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sur les scènes lyriques berlinoises
Berlin : Semaines Richard Strauss

Oeuvres vues et entendues : Die ägyptische Helena – décevant –, Ariadne auf Naxos – superbe, et Faust – désolant.

Article mis en ligne le avril 2009
dernière modification le 26 avril 2009

par Eric POUSAZ

L’Opéra allemand de Berlin aime regrouper les productions de son vaste répertoire pour de mini-festivals qui sont étalés sur deux ou trois mois. Après Wagner, Verdi et Puccini, c’est cette année autour de Richard Strauss que se sont construites les affiches hivernales de la saison.
Pour épicer le tout, l’Opéra s’est offert le luxe de deux nouvelles productions qui ont permis au final de mettre sur pied une semaine entière consacrée aux ouvrages du compositeur bavarois.

Die ägyptische Helena
Rarement jouée, cette œuvre est pourtant également le fruit d’une des collaborations musico-littéraires les plus fécondes de l’histoire de l’opéra. L’association du compositeur avec Hugo von Hoffmannsthal a certes produit plusieurs chefs-d’œuvre incontestés, mais dans le cas de cette Hélène Egyptienne, la sauce n’a pas pris. Le musicien ambitionnait d’écrire un ouvrage léger à la Offenbach ; l’homme de lettres s’intéressait, lui, aux infimes fissures qui rongent chaque relation amoureuse pour la mener le plus souvent au point de rupture. Au final, l’opéra se présente comme une resucée absconse de La femme sans Ombre dotée d’un livret tarabiscoté et d’une musique rutilante, mais inutilement orgiaque.
La tâche du metteur en scène n’est pas facile. Aussi Marco Arturo Marelli, qui est aussi le créateur des costumes, décors et éclairages, n’essaie-t-il pas de réintroduire un semblant de logique dans le déroulement de l’action. Il la situe dans une maison close de luxe réservée à la soldatesque d’une armée occupante dans un pays musulman. Ménélas et Hélène, de retour de Troie, s’y trouvent ‘par hasard’ et se livrent à une longue scène de ménage liée à la jalousie maladive de l’époux envers son épouse volage. Il faut près de trois heures de musique et l’intervention de diverses forces magiques pour démêler l’imbroglio et permettre au couple de se reconstruire sur une base saine.

Ricarda Merbeth, rôle-titre de Die ägyptische Helena

L’orchestre, foisonnant, est dirigé avec une maîtrise admirable par Andrew Litton, un chef que l’on n’attendait pas dans ce répertoire. Tout force l’admiration dans son approche, de la clarté des lignes mélodiques à la retenue des passages inutilement emphatiques. La distribution lui en sait gré, qui n’est pas obligée de hurler pour se faire entendre. Ricarda Merbeth est une Hélène dotée d’un soprano pulpeux, large et clair qui chevauche la houle instrumentale avec une belle aisance. Robert Chafin, dans le rôle à la tessiture impossible de Ménélas, dose ses effets avec suffisamment d’intelligence pour parvenir en fin de soirée avec une voix relativement fraîche : son ténor n’est peut-être pas particulièrement séduisant à l’oreille, mais il allie avec aisance éclat et puissance dans cet emploi interminable. Laura Aikin en Magicienne Aithra fait valoir un soprano léger de la meilleure veine, agile et précis alors que Morten Frank Larsen campe un Altair robuste et Ewa Wolak une Conque au grave abyssal.

Ariadne auf Naxos
Donnée en coproduction avec l’Opéra de Munich, la nouvelle production d’Ariane à Naxos est signée de Robert Carsen. Son approche est radicalement différente de ce qui se fait d’habitude ; le Prologue et l’opéra proprement dit se jouent sans interruption, dans le même décor : une salle de répétition encombrée de machinistes, de danseurs, de costumiers, de personnel technique … et de chanteurs. Le spectacle est d’une austérité calculée : pas de décor, pas de costumes (quelques robes noires, même pour les hommes en début de spectacle avant qu’ils ne passent un pantalon, noir également), pas d’accessoires superflus. L’opéra se présente comme une étude sur le sentiment amoureux, dégagée de toute référence à l’âge ou au sexe des couples qui se font et se défont au gré d’humeurs qui restent incompréhensibles à ceux-là mêmes qu’elles habitent. Quand Ariane tombe dans les bras de Bacchus devant un écran lumineux qui réduit le couple à des silhouettes découpées en ombres chinoises, ce n’est pas son histoire particulière qui se termine par un happy end, mais l’aboutissement nécessaire et forcément fugace d’un jeu d’attirances condamné à se terminer aussi rapidement qu’il a commencé.

Violetta Urmana, rôle-titre d’Ariane à Naxos

Jacques Lacombe dirige avec nervosité et rigueur un orchestre admirablement préparé ; les mélodies s’entrelacent avec une netteté de dessin qui permet à l’auditeur d’en déguster chaque contour alors que les puissants crescendos que le compositeur tirent avec une maestria inouïe d’un ensemble instrumental restreint sont construits avec une exaltation raffinée qui en magnifie la progression.
La distribution est sans faille : Violeta Urmana est une Ariane au timbre puissant, chaleureux, riche d’une sensualité ensorcelante dans le grave ; Jane Archibald (bien connue des Genevois qui l’ont entendue récemment dans ce même rôle) croque un portrait tout en finesse de Zerbinetta dont elle a la dégaine autant que l’impertinence vocale. La voix profondément chaude de Ruxandra Dunose dote le Compositeur d’une personnalité inhabituellement forte qui fait contraste avec les coquetteries aériennes d’une Zerbinetta dont il goûte particulièrement les charmes dans son long duo du Prologue.
Bacchus a le timbre et la silhouette élancée de Roberto Sacca, un ténor qui réussit le prodige de faire paraître facile un des rôles les plus meurtriers du répertoire straussien. Les nombreux rôles secondaires se mettent aisément dans le ton et enthousiasment tous malgré la relative brièveté de leurs interventions, en début de soirée surtout. Avec un tel spectacle novateur, mais superbe à voir et à entendre de bout en bout, l’Opéra allemand mériterait enfin d’être reconnu comme le digne pendant de la Staatsoper, bien mieux dotée financièrement.

Staatsoper : Faust
Alors que l’Opéra voisin voguait sur sa vague straussienne, la Staatsoper entreprenait d’enrichir son répertoire plutôt mal fourni en ouvrages français. Après une Manon ‘glamour’ façon Netrebko et Villazon, restée sans lendemain depuis la première, et une Carmen d’un goût pour le moins discutable montée pour Villazon seul, Faust semblait, par son affiche, prêt à relever le niveau. Las ! La mise en scène de Karsten Wagner aligne les poncifs vulgaires (l’opéra se joue d’abord dans une espèce de bordel de province avant de se terminer dans un no man’s land mal éclairé) et les principes dramaturgiques sont empreints d’un goût douteux et lassant pour une relecture qui se veut originale à défaut d’être compréhensible (ainsi Marguerite apparaît-elle pour la première fois aux yeux émerveillés de Faust sous la forme d’un dauphin faisant quelques exercices de natation hors de l’eau au milieu d’un groupe de porcs).
La musique ne nous console pas de ce désolant échec scénique. Alain Altinoglu dirige sans empathie une partition dont il souligne les faiblesses par excès de lenteur ou de décibels, alors que la distribution paraît, elle, mal préparée à affronter les écueils du chant français, tant la prononciation du texte est rudimentaire dans son ensemble …

« Faust » à la Staatsoper, avec Charles Castronovo et Maria Poplavskaya
© Monika Rittershaus

René Pape possède tout ce qui faut à un brillant Méphistophélès, mais en ce soir de première il paraissait distrait, oubliait de chanter certains passages délicats en se contentant de les marquer d’une voix atone et ne cherchait nullement à rendre sensible l’humour sardonique du personnage. Certes, il a été annoncé malade en cours de spectacle, mais cela ne justifie pas une telle désinvolture à l’égard du public. La Marguerite de Maria Poplavskaya possède, elle aussi, une voix de soprano lyrique magnifique, mais elle l’économise la plupart du temps pour chanter sur le fil de la voix des mélodies qui ne demandent pas à être systématiquement susurrées. Au final, sa Marguerite paraît inutilement précieuse, maniérée jusqu’au ridicule le plus complet. Charles Castronovo relève le niveau avec son Faust doté d’un ténor puissant, peut-être trop extraverti dans ce répertoire, mais au moins bien chantant de bout en bout. Le héros de cette triste soirée est Roman Trekel, un Valentin viril au timbre vaillant et subtilement chatoyant. Le chœur fait bonne figure, malgré des placements sur le plateau qui ne lui facilitent pas la tâche, alors que les petits rôles sont franchement à la peine. Comment ne pas regretter que ce théâtre, si superbe dans sa gestion du grand répertoire allemand, se révèle incapable de regarder par dessus les frontières nationales pour voir ce qui se fait à Paris ou Milan dès qu’il aborde les ouvrages étrangers ?

Eric Pousaz