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Festival d’Aix-en-Provence
Aix-en-Provence 2007 : Compte-rendu

Vu et entendu à Aix : La Walkyrie – L’Enlèvement au sérail – L’Orfeo – Les Noces de Figaro – Madrigaux –De la Maison des morts.

Article mis en ligne le septembre 2007
dernière modification le 2 octobre 2007

par François JESTIN

L’édition 2007 du festival d’Aix-en-Provence, placée sous la nouvelle direction de Bernard Foccroule, restera dans les mémoires. Elle marque l’ouverture de la nouvelle salle de spectacles de la ville, le Grand Théâtre de Provence, qui permet d’augmenter l’offre, avec 6 spectacles ainsi
proposés sur l’ensemble des scènes au cours des 3 semaines de juillet, la qualité étant souvent superlative, en invitant les plus grands artistes.

Inauguration donc du Grand Théâtre de Provence avec La Walkyrie  : l’extraordinaire Berliner Philhamoniker est dans la fosse, dirigé par Simon Rattle. Contrairement à la direction presque chambriste de l’Or du Rhin l’année passée – il faut dire que la Cour de l’Archevêché ne permet pas d’accueillir de très nombreux musiciens – Wagner se déchaîne ici avec des cuivres brillants et précis, mais Rattle pouvant aussi alléger le volume jusqu’au murmure. La beauté du son aux cordes et aux bois est tout simplement inimaginable et indescriptible par moments.

Die Walküre : Eva Johansson (Brünnhilde) et Willard White (Wotan) © Elizabeth Carecchio

La distribution vocale n’est pas exactement au même niveau d’excellence, avec un Wotan (Willard White) de plus en plus usé vocalement, mais qui compense par un bel engagement, et un Siegmund (Robert Gambill) au medium riche et bien conduit, mais nettement moins à l’aise et enlaidi dans l’aigu. La basse Mikhail Petrenko (Hunding) est impeccable de noirceur, tandis que côté féminin, c’est Eva-Maria Westbroeck (Sieglinde) qui remporte les suffrages : le timbre est magnifique et la voix projette avec force ses sentiments et sa douleur. Avec une moins belle qualité de timbre, Eva Johansson (Brünnhilde) est très investie dans son rôle, et impressionne avec ses Hojotoho Hojotoho, sonores mais avec une pointe d’aigreur, tandis qu’on souhaiterait un grave plus présent chez Lilli Paasikivi (Fricka).
La réalisation scénique de Stéphane Braunschweig prend le parti d’une grande sobriété, qui tourne toutefois par moments au minimalisme un peu vide. Après le splendide et très élégant Rheingold de 2006, où les projections vidéo était remarquables, on avoue être un peu déçu cette année. Certaines séquences sont réussies : Wotan, au début de l’acte II, joue aux petits soldats – ou plutôt aux petites figurines du Ring ! – dans un paysage de haute montagne, ou encore la chevauchée des Walkyries qui permet à celles-ci de porter ou traîner – en rythme ! – des cadavres-mannequins de héros. D’autres idées ou « lectures » personnelles sont en revanche bien moins convaincantes, comme les jumeaux incestueux qui enfilent en fin d’acte I – au moment où ils sont sûrs qu’ils sont bien Siegmund et Sieglinde – des manteaux bien visibles depuis le lever de rideau, ou encore Wotan – Dieu des dieux faut-il le rappeler… – qui se cache sous la table à l’approche de Fricka : attention, Madame arrive et ça va barder ! Ces petites anecdotes ne mettent cependant pas en péril l’unité du spectacle, et donnent au moins l’occasion de sourire, chose rare dans une Walkyrie !

La Maison de Boulez et Chéreau
Autre moment attendu, De la Maison des morts de Janacek, nouvelle collaboration de Pierre Boulez et Patrice Chéreau – et dernière, puisque le chef a décidé de mettre un terme à la direction scénique, à l’âge de 82 ans. Après un Cosi fan tutte plutôt mitigé à Aix il y a deux ans, on assiste à nouveau à du du grand Chéreau. Encerclés de parois de béton – les décors sont signés de Richard Peduzzi – l’atmosphère du bagne sibérien est parfaitement rendue : les matons sont réellement méchants et menaçants, et les détenus sont humiliés voire brutalisés. Entre les actes I et II – la représentation est donnée sans entracte – un monceau de journaux et papiers est balancé des cintres, dans un étourdissant fracas de poussière et fumée, ce qui donnera un gros travail de ramassage aux prisonniers dans la scène suivante. Les mouvements de foule sont parfaitement réglés (le spectacle a été rodé à Vienne au printemps), et le sentiment d’oppression est constamment ressenti par le spectateur, renforcé par la tension dramatique imprimée par Pierre Boulez.
En qualité pure, le Mahler Chamber Orchestra n’est pas le Berliner Philharmoniker – pour preuve quelques débuts de couacs aux cuivres, ou encore un son du petit ensemble de cordes qui dérange les oreilles lors d’un passage – mais Boulez fait jouer les musiciens avec leurs tripes et on apprécie la fougue qui caractérise cet ensemble jeune. Entourée par l’excellent Arnold Schönberg Chor, la distribution vocale est sans faiblesse, avec en tête côté ténors Stefan Margita (Luka) dont la voix particulièrement robuste délivre un récit du crime impressionnant, le poignant John Mark Ainsley (Skuratov), le touchant Eric Stoklossa (Alieia), jusqu’au vétéran Heinz Zednik et au formidable Peter Straka, en charge de rôles assez modestes. Les registres de basse et baryton sont aussi bien défendus par Olaf Bär (Goriantchikov), Gerd Grochowski (Chichkov) dans son récit, ou encore Alès Jenis (prisonnier) dans les deux pantomimes passionnantes visuellement. Succès complet au final, avec juste une petite réserve sur le plan technique : à la demande du metteur en scène, les surtitres sont projetés en fond de décors, empêchant ainsi les spectateurs des galeries de côté (les places les moins onéreuse) de lire quoi que ce soit, ce qui fera dire à ma voisine : « les surtitres, c’est vraiment pour les riches ! ».

Et Mozart ?
Deux opéras au programme, mais l’enthousiasme a bien du mal à prendre. Avec les Noces de Figaro, données à l’Archevêché, le chef Daniel Harding déçoit dès les premières notes de l’ouverture : effets de ralentis particulièrement malvenus (fin du Non più andrai par exemple), accélérations débridées à l’inverse, que l’orchestre et les chanteurs ont bien du mal à gérer (premier air de Cherubino), mais aussi manques récurrents de dynamisme, et quelques décalages fosse – plateau …, Harding finit par irriter au-delà du supportable, surtout en comparaison de ses illustres collègues distribués dans les autres productions. C’est dommage, car les chanteurs, qui ont déjà la qualité scénique de la jeunesse, méritaient mieux. Le Figaro de Giorgio Caoduro, même s’il ne possède pas tous les graves, est un baryton bien timbré et sonore, et la Susanna de Malin Christensson une jolie soprano piquante. Les moyens sont plus importants chez la Comtesse de Kate Royal, mais certaines fins de phrases sont chantées forte (demandées par Harding ?) alors qu’on attend des piani plus subtils. Le Comte de Nathan Gunn apparaît comme le maillon faible du quatuor, le volume étant vraiment timide, avec une croix par ailleurs sur certains aigus. Le Cherubino de Malena Erman est plutôt corsé, entourée d’une très bonne Marie Mc Laughlin (Marcelina), d’un très faible Simon Kirkbride (Bartolo), et d’Alain Gabriel (Basilio) qui chante souvent faux. Heureusement que la mise en scène de Vincent Boussard est là pour nous tenir éveillés : dans un décor extrêmement dépouillé et des costumes hétéroclites et réussis (Christian Lacroix), l’action est très vivante, et les entrées et sorties semblent naturelles, sans tomber dans le théâtre de boulevard.
La reprise ensuite de l’Enlèvement au Sérail, donnée au théâtre du Grand Saint-Jean, ne nous a pas séduit autant qu’en 2004. Sans l’effet de surprise de la première vision, les gags de la mise en scène turco - bouffonne de Jérôme Deschamps et Macha Makeïeff (dont il existe un DVD BelAir Classiques) commencent à s’alourdir. Mais le plus gênant est le choix de Marc Minkowski de faire jouer son orchestre des Musiciens du Louvre-Grenoble sur instruments anciens. Si le son est plus rond et délicat qu’habituellement, il perd en épaisseur et manque de brillant, sans que la qualité de la direction de Minkowski soit mise en cause, celui-ci imprimant l’exacte pulsation mozartienne. Les chanteurs manquent aussi de brillant dans l’ensemble : à côté d’une Konstanze (Marlis Petersen) aux beaux moyens, mais qui s’affole un peu dans l’aigu forte, le Belmonte de Christophe Strehl manque de maîtrise dans l’aigu et la vocalise, le couple Blonde – Pedrillo (Rebecca Bottone et Loïc Félix) est un peu en retrait, tandis que Alan Ewing est plus convaincant dans Osmin.

Monteverdi, ou l’esprit du festival
Autre reprise, cette fois dans la Cour de l’Archevêché, la production de l’Orfeo du Théâtre de la Monnaie de 1998 est un enchantement. Le spectateur n’assiste pas vraiment à une mise en scène, mais à une chorégraphie continue, signé par Trisha Brown, dont il existe un DVD Harmonia Mundi capté en 1998 à Bruxelles. L’esthétique est constante, ainsi que la fluidité des chanteurs et danseurs, sauf peut-être un petit manque de naturel pendant quelques instants dans la gestuelle imposée à Orfeo (le baryton Stéphane Degout). Il est aussi admirable de constater qu’aucun accessoire n’est présent sur scène – mise à part la rame de Charon, passeur vers les Enfers – les personnages évoluant souvent dans des costumes blancs, sous des éclairages magnifiquement colorés. René Jacobs, à la tête de son Concerto Vocale, est complètement dans son élément : la musique est moelleuse, et le plus vieil opéra du monde – officiellement – n’a jamais paru aussi jeune avec ses 400 printemps. Sur le plan vocal, c’est évidemment Stéphane Degout dans le rôle-titre qui attire d’abord l’attention ; la voix est ample, bien projetée et il chante toutes les difficiles vocalises. Le reste de la distribution est presque entièrement assuré par les solistes de l’Académie européenne de musique, pour un résultat remarquable de qualité et de fraîcheur, et si un nom seulement était à retenir, ce pourrait être celui de la superbe mezzo Anna Stephany. C’est certainement ce spectacle – même si d’autres ont fait l’évènement cette année – qui rejoint l’esprit des créateurs du festival d’Aix : une douce nuit d’été, un ciel étoilé, et du plaisir plein les yeux et les oreilles.

Les Madrigaux de Monteverdi © Elizabeth Carecchio

Monteverdi encore avec un spectacle de Madrigaux, donné sur à peu près toute la durée du festival avec les élèves de l’Académie, et qui décolle à un haut niveau artistique. Un ensemble de 5 musiciens, sous la direction au clavecin de Kenneth Weiss, ancien assistant de William Christie, soutient un groupe de 5 chanteurs, dont on remarque la soprano Judith van Wanroij. La mise en scène de Arco Renz, sur un plateau totalement noir, détache des néons descendus des cintres, qui se reflètent par la suite sur des tôles métalliques. Aux côtés d’une danseuse chinoise aux seins nus (Wen-Chi Su), qui propose une espèce de Tai chi agrémenté de quelques saccades impressionnantes, les solistes interviennent tour à tour, et le spectacle gagne en tension dramatique au cours du dernier Combattimento di Tancredi e Clorinda. C’est aussi sur son Académie de jeunes artistes que repose l’avenir du festival d’Aix-en-Provence, ceci même à court terme : ces Madrigaux seront en tournée à Sceaux, Monte-Carlo et Bordeaux jusqu’à février 2008.

François Jestin

Wagner : DIE WALKÜRE : le 1er juillet 2007 au Grand Théâtre de Provence
Mozart : DIE ENTFÜHRUNG AUS DEM SERAIL : le 6 juillet 2007 au Théâtre du Grand Saint-Jean
Monteverdi : MADRIGAUX : le 7 juillet 2007 au Théâtre du Jeu de Paume
Mozart : LE NOZZE DI FIGARO : le 13 juillet 2007 au Théâtre de l’Archevêché
Monteverdi : L’ORFEO : le 14 juillet 2007 au Théâtre de l’Archevêché
Janacek : DE LA MAISON DES MORTS : le 16 juillet 2007 au Grand Théâtre de Provence