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Opéra de Lausanne
Entretien : Eric Vigié

Un souffle nouveau pour le théâtre lyrique lausannois.

Article mis en ligne le juillet 2010
dernière modification le 13 août 2010

par Eric POUSAZ

La prochaine saison pourrait bien être la plus longue de l’histoire récente du théâtre lyrique lausannois. C’est en effet le 3 juillet que l’Opéra présentera un diptyque composé du Pimpinone, de Telemann, et de La serva Padrona de Pergolèse. Le spectacle sera ensuite présenté pendant les mois de juillet et août dans une quinzaine de lieux répartis sur tout le canton dans le cadre d’une opération baptisée “La Route lyrique“.

Pour Eric Vigié, le Directeur de l’Opéra de Lausanne, ce coup d’envoi marque l’aboutissement d’un projet qui lui tient particulièrement à cœur. Il s’agit en fait d’amener l’opéra en des lieux habituellement situés à l’écart de toute vie lyrique. L’entreprise est d’ailleurs soutenue essentiellement par le canton au travers du Service Culturel que dirige Mme Lyon. Alors que l’Etat de Vaud se contente en effet d’une contribution financière beaucoup plus modeste que celle de la Ville de Lausanne pour assurer la continuité du travail de l’Opéra proprement dit, il s’est engagé à fond dans ce projet de décentralisation qui devrait profiter à l’ensemble de la population vaudoise. Entretien.

La Route lyrique
« Ce spectacle sera vraiment l’affaire de toute une région, répète le Directeur de l’Opéra. Les chanteurs sont tous de la région et ont été recrutés parmi les membres des jeunes artistes en formation qui figurent déjà dans les distributions de nos spectacles hivernaux ; l’orchestre sera quant à lui formé pour moitié par des élèves de la HEM encadrés comme il se doit par des musiciens professionnels issus des Orchestres de Chambre de Lausanne et de Genève. Une telle fusion permet aux jeunes musiciens de travailler en profondeur, d’acquérir les bases d’un travail vraiment professionnel qui se répartit sur plusieurs semaines (nous irons encore en janvier à Annecy, Neuchâtel et Vichy !...) et de mesurer ainsi leurs progrès d’un spectacle à l’autre. Il en ira de même pour les chanteurs qui ne verront pas les efforts de plusieurs mois de préparation épuisés en deux ou trois représentations seulement. »

Eric Vigié
Photo Florian Cella

La mise en scène est-elle aussi une entreprise locale ?
Je ne veux pas proposer de l’opéra au rabais au prétexte que nous jouons dans des cours de château ou sur des places publiques. Le décor sera un vrai lieu théâtral construit et éclairé par des professionnels : il s’agit en fait du décor retravaillé d’une production que j’ai présentée au Théâtre de l’Opéra de Trieste mais que je reprends à la base pour l’adapter aux circonstances actuelles. Il me paraît essentiel, en effet, que de jeunes artistes n’aient pas l’impression de fournir un travail d’amateurs pour occuper leurs vacances ; et je tiens à ce que les spectateurs, eux aussi, n’aient pas le sentiment de passer seulement une sympathique soirée en compagnie de sympathiques histrions !...

Quels problèmes logistiques posent une telle entreprise ?
Ils sont fort variés. Cela commence parfois déjà au sein des municipalités qui ont accepté de jouer le jeu et de nous inviter : très vite, certains de nos hôtes ont pris peur en pensant qu’ils ne sauraient nous fournir des conditions idoines pour un spectacle lyrique. Mais les discussions sont franches et les difficultés s’aplanissent sans trop de retard. Je dirais que, maintenant déjà, l’enthousiasme a pris le pas sur les réticences ou l’angoisse de ne pas être à la hauteur. Pour la partie strictement théâtrale ou musicale, les difficultés rencontrées se gèrent au jour le jour ; mais lorsqu’une équipe est convaincue de l’importance du travail à accomplir, comme c’est le cas pour cette Route lyrique, aucun écueil ne devient insurmontable.

Le projet a-t-il eu de la peine à s’imposer auprès des autorités ?
Non, car chacun est conscient que les sommes investies profitent d’abord aux gens de la région. Je trouve d’ailleurs parfaitement normal que l’argent du contribuable serve aussi à favoriser l’éclosion de talents locaux et non seulement à payer les cachets des vedettes des soirées de la saison d’hiver ! Les musiciens qui vivent ici et qui paient leurs impôts ici ont droit à notre confiance : il est donc plus que légitime de leur restituer, sous la forme d’un contrat d’engagement, une partie de leurs sacrifices financiers. D’ailleurs je compte bien renouveler l’expérience tous les deux ans…

« Rinaldo »
© Hana Smejkalová

La saison de l’hiver
La saison proprement dite comprendra six titres, comme de coutume. Un des spectacles sera réservé en priorité aux enfants ; ce sera la reprise de Pierre et le Loup, une production créée à Lausanne lors de la première saison dont le programme a été conçu par M. Vigié.

E.V. : Je tiens à présenter chaque année un opéra pour les jeunes. Cela fait aussi partie de la mission d’un Opéra subventionné par une communauté urbaine qui ne dispose pas de fonds illimités. Former le public de demain, c’est aussi s’assurer que l’art lyrique reste vivant et qu’il ne se mette pas lui-même sur une voie de garage en négligeant la relève. Cette année, nous reprendrons le conte musical de Prokofiev, car en six ans, les élèves ont changé et ce spectacle, qui a été fort apprécié lors de la première série de représentations, sera neuf pour la plus grande partie du jeune public. Quant aux rares jeunes membres du public qui seraient amenés à le revoir, je ne pense pas que cela les gênera beaucoup. Leurs parents ne se régalent-ils pas plusieurs fois de Carmen ou Traviata ?

Les spectacles qui habituellement attirent un fort public seront de nouveau donnés à Beaulieu. Est-ce à dire que vous allez réutiliser cette salle régulièrement ?
Jusqu’à la réouverture du théâtre en 2012, certainement. Après, on verra. Je dois dire qu’on m’avait fait un portrait fort négatif de ce lieu : acoustique déplorable, salle trop grande et impersonnelle, et j’en passe. A ma grande surprise, lors des représentations de Lucia de Lammermoor et de La Bohème, je me suis trouvé bien dans cet endroit qui dégage une atmosphère particulière et qui a une histoire pour les amateurs d’opéra lausannois. Son vaste plateau convient d’ailleurs beaucoup mieux que celui du Métropole aux grandes productions comme Un Bal Masqué ou Roméo et Juliette donnés cet hiver ! C’est donc avec une vraie joie que j’y programme ces deux titres, car je peux en proposer des réalisations visuelles conçues en coproduction avec l’Opéra Royal de Wallonie, dont les dimensions de scène stimulent les décorateurs à créer des espaces qui ne conviendraient pas au Métropole. Quant à l’acoustique, elle est faite pour de grandes voix, et je me suis efforcé de trouver des types vocaux capables de remplir le vaste espace de Beaulieu.

On assistera également au retour de l’opérette française sur le plateau de l’Opéra de Lausanne…
Le genre est scandaleusement décrié par des gens qui, la plupart du temps, ne le connaissent pas ! La Fille de Mme Angot est une œuvre absolument délicieuse, dont la musique vaut bien celle d’opéras plus populaires. Le problème avec l’opérette, c’est qu’il ne faut pas lésiner sur les costumes et les décors. Aussi avons-nous fait appel à la célèbre actrice Anémone qui signera pour nous sa première mise en scène lyrique. Les costumes seront également dessinés par une actrice de métier, Dominique Borg, et l’on tient déjà pour certain qu’ils devraient activement participer à la réussite visuelle du spectacle.

« Pierre et le loup »
© Opéra de Lausanne / Vanappelghem

Rossini et Haendel complètent le programme de brillante façon si l’on en juge par les noms des chanteurs engagés.
J’ai eu la chance de pouvoir engager un couple de vedettes formidable pour L’Italienne à Alger de Rossini. Lawrence Brownlee vient de faire un tabac au Metropolitan Opera de New-York dans cette saison qui se termine, alors que Anna Bonitatibus ne devrait pas être inconnue des spectateurs qui fréquentent les grands théâtres internationaux où elle a incarné avec un énorme succès diverses héroïnes de l’opéra baroque ou mozartien. Quant à Rinaldo de Haendel, j’ai pris le parti d’engager quatre contre-ténors, ce qui n’est pas une mince affaire. Mais dans cet opéra composé essentiellement dans le but d’impressionner les spectateurs londoniens par une mosaïque d’airs dont chacun d’eux exige des prouesses vocales plus époustouflantes les unes que les autres, je tenais à rester proche de ce que les recherches récentes en matière d’opéra haendélien nous ont appris. Les voix d’hommes dans le registre aigu ont une couleur et une agilité d’émission qui donnent une tournure encore plus insolite aux effets virtuoses voulus par le compositeur que si l’on confie ces airs à des mezzos.

Un mot encore sur la réouverture de l’Opéra. Est-elle toujours prévue pour l’automne 2012 ?
Bien sûr. Je suis en train de mettre la dernière main au spectacle d’ouverture, que je veux brillant. Et au début octobre, le rideau se lèvera comme promis sur une nouvelle ère de l’histoire de l’opéra lausannois.

Propos recueillis par Eric Pousaz