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Opéra de Dresde
Dresde : “Rigoletto“ & “Tannhäuser“

Juan Diego Flórez faisait ses débuts en Duc de Mantoue, séduisant par sa fougue vocale et son aisance scénique.

Article mis en ligne le septembre 2008
dernière modification le 19 septembre 2008

Tout le gotha lyrique européen s’était donné rendez-vous en juin à l’Opéra de Dresde pour assister aux débuts de Juan Diego Flórez – nouvelle coqueluche du public – dans le répertoire verdien.

Verdi : Rigoletto
Les caméras de télévision étaient dans la salle et il était fièrement annoncé partout dans le théâtre que la retransmission du spectacle passerait en léger différé sur ARTE. Comme de bien entendu, la parution du DVD ne devrait pas se faire attendre trop longtemps… Le ténor péruvien a particulièrement soigné sa première incarnation du duc libertin, héros malgré lui du drame vécu par le bouffon difforme. Rien n’a été laissé au hasard : sa silhouette élancée, mise en valeur par des costumes seyants avec leurs pantalons étroitement ajustés et leurs chemises transparentes lui permettaient d’attirer l’attention du public avant même d’ouvrir la bouche. Mais le chanteur n’en resta heureusement pas à de telles frivolités car sa préparation musicale n’était pas en reste. En quelques minutes, en effet, la coqueluche du public a vaincu toutes les résistances ; grâce à son timbre solaire, il a pu croquer du Duc de Mantoue un portrait à la fois léger, charmeur et élégant. La voix n’est certes pas encore tout à fait adaptée aux élans propres à la musique sanguine du compositeur italien et certains éclats, notamment au début du 2e acte, manquent de richesse dans la coloration et de variété dans l’intonation. De plus, la voix reste petite et se charge d’un vibrato un brin agité dès qu’elle est mise sous pression. Mais on n’oubliera pas de si vite cette figure juvénile qui a su séduire les auditeurs les plus sceptiques par sa fougue vocale autant que par son aisance scénique déconcertante.

Juan Diego Flórez

Néanmoins, l’événement musical était paradoxalement à chercher du côté des deux autres protagonistes. Diana Damrau se révèle en effet une Gilda accomplie, parfaite dans tous les sens du terme : le timbre fait preuve d’une étonnante ampleur sans jamais s’alourdir dans la vocalise, le jeu scénique séduit par une subtilité qui évite à la cantatrice de donner l’impression d’incarner la traditionnelle oie blanche sacrifiée sur l’autel de l’égoïsme masculin et sa scène finale, assumée de bout en bout avec un brio tant vocal que scénique stupéfiants, a laissé peu de spectateurs insensibles. Plus étonnante encore était la prise de rôle de Zeljko Lucic en Rigoletto. De tempérament plutôt sanguin, doté d’un physique de camionneur fort éloigné de la traditionnelle image du bossu malformé, cet artiste possède toutes les qualités du grand baryton verdien : un timbre sonore, chaleureux et flexible, une fourchette de nuances d’un raffinement inouï (comme l’a démontré sa supplique d’anthologie aux courtisans consternés dans le 2e acte) et un charisme scénique qui fait presque de l’ombre à quiconque lui fait face sur le plateau ! On notera encore un Sparafucile d’une sublime noirceur incarné par Georg Zeppenfeld et l’excellente contribution des chanteurs de la troupe dont aucun ne semblait penser qu’il n’avait à défendre qu’un rôle secondaire.
Fabio Luisi, l’ancien chef de l’OSR, prend la partition très au sérieux et obtient de son orchestre un accompagnement d’une grande noblesse ; chaque moment est poli comme un joyau et ne sombre jamais dans ce style de banalité qui a fait dire, en son temps, que Verdi ne plaçait en fosse qu’une grande guitare tant son écriture était primaire !... Les interventions stridentes des vents dans la scène de l’orage ou les suaves accords de la banda de scène dans le bal du premier tableau sont autant de moments forts qui démontrent que le compositeur italien savait très exactement quel effet il recherchait pour renforcer l’impact de la situation dramatique. La mise en scène un brin surréaliste de Nikolaus Lehnhof ne met fort heureusement pas l’intrigue cul par-dessus tête et respecte la linéarité d’une lente descente aux enfers qui est un des axes forts du drame. Les images du bal surprennent, avec ces danseurs vêtus de masques d’animaux enfermés dans une vaste fosse de marbre noir, celles du tableau final étonnent avec cette maison de Sparafucile ouverte aux quatre vents avec des portes qui ouvrent sur un nulle part démoniaque. Pourtant la magie opère à chaque instant et sauve le spectacle d’une certaine superficialité gestuelle qui n’ajoute rien à la gloire du metteur en scène au plan de la direction d’acteurs.

Wagner : Tannhäuser
Fidèle à son principe d’alternance, l’Opéra de Dresde mettait le lendemain soir à l’affiche une représentation de Tannhäuser, une partition étroitement liée à l’histoire de la maison puisque c’est ici même qu’elle fut créée. Le miracle du soir précédent ne s’est pourtant pas répété. La mise en scène provocatrice et franchement laide de Peter Konwitschny y est pour beaucoup. Dans un no man’s land aux couleurs criardes s’ébattent des femmes adeptes de la dive bouteille qui se livrent à une partie d’aérobic sur la sublime musique du Venusberg. On comprend rapidement l’ennui de Tannhäuser qui préfère les verts bocages à ces lieux qu’embaument les vapeurs d’alcool et les relents de sueur. Malheureusement, le château de Thuringe où l’attend Elizabeth est à peine plus accueillant et Tannhäuser a tôt fait de reprendre la poudre d’escampette. C’est finalement dans la mort qu’il trouve une issue décente à sa perpétuelle fuite en avant, laissant le spectateur abattu par un spectacle d’une aussi constante vacuité artificielle se préoccupant fort peu de la poésie inhérente au sujet.
La distribution n’arrange pas les choses : Robert Gambill est un Tannhäuser à bout de souffle, alors que Catherine Foster, malgré quelques beaux aigus éclatants, peine à nous faire croire à la juvénilité pure de l’héroïne. Avec sa voix énorme, Michaela Schuster se taille la part belle en Venus avinée ; Christoph Pohl incarne un Wolfram d’une belle rectitude doté d’un timbre large d’une enviable élasticité et Georg Zeppenfeld, déjà admiré le soir précédent en Sparafucile, prête au landgrave de Thuringe son organe d’une insondable noirceur.
L’orchestre est dirigé à la va-vite par un chef qui semble avant tout désireux de faire les choses autrement que les autres, accélérant là où on attend une pause et ralentissant le débit lorsque l’action suggère une soudaine accélération. Même la légendaire précision des vents et des cuivres de l’orchestre est souvent prise en défaut et rappelle dans la douleur qu’une renommée n’est jamais acquise définitivement.

Eric Pousaz