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Théâtre de Bâle
Bâle : “Les dialogues des Carmélites“

Belle réussite que ce spectacle bâlois, il est époustouflant.

Article mis en ligne le septembre 2009
dernière modification le 23 septembre 2009

par Eric POUSAZ

Œuvre réputée passéiste et austère (pour ne pas dire ennuyeuse aux yeux de certains), l’adaptation musicale des Dialogues des Carmélites par Poulenc continue pourtant à jouir d’une réputation flatteuse dans les salles d’opéra et figure relativement souvent à l’affiche des théâtres, mêne en dehors des frontières de l’Hexagone.

La version qu’en propose actuellement le Théâtre de Bâle remet fort opportunément les pendules à l’heure : l’œuvre n’est ni ennuyeuse, ni passéiste si on lui retire son formalisme scénique stylisé, souvent synonyme de pauvreté d’imagination, et si l’on prend la peine de fouiller une instrumentation d’une originalité confondante en bien des aspects.
Malgré ses trois heures et demie de durée, le spectacle bâlois époustoufle tous les niveaux. Cornelius Meister en dirige une version vivifiante en plaçant ses instrumentistes sur une vaste estrade qui bouche tout le fond de l’immense plateau du théâtre. Divisés par groupes, les instrumentistes nous gratifient d’un jeu fortement charpenté, dont les multiples raffinements s’étagent devant un spectateur complètement abasourdi par une écriture aussi virtuose que le confinement habituel de la fosse rend peu perceptible.

Svetlana Ignatovich est Blanche
© Judith Schlosser

Le langage de Francis Poulenc paraît soudain d’une verdeur inouïe et se montre capable d’accès de violence débridée d’une déchirante pugnacité. La douceur céleste du matériau sonore des épisodes méditatifs paraît ici moins éthérée que raréfiée, moins sirupeuse que tragiquement étouffée. Les affrontements de la populace au dehors des murs du couvent ne trouvent certes que de rares échos dans le commentaire musical, pourtant ils restent ici constamment présents lorsque tel trait de clarinette ou tel cri de trompette déchire soudain le calme ambiant.
La mise en scène de Benedikt von Peter semble confuse de prime abord. Les acteurs sont confinés dans des espaces restreints (escaliers, cabines d’enregistrement, plateaux minuscules accrochés à diverses hauteurs de l’estrade où est installé l’orchestre). Une petite scène, montée sur roulettes, représente la chambre de Sœur Marie, qui a échappé à la guillotine et revoit ces jours d’horreur comme un long flash-back torturant. Les personnages, habillés de banals costumes noirs tirés du fonds du théâtre, occupent l’espace de façon irrationnelle, semble-t-il. Pourtant, au fil de la représentation, le spectateur comprend qu’il assiste aux premières répétitions, puis au montage et finalement au filage d’un film consacré aux derniers jours des sœurs qui endurent le martyre. La soirée nous propose alors un constant va-et-vient entre la fiction historique, sa reconstitution cinématographique et les divers épisodes qui entachent le tournage d’un film sur un plateau encombré de techniciens, figurants et journalistes. Lorsque dans la scène finale, déjà jouée en tout début de soirée comme fond sonore d’une incompréhensible et interminable séance de casting, le film terminé se superpose aux coulisses d’un plateau envahi par une foule de personnages extérieurs à l’action, le questionnement auquel le metteur en scène soumet l’ouvrage devient clair.

Hanna Schwarz est Sœur Marie

C’est en démontant la fiction, en la montrant dans sa banalité désenchantée, qu’il rend sensible au spectateur d’aujourd’hui l’horreur de la terreur qu’instaure tout régime totalitaire. Les nonnes du texte original ne sont que les porte-parole de toutes les victimes, passées, actuelles ou futures, qui laissent leur vie pour donner corps à une idée qui dérange. La fiction historique importe peu ; celle du film en train de se faire également. Ce qui reste, c’est la protestation qui s’incarne tour à tour dans ces deux formes de spectacle déjà dépassées par une réalité dont la cruauté surpasse encore celle que peut imaginer l’artiste le plus cynique.
La distribution est superbe d’homogénéité, même si son français dérange par ses sonorités pour le moins étranges. On citera pourtant le soprano charnu mais clair de Svetlana Ignatovich en Blanche, la Sœur Marie au chant véhément, admirablement percutant de Hanna Schwarz et l’étonnante Rita Ahonen en Madame de Croissy dont l’agonie semble d’autant plus terrifiante que son chant reste d’une parfaite pureté de ligne. Le reste de l’imposante distribution, trop imposante pour être citée ici intégralement, révèle une parfaite adéquation aux rôles qui lui sont confiés et fait honneur à la politique artistique d’un théâtre dont la programmation étonne autant par sa variété que par l’audace de ses choix artistiques …

Eric Pousaz