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Opéra de Lausanne
Entretien : Arnaud Bernard

Arnaud Bernard met en scène Roméo et Juliette à l’Opéra de Lausanne

Article mis en ligne le mars 2011
dernière modification le 24 mars 2011

Arnaud Bernard n’est pas un inconnu du public lausannois, qui a déjà pu applaudir ses mises en scène de Traviata, Rigoletto et Carmen. A fin mars, Roméo et Juliette de Gounod sera sa quatrième réalisation en Romandie ; cet ouvrage n’est pas aussi connu que les trois titres montés précédemment sur la scène de l’Opéra lausannois : sa structure est plus fragile, car plus éclatée, et impose au metteur en scène une approche plus circonspecte.

« Pour mettre en scène un opéra, il faut une bonne idée, une seule ! »

Arnaud Bernard ne cache pas que les difficultés d’une réalisation scénique de l’ouvrage de Gounod sont d’une toute autre nature et il en parle ouvertement :
La Traviata, Carmen ou Rigoletto sont des ouvrages forts dont la structure musicale est imparable tout comme en est implacable le déroulement narratif. L’opéra de Gounod est plus inégal car morcelé et il serait vain de se cacher que quelques pages, surtout dans le premier acte, ne sont pas de toute première valeur. Il importe donc de trouver une idée forte, une seule, qui permette de faire évoluer le drame sans que la tension ne se relâche. Car contrairement à ce que l’on croit trop souvent, les mises en scène ratées sont le fait d’un excès d’idées : à trop vouloir se montrer orignal, le responsable scénique du spectacle risque de dissocier les divers épisodes jusqu’à rendre indigeste l’ensemble de la représentation. Je suis persuadé au contraire qu’il faut adopter un angle d’attaque précis pour la mise en scène de Roméo et Juliette et ensuite s’y tenir afin de faire évoluer logiquement l’intrigue vers le final tragique.

Arnaud Bernard

Quelles sont les difficultés particulières de cette partition ?
Je me sens obligé de trouver un équilibre entre les divers moments de l’action et structurer l’opéra en fonction de la musique. Écouter la partition pour trouver en elle les mouvements que la mise en scène peut rendre visibles sans en défigurer l’image d’ensemble me semble primordial pour un tel ouvrage. Je vise donc à établir une sorte de relation physique avec la musique ; ensuite, la mise en scène jaillit presque spontanément car toutes les péripéties se mettent en place avec naturel. Même si la substance musicale manque d’homogénéité, l’intrigue basée sur la tragédie shakespearienne est en effet assez forte pour ‘porter’ les éléments qui sont le plus marqués par une esthétique musicale aujourd’hui dépassée. On ne peut se cacher, en effet, que le langage musicale de Gounod, tout comme le texte de Jules Barbier et Michel Carré, sont terriblement datés par endroits et ont presque quelque chose de chichiteux qu’il convient d’éliminer. Cela dit, l’ouvrage reste d’une formidable force lorsqu’il est bien joué et, à ce titre, mérite amplement de rester au répertoire !

« Roméo et Juliette »
© Marc Vanappelghem

Quels dangers guettent un metteur en scène dans ce type d’ouvrage ?
Il ne faut surtout pas étouffer la musique. Certaines mises en scène, parfaites sur le papier, se révèlent trop lourdes pour le langage de Gounod jusqu’à le rendre inopérant. Pour moi, mettre en scène Roméo demande de trouver un fin équilibre entre les références à la Renaissance italienne et la modernité d’un sujet qui n’a rien perdu de son actualité au XXIe siècle, même si, comme nous l’avons déjà dit, l’esthétique de cette version de l’œuvre de Shakespeare peut paraître exagérément bourgeoise aujourd’hui. J’ai donc opté pour un décor unique évolutif qui renforcera cette unité que je souhaite rendre sensible dans un scenario où plusieurs courtes scènes, moins directement importantes au déroulement de l’action, menacent d’en faire grincer la charpente ! Le décor unique présente aussi l’intérêt majeur de concentrer l’intérêt du spectateur sur les chanteurs sans transformer la représentation en grand déballage visuel où chaque lever de rideau invite le spectateur à détailler les particularités d’un nouveau décor au lieu de l’inciter à se concentrer sur le drame à proprement parler ! Il en va de même pour les costumes qui transforment trop souvent un spectacle d’opéra en défilé de mode… Pour revenir au point de départ de notre discussion : je connais peu de mises en scène vraiment ratées de Traviata ou de Rigoletto ; mais les échecs dans Roméo sont nombreux si l’on ne trouve pas cette idée à partir de laquelle tout se déroule logiquement ! Et je puis vous assurer que l’échec est quasiment programmé si l’on essaie de faire subir à l’action un traitement de choc sous prétexte d’en moderniser les enjeux !

Votre travail change-t-il en fonction des artistes engagés pour l’occasion ?
Dans une œuvre aussi connotée que Roméo et Juliette, il est évident qu’on ne peut faire entièrement abstraction du physique des chanteurs. Mais il ne faut rien exagérer non plus : les qualités d’acteur d’un interprète peuvent le faire paraître parfaitement à sa place dans un rôle dont il n’a pas, au départ, les atouts physiques souhaitables. La justesse de la gestique, l’élégance des mouvements compensent sur une scène bien des défauts qui auraient pu paraître rédhibitoires !

« Roméo et Juliette » avec Maria Alejandres et Teodor Ilincai
© Marc Vanappelghem

Et qu’en est-il des personnages plus secondaires ?
Il n’y a pas de personnages secondaires !!! On a souvent le tort de penser qu’une fois les deux rôles principaux bien distribués, le reste se fait tout seul. Or c’est précisément le contraire qui se produit. Même le relatif petit rôle du Duc de Vérone manque de faire son effet et met en péril l’assise dramatique de la scène dont il est le pivot s’il est distribué à une voix grave qui ne fait pas le poids. Gertrude, Tybalt, Mercutio, Stéphano sont des pièces essentielles de ce grand puzzle musical ; si l’une d’entre elles fait défaut, c’est l’ensemble du dessin musical qui en pâtit ! Il m’importe donc de rester attentif aux moindres exigences musicales de l’opéra pour que le théâtre retrouve naturellement ses droits à travers le traitement que lui ont fait subir le compositeur et ses librettistes. Et je n’oublie jamais que je ne mets pas ici en scène Shakespeare, mais bien un opéra français du XIXe siècle, représentatif d’un genre doté de ses lois propres qu’il convient d’adapter pour les rendre acceptables au public d’aujourd’hui.

Propos recueillis par Eric Pousaz

Représentations au Théâtre de Beaulieu de Lausanne les 25, 27 et 30 mars.