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Théâtre du Crève-Cœur, Cologny
Entretien : Richard Vachoux

Trois questions à Richard Vachoux.

Article mis en ligne le avril 2010
dernière modification le 18 mai 2010

par Anouk MOLENDIJK

En marge de la création, au Théâtre du Crève-Cœur, de Madame fait ce qu’elle dit de Roland Dubillard, le metteur en scène Richard Vachoux a accepté de répondre aux questions de Scènes Magazine.

Qui est Madame, personnage presque unique de son propre drame ?
Elle n’existe pas. Toute la dramaturgie de Dubillard consiste à créer un univers dans lequel les êtres sont dans un état d’absence. Les personnages ne discutent pas, ils sont reliés par leur non-présence. Il n’y a pas de réflexions. Les choses n’existent, chez Dubillard, que parce qu’elles sont prononcées, et non pas pensées. La fabrication des mots est la seule chose qui reste pour une conscience dégoûtée comme celle de Dubillard. Il s’agit d’un véritable poète au désespoir ironique, humoristique. Cette œuvre témoigne du problème de l’identité de l’artiste, qui doit fabriquer un autre langage, contre le langage commun, qui n’est plus sensible. Et ce nouveau langage sera encore plus incompréhensible. Pour Dubillard, le langage sépare ; il y a comme un « nœud impossible à défaire », comme dit Madame, l’impossibilité de communiquer.

Richard Vachoux

En quoi Madame fait ce qu’elle dit est-elle “la merveille“ que vous attendiez, selon vos termes ?
C’est curieux de dire ça effectivement. Chaque fois que je découvre une œuvre, c’est une merveille. C’est en rapport avec la réminiscence et la renaissance. Si l’œuvre d’un auteur n’est pas d’une beauté surprenante, qui choque, ce n’est pas un bon auteur ou la pièce n’est pas bonne. L’étrangeté de Dubillard m’a fait le même effet que lorsque j’ai découvert La Cantatrice chauve, un état à courir sur les boulevards, un état euphorique, parce que j’ai entendu un nouveau langage comme révolte contre un langage uniformisé, mondialisé. La merveille, c’est ça, c’est un déclencheur qui se fait à la lecture d’une œuvre, qui révèle l’étincelle possible d’émerveillement. La pièce de Dubillard n’est pas une pièce, c’est un monologue à plusieurs voix, écrit sous l’effet d’un choc affectif, psychique, psychomoteur. Dubillard écrit par un langage plus pur, plus net que n’importe quel langage fondé sur la raison. Ce qui m’a fasciné, c’est qu’on comprend mieux parce que ce n’est pas expliqué.

Comment servir Madame au mieux, en tant que metteur en scène, et comment gérer l’absence de dialogue entre les différentes voix ?
Ce n’est pas une œuvre faite pour le théâtre. La profération fait tout exister, la pensée et les sentiments sont dans la chair des mots. Le personnage n’existe pas, c’est une imposture mimétique épouvantable. Madame est donc toutes les voix, les autres sont sa voix, toutes les voix s’entremêlent. La réverbération des acteurs (Anne Vaucher, Josette Chanel, Aline Gampert et Julien Lambert) va, j’espère, expliciter l’individualité de Madame. J’ai tout de suite senti qu’il fallait mélanger les voix pour faire disparaître toute identification possible. Il y aura une redistribution des voix, pas considérable, mais suffisante pour que l’on doute que l’homme puisse être lui, puisse dire « je suis moi ». Les comédiens vont inventer cette pièce, car ils sont nantis d’un pouvoir que personne n’a au monde, celui d’inventer un nouveau langage. Cette pièce est irracontable et c’est dans la mesure où l’on ne comprendra pas, que l’on comprendra.

Propos recueillis par Anouk Molendijk