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Le Poche Genève
Genève, Le Poche : “Le Quai“

Le Poche présente Le Quai de Jacques Probst dans la mise en scène de Camille Giacobino.

Article mis en ligne le octobre 2008
dernière modification le 21 octobre 2008

par Julien LAMBERT

Femme de terrain, de cœur et non de théories, Camille Giacobino parle des comédiens qu’elle dirige dans Le Quai de Jacques Probst comme d’êtres aimés et déjà fantasmés en rôles. Elle raconte ainsi en filigrane l’histoire d’une voyageuse échouée de nulle part dans le jardinet d’un garde-barrière, en bordure des rails de la vie, kidnappée psychologiquement par une famille maudite en quête de mère. Rencontre.

Engagée en tant que comédienne dans deux expériences intenses cet été, le carnavalesque Songe d’une nuit d’été de Polier puis le déplumage polémique de La Mouette par Didier Nkebereza, Camille Giacobino s’apprête à prendre un break à l’heure de l’interview.

Camille Giacobino

Pour mieux repartir sur sa cinquième mise en scène, Le Quai de Jacques Probst, du 27 octobre au 23 novembre au Poche. «  J’ai encore le désir de me mettre à disposition de l’imaginaire d’un autre, de faire partie de groupes forts dont je ne sois pas le canalisateur  », dit-elle pour expliquer sa double position. La troupe de Frédéric Polier, son mari, lui a souvent permis cette saine abnégation, tout en la conseillant pour ses propres mises en scène.
Giacobino n’a pourtant pas encore fait jouer son truculent époux : «  j’ai commencé par diriger des comédiennes ; les femmes sont moins mystérieuses pour moi, alors qu’avec des acteurs masculins s’instaure systématiquement un rapport de séduction qu’il faut déjouer, utiliser. C’est la première chose qui lie metteur en scène et acteurs : de l’amour. »

Une famille dangereuse
Elle a ainsi auditionné une soixantaine de comédiens, croyant «  mourir de déchirements », pour trouver en fait par instinct affectif des interprètes évidents du Quai, dont elle parle comme s’ils en étaient déjà les personnages ressuscités. « Michel Rossy est baraqué, une grosse bête pleine d’humour qui a le goût exultant de la jouissance. Il rend ambiguë la situation du père garde-barrière qu’on imaginerait trop simplement faible et rachitique à la lecture, pour son envie de s’éterniser dans son jardinet hors du monde. Ses deux filles sont sombres et étranges, Elodie Weber faisant l’enfant désobéissante voire maléfique, Carine Barbey l’ado hargneuse à la beauté sulfureuse de garçon
manqué.
 »
Il en résulte la famille « dangereuse » du Quai, qui écoute les trains qui ne passent plus et accapare une voyageuse venue de New-York par Le Havre, jamais parvenue sur le quai parisien où l’attendait son amour. « Nathalie Lannuzel (voir entretien) incarne pour moi une beauté du passé, dans le genre femme fatale de Marlène Dietrich. Je n’ai pas voulu d’une femme trop mûre, qui représenterait trop automatiquement la mère et l’épouse que le garde-barrière se réinventerait après le suicide mystérieux de la sienne. Elle doit plutôt débarquer d’un autre monde, d’un accident du temps qui reste sans explication.  »

Vampirisme
Camille Giacobino compte donc exploiter le ton de mystère d’une pièce qui se déroule comme un polar, entre reconstitution de l’accident de train à la source de cette rencontre, et d’une réalité fantasmée, pour exacerber dans l’érotisme une relation « cannibale » entre les filles du garde-barrière et l’inconnue déphasée. «  Si elles la capturent, c’est par désir de se transformer en l’autre, de vampiriser celle qui représente l’ailleurs, la beauté, le développement de soi.  » Cette obsession occulte de la transmission de « fantômes », de « malédictions » héréditaires qui musellent le développement de l’individu, semble hanter toutes les réalisations de la jeune metteuse en scène, comme dans L’Amour en visite présenté en 2006 à la Grenade ou Quand la vie bégaie de Valérie Poirier cette année au Galpon. « La famille me sert de microcosme pour reconnaître dans l’infiniment petit les grands principes de fonctionnement de toute société humaine. »

Besoin d’émotions, pas de concepts
La metteuse en scène s’affirme donc en défenseuse anachronique d’un théâtre d’histoires, de psychologie, plus que de rigueur dramaturgique. «  Je revendique le sentiment et vois qu’en ce moment le public a besoin d’une reconnaissance de l’émotionnel et de l’histoire privée pour être touché. Le partage de pensées est important aussi, mais il n’impose pas une froideur conceptuelle. » Ce matériau humain, elle l’a trouvé dans le théâtre de Probst, qu’elle croyait d’abord « trop viril » pour elle. Or si le poète des boxeurs et des va-nu-pieds parle si bien des femmes, c’est sans doute qu’il « a écrit ses pièces pour les femmes qu’il aime », et Le Quai «  comme une terre d’accueil, comme s’il attendait Juliana Samarine avant même de la connaître ». L’impatience est donc grande de voir une jeune femme empoigner avec sa sensibilité la « langue abrupte et sensuelle » d’un auteur souvent mis en scène par ses pairs.

Julien Lambert

Au Théâtre Le Poche du 27 octobre au 23 novembre.
Réservations : 022 310 37 59