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A bâle
Bâle : L’Enlèvement au Sérail
Article mis en ligne le novembre 2007
dernière modification le 28 octobre 2007

par Eric POUSAZ

L’Opéra de Bâle a ouvert sa saison avec un Enlèvement au Sérail plutôt dérangeant : dans un décor d’une esthétique plutôt trash, le spectacle nous renvoie l’image d’une société en pleine contraditcion avec elle-même et refuse par conséquent de nous amuser en gommant toute trace de turquerie bon enfant.

Pour le metteur en scène Christoph Alden, le Sérail imaginé par le librettiste de Mozart n’est pas un lieu mystérieux enfoui dans un palais oriental, mais la prison dans laquelle nous enferme chacun de nos préjugés. Chaque être porte ainsi son sérail en soi et ne parvient à communiquer réellement. Lorsque Belmonte, par exemple, arrive devant la maison où habite Konstanze (il s’agit ici d’une bicoque préfabriquée en voie d’achèvement), il ne peut se décider à la regarder vraiment Au contraire : lorsqu’il évoque la prisonnière qu’elle héberge, il a le regard perdu d’un être qui ne pense qu’à se replier sur soi par incapacité à se confronter au réel. Et il en va de même pour tous les autres acteurs de la pièce : lorsqu’ils sont censés se parler, ils adressent leur requête au double invisible de leur interlocuteur, c’est-à-dire à l’image qu’ils se font de lui. Au final, il ne se passe donc pas grand chose sur le plateau, mais rarement aura été aussi forte l’impression de solitude désabusée qui écrase chacun au dernier rideau...
L’image que donne de l’Occident le décor plutôt glauque de Marsha Ginsberg n’est pas particulièrement flatteuse : la culture occidentale se réduit à un ramassis d’objets utilitaires (DVD Player, frigo, grille-pain, TV, lampadaire...) qui ne laissent aucune place à un vrai sentiment de la vie. Sur la porte de la ’résidence’ du pascha, une grosse inscription sprayée en une encre noire indélébile : Muslims Go Home ! Les costumes évoquent un quotidien banal : jeans. T-shirts... Et l’action scénique se réduit à une piteuse confrontation de désirs insatisfaits qui lassent avant même d’avoir été formulés. Le tout est d’une indicible tristesse, mais il est indéniable que cette mise en scène est de celles que l’on oubliera pas de si tôt.
Musicalement, l’auditeur est à la fête. Attilio Cremonesi, bien connu des Genevois pour son cycle Monteverdi au BFM, propose une lecture vif-argent de la partition : cordes soyeuses, rythmes précis, dessins au scalpel de chaque motif musical. Mieux : il incite ses musiciens à interpoler des cadences, à ornementer leur jeu comme cela se pratique dans la musique baroque telle qu’on la revisite aujourd’hui. S’ensuit un vrai dialogue entre chanteurs et musiciens qui rivalisent de subtilité pour extraire de leur partition le maximum de nuances expressives.

La distribution est d’une belle homogénéité, même si toutes les voix ne sont pas également persuasives. Laura Aikin en Konstanze survole le plateau avec sa voix agile, son timbre aérien mais fruité et surtout son art inimitable d’habiter un chant même lorsqu’il se cantonne dans les régions stratosphériques de sa tessiture, - ce n’est donc vraiment pas pour rien qu’elle reste une des meilleurs Lulu actuelles !... Rolf Romei, un jeune ténor originaire de Schaffouse, ne recule pas devant la difficulté et aborde crânement ses quatre airs avec une voix encore étroite mais magnifiquement conduite qui négocie toutes les difficultés techniques avec une aisance déjà remarquable. Karl-Heinz Brandt incarne un Pedrillo moins juvénile que de coutume, mais son timbre un brin sombre sied bien à la vision déabusée que la mise en scène propse du personnage. Agata Wilewska en Blonde impressionne par la solidité de sa technique plus que par la beauté intrinsèque du timbre. Enfin, Stefan Kocan est un Osmin au chant sonore, mais jamais gras alors que le Choeur du Théâtre et les instrumentistes du Basler Kammerorchester restent à la hauteur d’une réputaion qui n’est plus à faire.
A voir jusqu’en janvier...

Eric Pousaz