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A Genève, un Meistersinger pas comme les autres
Entretien : Dietrich Henschel

Dietrich Henschel sera à Genève, pour “Les Maîtres Chanteurs de Nuremberg“, et pour un récital Schubert.

Article mis en ligne le décembre 2006
dernière modification le 19 juin 2007

par Martine DURUZ

A votre avis, à quoi les chanteurs occupent-t-ils leur temps, à Genève, en novembre, en dehors des répétitions ? Ils revoient leur rôle, pensez-vous, boivent du thé chaud, font des exercices de relaxation, se promènent au bord de l’Arve emmitouflés dans une doudoune et une écharpe de deux mètres de long, apprennent la musique de leurs prochains opéras ou concerts.

Vous avez absolument raison. Devinez maintenant ce que fait Dietrich Henschel. Vous avez trouvé ? Il se baigne dans le lac, bien sûr ! Onze degrés, idéal pour la voix, non ?

Dietrich Henschel
(photo Alvaro Yanez)

Portrait
Pour être un authentique Meistersinger, Dietrich Henschel pousse le soin du détail jusqu’à être originaire de Nuremberg. C’est dans cette ville qu’il a suivi ses premières études, pour les compléter ensuite à la Musikhochschule de Munich. Il envisageait à l’époque une carrière de pianiste, ayant même gagné un concours de musique de chambre grâce à cet instrument. Mais la solitude de l’interprète devant son clavier ne répondait pas à son besoin de contacts humains. La direction d’orchestre le tentait également. Bien que son choix se soit finalement porté sur le chant, qu’il a pratiqué dès l’âge de dix ans dans de petits rôles de soliste, il n’a pas oublié ses amours de jeunesse : depuis trois ans, il dirige régulièrement l’ensemble Diabolicus, qui a joué sous sa baguette au Châtelet, notamment. C’est, dit-il, une tâche « facile ». Compte tenu de sa formation, il accorde aux chanteurs une attention toute particulière.
Les débuts du baryton sur le plan international datent de son interprétation en 1997 du rôle de Faust dans le “Docteur Faust” de Busoni. Mais c’est à Kiel que le chanteur s’est construit un répertoire et a fourbi ses premières armes : quatorze rôles en deux ans, dont “Pelléas”,“ le Prince de Hombourg”, “Orfeo”, le Comte des “Noces de Figaro”, Riff de “West Side Story”. Cinq à sept représentations par semaine, opéras, opérettes, musicals, jusqu’à épuisement total : après un tel régime, comment ne pas se sentir préparé, physiquement et mentalement, à affronter toutes les difficultés d’une carrière lyrique ? D’autant plus que toute une série de concerts devait nécessairement trouver place dans cet emploi du temps surchargé, le salaire octroyé par le théâtre étant si minime qu’il permettait tout juste de payer le loyer !
Maître d’un répertoire étendu, doté d’une voix efficace dans tous les genres, accompagné d’un bon imprésario (celui de Hermann Prey), Dietrich Henschel décida rapidement d’opter pour le freelance. La France a tout de suite reconnu ses mérites. Le compositeur hongrois Peter Eötvös, l’ayant remarqué dans “Pelléas”, lui proposa un rôle dans la création en 1998 de son opéra “Trois sœurs” à Lyon, où il participa également à une production du “Docteur Faust” de Busoni, que Pierre Strosser mettait en scène. A l’Opéra de Lyon, il a fréquemment collaboré avec Kent Nagano, avec qui il a tout chanté, de Bach à Bernstein, en passant par des créations mondiales. Il fait à ce chef une entière confiance. Paris l’a ensuite invité à plusieurs reprises, pour le “Docteur Faust”, “Alceste”, “la Femme silencieuse”, “le Crépuscule des dieux” au Châtelet, et “Pelléas et Mélisande” et “Capriccio” à Garnier. Il se produit également sur les autres grandes scènes européennes.

Récitals
Dietrich Henschel ne se limite cependant pas à l’opéra seulement. Il a toujours pratiqué le récital avec enthousiasme, sans privilégier uniquement le répertoire germanique. Duparc, Ralph Vaughan Williams, et certains compositeurs peu connus du grand public figurent à ses programmes : Pizzetti, par exemple, dont il aime le réalisme italien, ou Robert Gund, dont l’accompagnement pianistique lui semble extraordinairement séduisant. A Genève pourtant, il reviendra à un grand classique, “la Belle Meunière” de Schubert, le 12 décembre. Passer de Wagner au Lied ne lui pose apparemment aucun problème ! Même s’il doit travailler l’ampleur et la puissance pour ses rôles wagnériens, rien ne l’empêche de retrouver immédiatement après la souplesse et la légèreté indispensables au Lied. De plus, la partie de Beckmesser comporte les notes aiguës que le chanteur pourrait avoir à utiliser dans les mélodies. Le récital est favorable au développement du contrôle de la voix, à la discipline, à la technique, et Wagner augmente la puissance vocale et la résistance physique. Après douze ans de carrière il faut cependant rester prudent et travailler très régulièrement. S’il s’accorde une semaine de répit, le baryton dit avoir besoin d’une semaine pour remettre la machine en marche et parvenir à nouveau à atteindre son but : être capable de faire un crescendo et un decrescendo sur chaque son qu’il émet ; il ne chante jamais une note qu’il ne puisse aussi chanter piano.

Wagner
Mais revenons aux “Maîtres chanteurs”. Dietrich Henschel est heureux de collaborer à nouveau avec Pierre Strosser : ils se comprennent d’un regard, d’un sourire. Le metteur en scène a une vision de chaque rôle, même des plus petits, travaille sur les relations humaines, s’’efforçant de créer un « organisme » et non une « image ». Les répétitions sont vécues comme une réunion d’amis qui prennent du temps et du plaisir à faire de l’art, avec passion et sérieux, en « dilettantes professionnels ». L’esprit du mot ainsi que la structure de chaque personnage, induite par la musique, sont prépondérants.
D’après Dietrich Henschel, le personnage de Beckmesser ne doit être ni caricatural ni persifleur, mais vrai, crédible. Il est respecté et considéré comme un époux possible pour Eva, mais vulnérable et finalement désespéré.

Projets
Dietrich Henschel sera Wozzeck à Lisbonne en janvier 2007, Kurwenal, pour la première fois, en concert à Montreal ; il chantera “les Saisons” de Haydn à travers l’Europe avec Gardiner ; et il apparaîtra dans deux opéras contemporains. En mai, à Madrid, dans la création mondiale de “El viaje a Simorgh” de José-Maria Sanchez-Verdu, compositeur espagnol dont il apprécie l’écriture vive, inspiratrice et stimulante pour les interprètes, et“ Alice in Wonderland” de Unsuk Chin, compositrice coréenne à l’’écriture « populaire », recommandée par Kent Nagano, par qui, nous l’avons vu, le baryton se laisse volontiers entraîner. Il est vrai qu’il peut compter sur son oreille absolue et sur une facilité exceptionnelle à apprendre les partitions les plus difficiles en un minimum de temps (il lit la musique comme vous lisez le journal). On le connaît comme le champion des remplacements de dernière minute. Loin de se vanter de ses dons, il n’y voit pas que des avantages : chanter devant le public une partition que l’on vous a fait parvenir une heure avant, dit-il, ce n’est pas vraiment honnête, artistiquement parlant !

D’après des propos recueillis par Martine Duruz

Les 10, 14, 17, 20, 23, 28, 31 décembre : “Les Maîtres Chanteurs de Nuremberg“ de Wagner. Au Grand Théâtre (loc. 022/418.31.30) & mardi 12 décembre : récital, avec Fritz Schwinghammer au piano (Schubert). Grand Théâtre à 20h (loc. 022/418.31.30)