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Scènes lyriques berlinoises
Berlin : Haydn est-il récupérable ?

Cette année à Berlin, comme dans de nombreux théâtres lyriques européens, Haydn est à l’honneur.

Article mis en ligne le octobre 2009
dernière modification le 31 octobre 2009

par Eric POUSAZ

Une dizaine d’ouvrages lyriques de Haydn sont mis cette année à l’affiche des divers théâtres lyriques européens pour rappeler le deux-centième anniversaire de sa mort. L’Opéra d’Etat berlinois a demandé à René Jacobs et Nigel Lowery de proposer une version moderne de son Orlando paladino créé en 1782. Le résultat, pour brillant qu’il soit, ne convainc pas sans réserve…

Force est en effet de reconnaître que le compositeur n’a pas eu de chance avec ses librettistes. Pour cette nouvelle mouture des aventures tragi-comiques du chevalier Renault aux prises avec la magicienne Alcina, Nunziato Porta offre au musicien un scénario alambiqué, complexe et bien trop riche en retournements de situations. Haydn enrichit l’histoire de plus de trois heures de musique souvent sublime, qui se trouve systématiquement en porte-à-faux avec des situations manquant de vraisemblance. Même la modernité des récitatifs, d’une incroyable variété de tons pour l’époque, n’aide pas à faire un tout cohérent de cette soirée de près de quatre heures.
René Jacobs croit pourtant à la qualité de l’ouvrage. Il l’empoigne avec une énergie presque désespérée pour en extraire la quintessence musicale. Son flair dramatique qui lui fait honneur : le climat de chaque épisode est fouillé à l’extrême au point de disloquer le temps afin de ménager à chaque chanteur toute liberté de peaufiner le portrait de son personnage. Les membres du Freiburger Barockorchester rivalisent de virtuosité pour donner à entendre chaque soupir, chaque césure théâtrale, chaque mouvement de l’âme esquissés dans la musique. L’oreille, toujours à la fête, se laisse sans peine séduire par une tapisserie musicale d’une telle verdeur.

Marlies Petersen
© DR

Et les chanteurs ne sont pas en reste : Marlis Petersen, dans le rôle de l’héroïne tiraillée entre deux hommes, fait preuve d’une telle élégance dans le chant orné comme dans la plainte éperdue que le personnage émeut malgré l’invraisemblance des rebondissements dramatiques. Tom Randle se glisse dans la peau du chevalier fou avec un naturel vocal qui lui permet de transcender la relative pauvreté musicale de son emploi. Sunhae Im est une Eurilla frétillante, dotée d’un soprano très fin, parfois trop léger, mais toujours apte à rendre sensibles ses émois contradictoires. Victor Torrès ne fait qu’une bouchée du personnage fruste de Pasquale avec son timbre éclatant, d’une santé insolente sur tout le registre. Pietro Spagnoli, de même, traverse le rôle de Rodomonte avec un aplomb souriant alors qu’Alexandrina Pendatchanska en Alcina adapte aisément la beauté de son chant à la subtilité de son jeu dramatique. Seul le ténor trop frêle de Magnus Staveland en Medoro fait tache dans cette distribution de haut vol.
Nigel Lowery n’a pas été inspiré par cette histoire qu’il surcharge de personnages inutiles avec la complicité du chorégraphe Amir Hosseinpour. Les personnages ne cessent de se déplacer, de se courir après, de se cacher les uns des autres sur un plateau tournant orné d’une forêt où a été construit un invraisemblable château néo-gothique. Au lieu de concentrer l’intérêt sur la musique, la mise en scène essaie vainement d’insuffler vie à un scénario mort-né et fatigue par ses gags éculés. On rit peu au spectacle de ces gauloiseries et on se prend même à regretter que le théâtre ne se soit pas, pour cette fois, contenté d’une version de concert.

Komische Oper : Butterfly
Calixto Bieito relit l’intrigue du chef-d’œuvre puccinien avec les yeux d’un lecteur de La possibilité d’une île, le dernier roman de Michel Houellebecq. Il transpose l’intrigue japonaise dans un de ces paradis du sexe tel qu’il s’en rencontre partout en Asie. Cio-Cio-San et Suzuki sont des prostituées en butte à toutes les avanies de la part de leur souteneur et de divers clients amateurs du grand frisson. Pinkerton arrive, en shorts et chemise hawaïenne ; il se fait savonner et masser par Suzuki en prenant voluptueusement son bain avant de s’intéresser à sa future ; entretemps, le consul américain jouit des faveurs d’autres travailleuses du sexe, avant de s’intéresser, lui aussi, à Butterfly au cours du 2e acte. Les deux femmes n’en ont cure et acceptent tout des mâles qui les convoitent car elles n’aspirent qu’à sortir de leur enfer. Pour Butterfly, le sésame se limite au fameux passeport américain. Elle ne recule devant aucun sacrifice pour l’obtenir.
Ainsi, lorsqu’elle comprend qu’elle est abandonnée de son galant au 3e acte, elle commence par égorger froidement le fils qu’elle a eu de lui après leur folle nuit de sexe ; puis elle poignarde à mort Suzuki, qui pourrait s’avérer une dangereuse rivale après les faveurs que l’amoureux inconstant lui a également prodiguées. Pinkerton lui-même se fait violemment réprimander et gifler par sa femme américaine lorsque celle-ci découvre le pot-aux-roses et le rideau se baisse sur une Butterfly égarée, qui ne songe pas le moins du monde à se faire harakiri mais brandit avec triomphe le fameux papier officiel américain tant convoité. Si une telle relecture désabusée convainc sur le papier, elle entre violemment en contradiction avec le flux sensuel de la musique. Ce faisant, elle rend pourtant sensible le scandale de certains comportements colonialistes que Puccini voulait visiblement dénoncer, comme l’atteste encore de façon évidente la première mouture créée sans succès à la Scala. Ce n’est que par pragmatisme que le musicien raccourcit et édulcore son opéra pour les reprises suivantes, avec le succès que l’on sait. Sacrilège ? Peut-être… Néanmoins un tel travail est tout de même bienvenu en un temps où l’on se contente souvent de noyer le message de cet ouvrage sous un excès d’esthétisme.
La distribution, de bonne qualité, ne saurait rivaliser avec les grandes versions visibles actuellement sur les autres scènes européennes. Le metteur en scène exige en effet un tel engagement physique de ses interprètes qu’il y a fort à parier que peu de vedettes confirmées seraient prêtes à s’y soumettre. Soojin Moon a sans aucun doute la voix de Butterfly, mais non la ‘morbidezza’ requise par cette partition rutilante ; le Pinkerton de Timothy Richards impressionne par son aigu robuste, son physique de jeune premier impudiquement donné en spectacle et ses réserves sonores qui lui permettent de chevaucher un orchestre luxuriant sans aucun signe de fatigue. Günter Papendell incarne un Sharpless libidineux au timbre rond et melliflue, Christoph Späth un Goro insidieux aux accents équivoques. Enrico Delamboye dirige avec feu et souvent un excès de puissance un orchestre fort discipliné. Succès public au final, sans l’ombre d’un sifflet réprobateur.

Eric Pousaz