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Théâtre Saint-Gervais Genève
Entretien : Eric Salama

Kreuger’s Business, ou l’école du commerce et de la finance

Article mis en ligne le 1er mai 2011
dernière modification le 2 novembre 2013

par Claudia CERRETELLI ROCH

Un homme qui est à la tête d’un empire est trouvé mort dans une chambre d’hôtel parisien. Il s’est visiblement tiré une balle en plein cœur. Ce fait n’est pas récent, mais pourrait l’être. Il date de mars 1932 et il est la conséquence du crach boursier de 1929. Cet homme, le roi de l’allumette, représente une tête du libéralisme sans bornes mais aussi un symbole de l’empire qui ne tient que sur des paquets d’allumettes. Image très parlante d’une histoire sans cesse répétée, au cours du vingtième siècle, qui est à la base de la pièce de théâtre qui se jouera au théâtre Saint Gervais du 3 au 21 mai 2011. Entretien avec Eric Salama.

Eric Salama, il est rare d’entendre parler d’un homme qui se serait suicidé en se tirant une balle en plein cœur…
En effet, l’hypothèse d’un meurtre fait partie des nombreuses réflexions qu’on s’est faites au cours de l’enquête. Il y en a eu d’autres, comme celle du coup monté. Mais ce n’est bien entendu pas le suicide de cet homme qui m’intéresse, qui était aussi le roi des escroqueries : détournements, faux et usage de faux, trafics d’influences, sociétés fictives, bref, tout ce qui se fait aujourd’hui en matière d’économie planétaire. Le cours économie est d’ailleurs le point de départ de la pièce qui est construite au début sur le thème de la salle de classe. C’est à ce moment, qu’on perçoit toutes les facettes du monde du business…

Comment avez-vous envisagé la mise en scène ?
Je l’envisage comme un amphithéâtre mais cela pourrait aussi ressembler à un cirque, où le spectateur en impliqué tout autant que les comédiens. En outre, les cartons qui contiennent les boîtes d’allumettes se prêtent à une belle récupération en d’autres concepts : bureau, boites secrètes, boites à surprises. Je ne peux certainement pas demander aux comédiens de faire des numéros de cirque, mais l’idée pourrait aussi être celle là…Tout en dans l’élaboration de concepts qui se matérialisent dans des boîtes. Mon but est avant tout de raconter une histoire ; la mise en scène est juste un moyen, mais ne doit en aucun cas prendre le dessus sur l’histoire.

Eric Salama
© Stéphane Pecorini

Le texte de Jan Bendrik est humoristique. Comment avez-vous mis en scène ce texte ?
J’ai gardé l’humour, mais j’ai adapté certaines parties et j’ai même fait des ajouts qui sont adaptés à la scène. Le cours d’économie, par exemple, est bien plus ludique qu’un vrai…même s’il ne faut pas oublier que le rire est directement lié au tragique. Même un adultère est drôle pour une personne extérieure, pas pour celui que le vit. C’est d’autant plus vrai pour un fait, comme l’économie, qui concerne des millions de personnes.

L’école est un thème qui se trouve dans le titre mais aussi une expérience que vous avez faite, en tant qu’enseignant de physique. Pensez-vous faire une pièce didactique, ou militante, comme Brecht ?
Tout d’abord je tiens à dire qu’on a souvent taxé Brecht de prosélytisme, mais je pense avant tout qu’on pourrait l’accuser de ne pas en avoir fait, justement. Ses pièces sont très subtiles, et son idée n’était pas de dire et redire le même concept, mais de surprendre le spectateur, en lui laissant percevoir des concepts que ce dernier n’avait pas avant de venir. En ce sens, je préfère aussi laisser le débat ouvert. Je ne fais aucunement du militantisme, pour lequel je n’ai pas de sympathie. Pour moi, ce dernier est fait de slogan, pas de réflexion et encore moins de théâtre. Je souhaite amener le spectateur à un point de vue anti-libéral, mais sans prosélytisme ni morale. C’est une pièce drôle, avant tout !
Pour en revenir à l’école, j’ai fait une longue expérience dans ce domaine, bien que j’aie préféré me concentrer sur le théâtre par la suite. J’ai trouvé amusant de placer Kreuger (Jerôme Richer) dans le rôle du cancre, puisque chaque classe en a un. C’est aussi un clin d’œil à un système que je connais, où il faut toujours classer les élèves par leurs notes, où les premiers d’une classe peuvent devenir l’année d’après les derniers d’une classe où il y a d’autres premiers, par exemple ; ce qui mène par la suite à cette guerre des uns sur les autres.
L’économie, une vengeance de cancre ?...

Propos recueillis par Claudia Cerretelli Roch