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La Comédie de Genève
Genève : “Un Tramway“ de Warlikowski

Warlikowski à Genève : Actualités

Article mis en ligne le 1er juin 2011
dernière modification le 14 février 2014

par Stéphanie LUPO

Du 14 au 16 juin prochain, la comédie de Genève accueille Kzrysztof Warlikowski pour sa mise en scène Un Tramway, adapté d’Un Tramway nommé désir de Tennessee Williams. L’actrice française Isabelle Huppert y joue le rôle de Blanche.

Le Tramway
C’est à la première de sa mise en scène du Dibbouk, à Paris en 2003 que Warlikowski fait la connaissance d’Isabelle Huppert. Depuis elle avait vu toutes ses pièces. Lors d’une interview l’an dernier il raconte qu’ils ont beaucoup discuté, puis qu’ils se sont revus à chacun de ses spectacles. Elle lui a alors dit qu’elle voulait aller plus loin que ces discussions et il a pensé à elle pour le rôle de Blanche dans Un tramway nommé Désir de Tennessee Williams, qui dit-il « touche à des tabous toujours présents : l’homosexualité, la place de l’étranger, le désir féminin… »

La première de ce spectacle a eu lieu au théâtre de l’Odéon en 2010, et de février à avril, comme c’est toujours le cas avec ce metteur en scène polonais l’accueil a été très controversé. C’est l’adaptation de la pièce notamment recentrée sur le personnage de Blanche et réalisée par l’auteur et metteur en scène Wajdi Mouawad qui a fait le plus polémique. On a reproché une langue presque banalisée. Warlikowski parle lui de langue « directe », le but étant de radicaliser et moderniser la narration. Il raconte qu’ « avec Wajdi Mouawad, ils ont écrit des monologues pour Blanche, à filmer et projeter sur scène. L’idée centrale était de revenir sur la vie d’une femme qui va finir en hôpital psychiatrique. » La performance de l’actrice a été partout saluée, et la rencontre attendue entre ces deux grands artistes de la scène est un véritable et sans pareil voyage au bout de la folie. 

« Un Tramway » avec Isabelle Huppert
© Pascal Victor / ArtComArt

Mises au point
Warlikowski est considéré comme un des plus importants metteurs en scène polonais aujourd’hui et compte parmi les incontournables du théâtre européen. Il a débuté comme metteur en scène en 1989 après des études de philosophie et d’histoire à Cracovie, puis d’histoire du théâtre à la Sorbonne à Paris. Assistant de Krystian Lupa, l’un des plus grands hommes de théâtre du pays, d’environ deux générations son cadet, il partage avec lui, « la fétichisation de la sensibilité excessive en tant que moyen d’expression de soi et de contact, l’ambivalence sexuelle des personnages, la recherche d’une mise à nu », le désir de révéler une qualité d’être masqué dans la vie réelle. Dans un ouvrage qui lui est consacré paru chez Actes Sud, intitulé Kzrysztof Warlikowski- Le théâtre écorché, il dit notamment que le « théâtre devrait être avant tout un outil de connaissance ». Avec Malgorzata Szczesniak sa scénographe depuis de longues années, il semble souvent présenter des anges déchus, dans des décors glaciaux, représentant une réalité sans âme, aux tons presque chirurgicaux, labyrinthes, abattoirs ou filets. Lieux d’ inévitables et récurrentes chutes, d’« êtres en manque de pureté et à la recherche de l’amour », écrit Georges Banu, voués à un « échec qui toutefois les rehausse ». Les personnages de Warlikowski, incarnés par des acteurs toujours remarquables sont des « inadaptables qui se brûlent les ailes malgré leur appétit d’accès à ce qui leur manque ». Le théâtre de Warlikowski est marqué par une sorte de crudité de la souffrance, dévoilée, montrée, affrontée en direct sur le plateau et sans filets, et dans le paradoxe d’une beauté extrême qui frôle souvent l’insoutenable. Piotr Gruszczynski, théoricien du théâtre et dramaturge de nombreux spectacles de Warlikowski dit que son théâtre est « beau jusqu’à l’obsession », qu’il oscille entre « le sanctuaire et l’abattoir ». Il dit encore dans un essai de synthèse sur les acquis de Warlikowski, que le metteur en scène polonais cherche à rendre la souillure perceptible. Pour ce fait, écrit-il, « il faut d’abord la nettoyer et la transposer dans les plus hautes sphères de l’art. » Il ne faut pas non plus laisser de place au sentimentalisme. « D’où la froideur de ses représentations, la distance prise par les acteurs vis-à-vis des personnages créés (paradoxalement) avec les plus profondes strates de leur émotion personnelle. »

« Un Tramway »
© Pascal Victor

Parmi les auteurs de prédilection de Warlikowski, il faut citer Shakespeare dont il a monté environ 10 pièces. Il a monté également Koltes, Sophocle, Euripide. Son travail sur Purifiés de Sarah Kane, en 2001, a été un événement marquant du paysage théâtral polonais. Avec le Dibbouk en 2004, il poursuit avec un thème fort dans son théâtre : son intérêt pour la question juive, lue à travers la perspective de l’holocauste. Thème qu’il a abordé de nouveau avec (A)pollonia qu’il a montré à Avignon en 2009, et vu l’an dernier à Genève. Il avait déclenché alors des réactions électriques. Tandis que certains s’enthousiasmaient pour ce fulgurant cut-up télescopant Eschyle et Jonathan Littell, d’autres l’accusaient d’antisémitisme. En 2007 sa mise en scène de Angels in America de Tony Kushner avait par ailleurs obtenu un succès retentissant à Avignon puis le temps d’une longue tournée européenne. Là encore il s’agissait de tabous, d’identités sexuelles troubles et d’anges véritablement en train de déchoir dans une atmosphère de fin du monde.

Actualité
Cette saison il a montré Koniec/(la fin), un de ses spectacles les plus autobiographiques, à partir d’un montage de trois textes (Koltes, Kafka, J.M. Coetzee) et qui tous avaient en commun de se pencher sur une étape existentielle : des faces à face avec la porte, celle de la loi, de la vie, de la mort.
Toute son équipe, comme une compagnie, ce qui est assez rare en Pologne, travaille actuellement à un spectacle intitulé Contes africains d’après Shakespeare dont la première aura lieu au théâtre de La place à Liège le 5 octobre 2011. Fidèle à son habitude de faire résonner différents textes, il s’emparera de Shakespeare en se basant sur les textes d’ Othello, du Marchand de Venise et du Roi Lear, dont les héros (Othello, Shylock, Lear) sont autant de dieux qui tombent. Warlikowski éclaire leur destin à la lueur des écrits de J.M. Coetzee, le prix Nobel de littérature sud-africain, pour questionner une nouvelle fois une vision de l’homme explorant ses limites.

Stéphanie Lupo