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Sur les scènes lyriques berlinoises
Berlin : Mozart revisité
Article mis en ligne le février 2009
dernière modification le 17 mars 2009

par Eric POUSAZ

Les trois institutions lyriques berlinoises possèdent toutes à leur répertoire une production des cinq grands opéras mozartiens mise presque chaque année à
l’affiche. Aussi, pour éviter le risque de saturation, les directeurs artistiques de chaque maison s’efforcent-ils de se démarquer de leurs concurrents en cherchant des metteurs en scène capables de proposer de ces titres archi-connus des approches résolument novatrices, au risque parfois de choquer un public pourtant à toutes les innovations.

Komische Oper : Le godemiché enchanté
C’est le titre que pourrait porter la récente nouvelle production de l’ultime chef-d’œuvre de Mozart. L’intrigue, entièrement récrite, nous apprend que Papageno s’adonne au plaisir solitaire cinq à six fois par jour, que Tamino est un puceau que les dames peinent à déniaiser ou que Monostatos incarne la lubricité typique des ethnies noires telles qu’elles sont vues par les Européens, et j’en passe. La fameuse flûte enchantée n’est qu’un long pénis en plastique dont on joue abondamment, alors que le glockenspiel évoque certaines poires utilisées par l’Inquisition pour faire souffrir … ou jouir les dames soumises à la question. Les dialogues de Schikaneder ne sont pas supprimés, mais récrits pour être placés dans la bouche d’une meneuse de jeu prénommée Marie-Luise que le metteur en scène Hans Neuenfels flanque de deux hommes prêts à tout pour lui plaire. Les chanteurs se contentent de chanter leurs airs, alors que leurs doubles subissent à leur place les diverses humiliations qui leur sont infligées en guise d’épreuves initiatiques. La magie et la féerie passent bien sûr à la trappe, alors que les allusions plus ou moins voilées à la franc-maçonnerie ou à l’Egypte ancienne sont rangées sur l’étagère des accessoires inutiles.

Komische Oper : « La Flûte enchantée » avec Maria Bengtsson (Pamina), Peter Renz (Monostatos), et Ludwig Blochberger et Alexander Heidenreich.
Photo Monika Rittershaus

Et la musique dans tout cela ? Elle passe au second plan. D’abord parce que les passages parlés prennent trop de place et allongent inutilement une soirée qui dépasse les trois heures et demie de représentation. Et ensuite, parce que les chanteurs ont autre chose à faire que se concentrer sur leur musique pour satisfaire au besoin d’une mise en scène exigeant une attention de chaque instant aux développements dramatiques qui se jouent sur le plateau.
L’ouvrage est dirigé d’une main plutôt lourde par Patrick Lange : tempi étirés, chœurs massifs, ensembles aux rythmes chancelants par manque de précision dans la gestique. La distribution, presque exclusivement constituée de chanteurs attachés à la maison, se tire d’affaire avec les honneurs mais ne parvient pas à transcender la banalité d’une illustration trop orientée sur la provocation (les prêtres en shorts et ceintures de chasteté valent à eux seuls le détour pour qui n’aime pas cet opéra !). On retiendra surtout la Reine de la Nuit de Cornelia Götz, aux vocalises assurées mais curieusement émises et au timbre agréablement étoffé, ainsi que la Pamina d’Eva Liebau (une chanteuse habituée aux petits rôles sur la scène de l’opéra zurichois), une jeune artiste qui séduit le spectateur par son chant melliflue à défaut de le convaincre par la faute d’une interprétation scénique la réduisant au rôle passif de jeune fille pure embrigadée dans une intrigue qui la dépasse. James Elliott est un Tamino falot, Jens Larsen un Papageno graisseux, monstrueusement antipathique mais doté d’un matériau vocal spectaculaire et Jan Martinik un Sarastro aux graves et à l’aura trop limités. Le reste se tient dans une bonne moyenne mais ne rend pas justice à la sublime complexité musicale d’une œuvre qui, en dépit de sa popularité, n’en finit pas de garder ses secrets…

Staatsoper : Desperate Housewives pour Cosi fan tutte
A l’Opéra dEtat Unter den Linden, Cosi fan tutte a bénéficié de la relecture de Doris Dörrie, fort connue en Allemagne pour ses films légèrement féministes dans lesquels elle prend plaisir à épingler les comportements machistes sans pour autant épargner une gent féminine qui ne demande qu’à être traitée cavalièrement. La première scène se joue dans un aéroport, puis l’action se déplace dans un de ces appartements modernes que nous ont rendu familiers les divers épisodes de Sex And The City ou de Dynasty et de ses interminables séquelles. Les femmes sont habillées de petits tailleurs aux jupes trop courtes qui situent l’action dans les années ’60 du siècle passé alors que les hommes, tirés à quatre épingles dans leurs complets-vestons aux couleurs ternes, s’essaient à faire croire que rien ne leur résistera. Leur déguisement d’Albanais s’apparente à la tenue des hippies d’alors : pulls et pantalons trop larges, comportements cavaliers jusqu’à l’indécence – la metteuse en scène ne résiste en effet pas à l’envie de déshabiller ses deux mâles avant le final du I ! Il faut pourtant reconnaître que la dialectique théâtrale fonctionne admirablement dans ce travestissement inhabituel, même s’il ne fait aucun doute que la musique de Mozart, une nouvelle fois, souffre de pareil traitement. Car lorsque les sentiments réels percent sous les comportements de comédie, il est difficile de croire que ces deux hurluberlus de Ferrando et Guglielmo, accompagnés de fumeurs de hasch, danseuses indiennes et autres partisans de l’amour libre qui exercent leur talent dans le salon des deux jeunes femmes, puissent être capable d’analyser leurs sentiments avec une telle finesse. Le final donne dans les excès d’une orgie vulgaire de type ‘flower power – free love’ et n’a plus rien de l’ambigüité que la musique lui confère…

Staatsoper : « Così fan tutte ».
Photo Monika Rittershaus

La distribution a de la tenue. A l’exception d’un ténor pleurnichard aux ressources insuffisantes (on lui a d’ailleurs supprimé deux de ses trois airs, dont le fameux ‘Tradito, schernito !’), l’oreille est à la fête. Anna Samuil et Daniela Sindram forment un couple de sœurs aux timbres fluides, bien différenciées et virtuoses, alors que leur engagement scénique ne faiblit jamais au cours de ce long spectacle qui exige beaucoup d’elles. Hanno Müller-Brachmann et Roland Trekel, un Guglielmo et un Alfonso qui étaient déjà présents dans l’enregistrement vidéo de ce spectacle paru en DVD il y a quelques années, donnent une véritable leçon de chant et de style malgré les excès de la mise en images : leurs voix claires et percutantes dans le grave leur permettent d’occuper sans difficulté le devant du plateau dans les ensembles sans pourtant chercher à se mettre indûment en avant. Adriane Queiroz en Despina affublée de jeans et de tops trop amples à fleurs multicolores, mène le jeu avec un abattage inégalé et complète à la perfection ce sextuor que seuls les manques du ténor viennent déséquilibrer de temps à autre.
Dan Ettinger a repris le bâton de Daniel Barenboim pour une lecture tranchante, vive jusqu’à l’agressivité, et pourtant soucieuse d’offrir un contrepoint musical approprié aux vertiges scéniques concoctés par la cinéaste. Avec lui, au moins, Mozart est entre de bonnes mains.

Eric Pousaz