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Grange de Dorigny, Lausanne
Lausanne : “Lignes de faille“

La Compagnie Switch présente une adaptation théâtrale du roman Lignes de faille de Nancy Huston.

Article mis en ligne le avril 2010
dernière modification le 22 mai 2010

par Nancy BRUCHEZ

Du 14 au 25 avril, à la Grange de Dorigny, la Compagnie Switch présente Lignes de faille de Nancy Huston. L’adaptation, réussie, est signée Véronique Reymond qui assure également la mise en scène aux côtés de Stéphanie Chuat, sa complice de longue date. Nancy Huston évoque dans ce roman les drames silencieux de l’enfance et relate un profond traumatisme qui va marquer plusieurs générations d’une même famille.
Entretien avec le duo féminin de la Compagnie Switch.

Vous avez fondé la Compagnie Switch. Quels sont vos rôles respectifs ?
Stéphanie Chuat : On est complémentaires. J’aime bien m’occuper des relations publiques, Véronique respecte les budgets. Cela correspond à nos natures. Nous venons de finir un long métrage, La petite chambre, avec Michel Bouquet. On nous a souvent demandé qui réalisait le film, et bien… c’est nous deux ! Concrètement, c’est un film qui s’est fait à quatre yeux et à quatre mains. Et c’est pareil pour tout ce que nous faisons, avec des nuances : certaines phases de travail vont être plutôt déléguées à l’une qu’à l’autre, mais cela se fait naturellement. Notre collaboration fonctionne très bien. A la base nous sommes toutes les deux comédiennes et nous avions un rapport de comédiennes aux choses. Maintenant, on écrit, on réalise, on met en scène, nous avons plusieurs domaines d’expression, ce qui contribue à la longévité de notre collaboration.
Véronique Reymond : Pour Lignes de faille, précisément, j’ai écrit l’adaptation, mais Stéphanie l’a lue plusieurs fois en me faisant des remarques très précises et pertinentes.

Véronique Reymond et Stéphanie Chuat

Pourquoi avez-vous choisi d’adapter Lignes de faille ?
SC Les deux spectacles précédents étaient des textes écrits par Véronique et on a eu envie cette fois-ci de ne pas prendre un texte original et de changer. On a réfléchi à un texte qui nous avait marquées au cours de ces derniers mois. Nous sommes tombées d’accord sur ce livre, Lignes de faille, qui n’est pas une pièce de théâtre. Je l’avais reçu deux ans de suite pour mon anniversaire. C’était un signe ! (rires)
VR On l’avait reçu toutes les deux pour nos anniversaires. Nous nous sommes aperçues que beaucoup de gens avaient lu ce roman, beaucoup nous en ont parlé comme d’un livre très touchant. Les thèmes évoqués comme la famille, les origines, les liens entre générations, sont des sujets qui nous ont fortement intéressées.
SC L’écriture des personnages en soi est aussi extraordinaire dans ce roman. On est toujours triste de quitter un personnage, mais Nancy Huston arrive à nous faire entrer dans l’univers du suivant sans pour autant nous faire regretter le précédent. Il y a un autre élément qui a favorisé notre choix. Nous avions réalisé un documentaire sur Howard Buten et nous avions rencontré Nancy Huston dans le cadre de ce film pour un entretien. Elle nous a beaucoup marquées en tant que personne et cette rencontre a accentué l’envie de monter ce projet. Nous avons osé franchir alors le pas pour adapter ce livre.

Avez-vous collaboré avec Nancy Huston pour ce travail d’adaptation ?
VR Très vite, on lui a fait part de notre projet. A la base, il y a un choix assez drastique, puisque nous avons décidé de nous intéresser à quatre personnages, alors qu’il y en a évidemment beaucoup d’autres dans le livre. Ce sont les quatre enfants qui racontent leur récit, les quatre figures qui joueront sur scène. Nancy Huston a accepté cette option dès le départ et l’a trouvée intéressante, ce qui était déjà un immense encouragement. On a gardé la structure du livre, mais on a choisi une forme très minimaliste par rapport au roman. On a essayé de conserver l’essence de la Ligne de faille. L’essence de ce qui fait la faille ou les failles de cette famille, jusqu’à retrouver, à l’origine, le traumatisme des "Lebensborn". J’avais vraiment le trac au moment de faire lire mon adaptation à Nancy Huston. D’un roman, il a fallu faire une pièce de théâtre. J’ai donc coupé, j’y suis allée franchement. J’ai été d’autant plus heureuse lorsqu’elle a approuvé l’adaptation à la première lecture. Elle tient énormément à ce texte et elle n’a pas envie qu’on détruise ce qui en fait la force.

« Lignes de faille »

La musique tient une place prépondérante dans votre spectacle.
VR Lignes de faille est divisé en quatre périodes bien distinctes : les années post-2000, les années 80, les années 60 et enfin les années 40 de la fin de la guerre. Nous voulions redonner son contexte à chaque époque. Il y a plusieurs façons de le faire : les costumes, les décors et le son. Et c’est par le son que nous avons choisi de restituer la saveur des époques. C’est assez jubilatoire de se replonger dans la musique des années 80, par exemple. Pour nous il est important qu’un spectacle, bien que tout à fait sérieux puisqu’on touche ici à des thèmes dramatiques, reste visuellement une joie, qu’il rappelle des choses et que le spectateur puisse s’y identifier. La musique est un excellent moyen d’identification.
SC Ce n’est pas seulement la musique, mais toute la bande-son. Avec des sons d’époque, des bruits d’aéroport, des chants arabes, israéliens, il y a des mélanges qui ne sont pas des chansons.
VR Comme ce sont des récits d’enfants, eux-mêmes nourris par les dialogues de leurs parents, il y a tout un contexte sonore intéressant à travailler et à créer pour habiller ces monologues.

Yves Jenny et Valerio Scamuffa partagent l’affiche avec vous.
SC Nous admirons beaucoup ces comédiens. Nous avions rencontré Yves Jenny sur scène dans le spectacle Les Amantes en 2001. Nous avions joué ensemble sur une très longue période. Nous souhaitions poursuivre une collaboration professionnelle avec lui et c’était l’occasion. En ce qui concerne Valerio Scamuffa, nous l’avions remarqué dans Gênes 01, dans un monologue où je l’avais trouvé très impressionnant.
VR Dans notre choix, le timbre des voix a été aussi très important. Il fallait, pour jouer des enfants, des voix claires et douces...

« Lignes de faille »

Quand on lit le livre de Nancy Huston, on apprend à la toute fin, à la lumière de la vie de l’arrière-grand-mère, Erra, des éléments qui nous permettent une autre lecture du livre. Qu’en est-il de la pièce ?
VR Comme quand on lit le livre, on va comprendre des choses à mesure que la pièce avance. Pour écrire l’adaptation, j’ai commencé par la fin du livre et je suis allée dans le sens de la temporalité et non pas à rebours. Les éléments qui sont inscrits dans le récit d’Erra, sont inscrits dans les générations futures et pas le contraire. Il est vrai qu’à la fin du roman, on a envie de le relire pour comprendre des éléments qui nous auraient échappé. Dans l’adaptation scénique, c’est peut-être plus simple, car il y a des éléments auxquels j’ai renoncé. En revanche, cela donnera peut-être envie aux gens qui ne l’ont pas encore lu, de lire le roman.
SC Ceci dit, c’est important que les gens qui n’ont pas lu le livre puissent aussi entrer dans le spectacle. La lecture du roman n’est pas un pré-requis pour comprendre la pièce.

Propos recueillis par Nancy Bruchez

« Lignes de faille », du 14 au 25 avril, Grange de Dorigny, UNIL