozart, Bizet et Messager. Entretien.

Paris a fréquemment l’occasion de vous entendre diriger le répertoire baroque avec votre Ensemble Matheus, mais c’est avec Rossini que vous débutez l’année 2007, au Châtelet, pour jouer La pietra del paragone. Quelles qualités faut-il, selon vous, à un chef, pour aborder aujourd’hui les oeuvres de jeunesse de ce compositeur, qui plus est sur instruments anciens ?
JCS : Avant tout beaucoup d’énergie, d’enthousiasme et un sens de la communication très développé. Cette musique est particulièrement brillante et plus on en est amoureux, plus il est facile de la faire apprécier et de la partager. Son écriture est extrêmement virtuose et Rossini demande autant aux musiciens de l’orchestre qu’aux chanteurs. Les instruments anciens sont un atout pour aborder cette oeuvre : leurs couleurs permettent d’insister sur les tonalités, la technique de jeu d’accentuer les changements de rythmes qui interviennent parfois de façon fulgurante dans une même phrase. Nous devons travailler ces "pliures", ces ruptures de registres et de dynamiques sans que cela ait l’air fabriqué ou factice, mais au contraire que tout se fasse naturellement. Obtenir les mêmes contrastes et les mêmes effets avec un orchestre classique serait beaucoup plus compliqué.
La "Rossini renaissance" commencée au début des années cinquante, jusqu’à la mise en place du Festival de Pesaro, a permis au public de découvrir les oeuvres majeures appartenant au genre serio, comme Zelmira, Ermione, Bianca e Fallierio, Semiramide et Tancredi, au point d’occulter certaines partitions légères. Après la Pietra et Le barbier de Séville que vous devez diriger à Oslo, êtes-vous tenté par les ouvrages serio et si oui lesquels ?
J’ai dû malheureusement annuler mon engagement pour Oslo, ayant eu dernièrement de petits problèmes de santé. J’ai beaucoup travaillé et face à un planning qui ne cessait de croître, j’ai décidé de ralentir mes prestations. Je dois faire attention à respecter un équilibre indispensable entre ma carrière et ma famille : j’ai cinq enfants que je souhaite voir grandir. J’étais très heureux de devoir m’attaquer à une oeuvre-phare telle que le Barbier, même si les productions ne manquent pas à travers le monde. J’ai eu la chance d’être invité à Parme l’an dernier pour interpréter La Flûte enchantée de Mozart et des projets se profilent : j’aimerai diriger Donizetti et Verdi. Le San Carlo de Naples et le Carlo Felice de Gênes m’ont également fait des propositions très intéressantes. Je veux prendre mon temps, ne surtout pas brûler les étapes. Il y aura forcément un Barbier, puis d’autres titres qui suivront.

Jean-Christophe Spinosi © Isabelle Lévy

Même si l’on parle beaucoup de vous et de votre réussite ces derniers temps, il faut rappeler que vous avez choisi en tout premier lieu d’étudier le violon. De quelle manière avez-vous fait la conquête de cet instrument ?
Oh, tout à fait naturellement. Mes parents n’étaient pas musiciens mais mélomanes et vers l’âge de huit ans, nous avons emménagé dans une ville où nous étions en face d’une école de musique. Mes parents m’ont demandé ainsi qu’à mes six frères et soeurs quel instrument nous voulions jouer et j’ai répondu le violon, car pour moi c’était le plus bel instrument et surtout le plus pratique à transporter. J’ai donc appris le violon de manière classique avec un professeur extrêmement rigoureux, cependant très peu porté sur l’interprétation baroque.
Comment s’est formulé en vous le désir de vous lancer dans une carrière de violoniste, parallèlement à votre attrait pour la direction d’orchestre ?
Vers dix-huit ans j’ai commencé à jouer en tant que soliste avec différents orchestres et à côtoyer de nombreux chefs. J’avais une petite expérience de musicien de chambre où, tenant la partie du premier violon, j’avais déjà l’habitude de guider les autres, de donner les départs, le tempo. Cela m’avait aidé et l’idée de soutenir mes collègues me plaisait. Puis, j’ai eu l’occasion de travailler avec Pierre Dervaux, qui était réputé pour être quelqu’un d’assez dur et de froid, mais avec qui j’ai pu approfondir le "métier" de chef. Avec une grande naïveté, je suis allé vers lui pour essayer de comprendre pourquoi il faisait tel mouvement plutôt qu’un autre, allant jusqu’à lui dire que si j’étais à sa place je ferai autrement. Il m’a gentiment écouté et conseillé. Cette notion d’échange entre les musiciens d’un même groupe est fondamental. Je n’ai jamais oublié les précieuses indications qu’il m’a données.
Revenons au choc que vous avez eu à l’écoute de la première intégrale d’Orlando Furioso de Vivaldi dirigée par Claudio Scimone avec Marilyn Horne et des Quatre saisons conduites par Harnoncourt. Vous avez dit "avoir saisi ce que signifiait s’investir dans une interprétation". Mais ne peut-on pas l’être en écoutant pour la première fois Furtwängler diriger Beethoven, ou Giulini dans Mozart ?
Bien sur que si ! Mais à quatorze ans, je n’avais pas la maturité et la connaissance pour pouvoir le dire. J’ai ressenti ces chocs là plus tard, avec la même admiration et le même sentiment d’évidence. Ce que j’ai éprouvé en écoutant Vivaldi dans ces interprétations, est de l’ordre de la révélation. Tout à coup l’éclairage était plus cru, le jeu plus âpre et surtout avec Les Quatre saisons, j’entendais pour la première avec intensité des détails, des sons que je n’avais jamais entendu auparavant.
Quoiqu’il en soit, la figure tutélaire de Vivaldi vous a porté chance, car vous avez joué son oeuvre en tant que violoniste, l’avez interprété en quatuor et le défendez avec votre ensemble. Curieusement, alors que certains chefs pratiquent d’abord la diversité avant de se spécialiser, vous avez fait le chemin inverse. Pour quelles raisons ?
Ce n’est pas tout à fait exact, car avant que naisse l’ensemble, le Quatuor Mattheus a énormément joué le répertoire traditionnel qui correspond à la musique de chambre : Brahms, Mozart, Schumann, mais également Chostakovitch ou Berio. J’avais beaucoup joué Vivaldi au violon et c’est en cherchant de nouvelles partitions que nous avons mis progressivement ce compositeur à nos programmes. Je me souviens avoir proposé à une maison de disque d’enregistrer des pages inconnues de Vivaldi, que nous avions données avec une certain succès en public, mais le responsable m’a rétorqué que j’étais fait pour la musique française. J’étais assez désolé car je sentais que nous avions beaucoup à dire dans ce répertoire et finalement notre premier disque s’est fait ailleurs et a remporté un grand succès ; ce qui nous a permis d’engager une belle aventure. Le disque a précédé notre installation à Brest au Théâtre du Quartz, où nous sommes désormais en résidence et où nous donnons des programmes parfois détonants.
Alors qu’aujourd’hui les interprétations sur instruments anciens ne sont plus contestées, j’aimerais connaître votre avis sur l’apport du travail accompli par les musiciens français dans ce domaine ?
Il serait faux de penser que tout est résolu : nous avons connu la guerre entre les baroqueux et les non baroqueux, qui s’est calmée. On assiste cependant aujourd’hui à un conflit entre baroqueux et baroqueux, certains étant persuadés de détenir la vérité, alors que d’autres ont choisi de continuer leur recherche. Je n’ai pas l’intention de camper sur mes positions, n’ayant pas du tout l’impression d’avoir atteint un point de non retour. Le propre de la musique est, selon moi, la recherche, l’expérimentation et l’évolution. Continuer de jouer comme il y a quinze ans sur instruments anciens, me semble une fausse bonne idée. Il faut être capable de déchiffrer les manuscrits, mais également de lire entre les lignes et d’oser y inscrire sa propre sensibilité. Se penser gardien du temple, sans continuer de progresser est effrayant : il faut se tromper parfois, mais toujours avec sincérité, en croyant à ce que l’on fait.
Y a-t-il en 2007 des différences fondamentales entre l’interprétation baroque d’un Minkowski, d’un McCreesh et d’un Jacobs, ou assistons-nous à une uniformisation de la technique, du style et du son baroque ?
Si je vous disais oui, je serai un menteur. Heureusement que les interprètes ont des particularités, des éléments qui permettent de les distinguer des autres. Minkowski est maître dans l’art de manier la fougue, alors que Jacobs est plus attentif aux voix et à la place du chant parmi les instruments, sans doute en raison de sa connaissance intime de la voix, ayant été alto. Même si les différences ne sont pas toujours immédiatement perceptibles, elles existent et me paraissent essentielles.
A l’heure où les salles de concert poussent partout comme des champignons, pensez-vous que tout soit mis en place pour éduquer le public et les jeunes en particulier qui constitueront les auditeurs de demain ?
Oh que non. Et cela dès l’école primaire où l’enseignement de la musique est absolument catastrophique. L’apprentissage d’un instrument tel que la flûte ne donne pas envie aux enfants de s’ouvrir à la musique. Si leur entourage est là pour les guider, leur prouver que la musique classique n’est pas un univers figé, réservé seulement aux grands et aux initiés, ils se montrent réceptifs et mordent à l’hameçon. Il y également un problème d’enseignement en France, car les professeurs de conservatoires sont rarement des artistes en activité, ce qui à mon avis n’est pas bon. On assiste parfois à des situations incroyables où des artistes n’obtiennent pas le diplôme nécessaire pour enseigner, alors que des jeunes sans expérience sont reçus et reconnus aptes à professer. C’est absurde. Il faut impérativement revoir le système et améliorer la pédagogie dans notre pays.
Sur votre planning sont déjà inscrits les noms de Mozart, Messager, Vivaldi pour La fida ninfa et les Quatre saisons en tournée en tant que soliste, et Bizet. Vous serez à Lausanne le 9 février en compagnie de Sonia Prina pour un programme consacré à Haendel. Comment l’avez-vous conçu ?
Je vais vous avouer que nous sommes encore en train de le discuter. Je connais bien Sonia Prina qui interprète Clarice dans la Pietra del paragone. Bien qu’elle soit dans la vie très féminine, elle est capable de se transformer physiquement dès qu’elle chante des rôles travestis : elle est magnifique en Jules César, très impressionnante. Le programme de Lausanne comprendra des extraits d’opéras tirés d’Ariodante, de Rinaldo et de Guilio Cesare et alternera des morceaux de bravoure avec des moments plus élégiaques. Je dirigerai à ce propos, à la rentrée prochaine, une reprise d’Alcina à l’Opéra National de Paris, dans la mise en scène de Robert Carsen et j’en suis très heureux.

Propos recueillis par François Lesueur

vendredi 9 février : Concert de l’Ensemble Matheus, dir. Jean-Christophe Spinosi, avec Sonia Prina, contralto (Haendel). Théâtre Municipal à 20h (loc. 021/310.16.00)