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Spécial Grand Théâtre
Entretien avec Stendhal

Autour du Barbier de Séville de Gioacchino Rossini.

Article mis en ligne le mai 2010
dernière modification le 20 juin 2010

par Claire BRAWAND

Monsieur Stendhal – de son vrai nom Marie-Henri Beyle – a assisté à l’une des toutes premières représentations du « Barbier de Séville » à Florence le 5 décembre 1816. Le 26, ce même opéra ouvrait la saison du carnaval au théâtre Argentina à Rome. Trois ans plus tard, le 23 septembre 1819, il fut donné à Paris. Souvenirs...

Comment Rossini en vint à s’intéresser à l’histoire du Barbier, sujet tiré, comme tout le monde le sait, de la comédie de Beaumarchais ?
Rossini trouva l’impresario du théâtre Argentina à Rome tourmenté par la police qui lui refusait tous les libretti, sous prétexte d’allusions. Quand un peuple est spirituel et mécontent, tout devient allusion. Dans un moment d’humeur, l’impresario romain proposa au gouverneur de Rome le Barbier de Séville, très joli libretto mis jadis en musique par Paisiello. Le gouverneur, ennuyé ce jour-là de parler mœurs et décence, accepta. Rossini se hâta d’écrire à Paisiello à Naples. Le vieux maestro qui se mourait de jalousie du succès de l’Elisabeth [opéra de Rossini donné à Naples en 1815], lui répondit très poliment qu’il applaudissait avec une joie véritable au choix fait par la police papale. Il comptait apparemment sur une chute éclatante…

Quel accueil le public romain réserva-t-il à cette reprise d’un sujet traité par le vénéré Paisiello ?
Les Romains trouvèrent le commencement de l’opéra ennuyeux et bien inférieur à Paisiello. Ils cherchaient en vain cette grâce naïve, inimitable, et ce style le miracle de la simplicité. « Mais c’est de la petite musique, disait le parti contraire à Rossini ; cela est amusant, sautillant, mais n’exprime rien. Quoi ! Rosine trouve un Almaviva fidèle et tendre, au lieu du scélérat qu’on lui avait dépeint, et c’est par d’insignifiantes roulades (Di sorpresa, di contento / Son vicina a delirar) qu’elle prétend nous faire partager son bonheur ! » Le lendemain, la pièce alla aux nues ; l’on voulut bien s’apercevoir que si Rossini n’avait pas les mérites de Paisiello, il n’avait pas aussi la langueur de son style, défaut cruel qui gâte souvent les ouvrages du vieux maître…

Stendhal

C’est un tout autre accueil que Paris fit au Barbier quelques années plus tard…
Hé bien oui, notez que s’il y eut jamais un homme fait pour plaire à des Français, c’est Rossini, Rossini le Voltaire de la musique.

Qu’entendez-vous exactement par là ?
Ces roulades si singulièrement placées sur ces paroles Di sorpresa, di contento / Son vicina a delirar, qui faillirent, même le second jour, entraîner la chute de la pièce à Rome, ont eu beaucoup de succès à Paris ; on y aime la galanterie et non l’amour. Grâce au ciel, la France est encore pour longtemps le pays de la galanterie aimable et légère. Or, tant que cette galanterie fera le trait principal de notre société et du caractère national, le Barbier de Séville sera le modèle éternel de la musique française. Depuis trente ans que nos compositeurs imitent les Italiens, ils n’ont rien fait d’égal ; c’est qu’ils copient à l’aveugle, l’expression de l’amour et que l’amour, en France, n’est qu’une passion secondaire que la vanité et l’esprit se chargent d’étouffer.

Vous vous définissez comme « Rossiniste de 1815 », année où l’on admira le plus en Italie le style de Rossini. Quels en sont les traits principaux et en quoi le Barbier peut-il être considéré comme représentatif de ce style ?
Le jour où nous serons possédés de la curiosité de faire une connaissance intime avec le style de Rossini, c’est dans le Barbier que nous devrons le chercher. Un des plus grands traits de ce style y éclate d’une manière frappante. Rossini, qui fait si bien les finals, les morceaux d’ensemble, les duetti, est faible et joli dans les airs qui doivent peindre la passion avec simplicité. C’était surtout dans l’exécution du largo et du cantabile spianato [chant apaisé] que brillaient les talents des soprani avant Rossini. Or voilà précisément l’espèce de cantilènes que ce dernier a soigneusement bannie de ses opéras. Depuis, personne ne songe à chanter bien ou mal un largo. Le chant ancien touchait l’âme, mais quelquefois pouvait paraître languissant. Le chant de Rossini plaît à l’esprit et jamais n’ennuie.

Et au niveau de l’harmonie ?
Je m’empare, au profit de l’art musical de la comparaison suivante : comme en amour c’est le piquant des caprices de l’Italie qui manque à une tendre Allemande ; par un effet contraire, en musique, c’est le piquant des dissonances et du genre enharmonique allemand qui manque aux grâces délicieuses et suaves de la mélodie italienne. Rossini, lui, trouva ce juste degré de clair-obscur harmonique qui irrite l’oreille sans la fatiguer.

Vous dites « irriter » ?
En me servant du mot irriter, j’ai parlé le langage des physiologistes. L’expérience prouve que l’oreille a toujours besoin (en Europe du moins) de se reposer sur un accord parfait ; tout accord dissonant lui déplaît, l’irrite et lui donne le besoin de revenir à l’accord parfait.

Un dernier mot : Quel effet produit sur vous la musique du Barbier ?
Vous sentez tout à coup l’air pur et frais des hautes Alpes ; vous vous sentez respirer plus à l’aise ; on croit renaître ; vous aviez besoin de génie. A mes yeux, Rossini est l’espoir de l’école d’Italie !

Propos recueillis par Claire Brawand

A lire :
 Stendhal, « Vie de Rossini », éd. Gallimard, Paris, 1992.
 Stendhal,« Rome, Naples et Florence en 1817 », éd. Le Divan, Paris, 1964.