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Opernhaus Zurich
Zurich : entre reprise et nouveautés

Vu et entendu : Tristan und Isolde - Gesualdo - Guillaume Tell

Article mis en ligne le février 2011
dernière modification le 17 février 2011

par Eric POUSAZ

La reprise de la superbe mise en scène réglée par Claus Guth aurait dû
permettre à Waltraud Meier de présenter une nouvelle fois son brûlant portrait de l’héroïne wagnérienne. Un différend avec le chef d’orchestre Bernard Haitink a empêché ses retrouvailles avec le public zurichois et c’est un substitut en provenance de Stuttgart qui a eu les honneurs de cette reprise.

Tristan und Isolde
Berbara Schneider-Hofstetter possède une voix volumineuse qui traverse ces trois longs actes avec une facilité frisant l’insolence : les aigus sonnent clairs, le médium est brillant et le grave, légèrement en retrait, passe pourtant facilement la rampe dans le petit auditorium zurichois.

« Tristan und Isolde » avec Michelle Breedt
© Suzanne Schwiertz

Si l’enthousiasme n’est pas à son comble, c’est que ce portrait d’Isolde est dessiné à trop gros traits pour rester émouvant et le débit, toujours orienté vers la recherche de puissance, finit par donner l’impression que la cantatrice cherche d’abord à mettre en avant se atouts au lieu de les mettre au service d’une interprétation fouillée qui nécessiterait quelques recherches supplémentaires de notes se cantonnant dans le registre piano. Ce défaut est également celui de Peter Seiffert qui fait étalage d’un ténor solide, agréablement barytonnant, mais toujours pétulant de santé même dans la longue agonie du 3e acte. A eux deux, ces interprètes ont certainement dû battre des records de décibels dans un duo d’amour qui s’écoutait comme une confrontation de tempéraments mal assortis, non comme une fusion où l’entrelacs des timbres eût pu susciter la lente montée de la passion. Michelle Breedt conférait à Brangäne un profil autrement plus subtil grâce à un chant qui restait toujours en deça de ses énormes possibilités. Martin Gantner prêtait à Kurvenal son timbre flamboyant qui lui permettait de rendre justice au côté plus rustique du personnage ; Matti Salminen, dans un bon jour, sut donner au Roi Marke toute l’ambiguïté que suggère le texte sans malmener une voix moins souple qu’autrefois, certes, mais toujours aussi prenante par son insondable noirceur.
Bernard Haitink proposait de la partition une approche assez fruste : puissant à l’excès, son accompagnement dressait un véritable rempart sonore entre le plateau et la salle : l’auditeur admirait la virtuosité de l’orchestre et la subtilité des rapports établis par le chef entre les diverses séquences du drame mais l’excès de puissance frisait en plus d’un endroit la saturation. Quant à la mise en scène de Claus Guth, avec son décor bourgeois planté sur plateau tournant qui donne à voir la villa Wesendonck sous plusieurs angles, elle reste d’une puissance évocatrice admirable, d’autant que les éclairages de Jürgen Hoffmann transforment ces lieux assez impersonnels en de superbes paysages psychologiques : le duo d’amour chanté en pleine salle à manger et consommé sur la table même où gisent les reliquats d’un grand repas n’en finit pas de choquer ou d’enthousiasmer.les wagnériens amateurs ou ennemis de tout effet de distanciation.

Gesualdo
L’Opéra de Zurich, dirigé depuis bientôt vingt ans par Alexander Pereira, ne s’est pas signalé par une politique de créations très active. On savoure d’autant plus la mise à l’affiche de Gesualdo. un opéra commandé expressément par l’institution zurichoise auprès du compositeur français Marc-André Dalbavie. Le sujet n’est pas neuf, - on se souvient notamment de la création de l’ouvrage de Schnittke sur la scène de l’Opéra de Vienne il y a quinze ans et de l’opéra de Salvatore Sciarrino, composé sur ce même sujet sous le titre Luci mie traditrici que le Grand Théâtre a mis à l’affiche il y a quatre ou cinq ans ans – mais ici l’histoire commence après le meurtre, lorsque Gesualdo se retrouve emprisonné volontairement dans un château situé loin de la ville pour échapper à d’éventuelles poursuites judiciaires. L’œuvre dépeint la solitude du musicien de la Renaissance et la tyrannie qu’il exerce sur les membres de sa famille qui résident dans sa demeure.

« Gesualdo » avec Rod Gilfry
© Hans Jörg Michel

L’intérêt de la composition réside dans l’exploitation de quelques pièces vocales du compositeur italien savamment intégrées dans le flux musical du compositeur contemporain. Au lieu d’apparaître comme des corps étrangers, ces retours en arrière nourrissent le discours jusqu’à influencer la structure de la ligne de chant des personnages principaux dont l’idiome reste résolument moderne malgré ces subits emprunts à un art musical délicieusement décalé.
Le compositeur, qui dirige cette création lui-même, veille à donner le maximum de relief à une écriture instrumentale qui manque parfois de contrastes car l’absence d’intrigue véritable réduit à néant toute tentative de mise en perspective contrastées des diverses séquences du drame. Il y a bien quelques instants de révolte, notamment lorsque le fils du premier lit reproche à son père l’assassinat de sa mère, mais le ton de conversation, même rageuse, prévaut et empêche de véritables éclats qui seraient traités par le musicien comme de grands épisodes dramatiques. Le bon ton domine tout le temps, et l’on peut craindre que cette uniformité ne nuise à la popularité d’un titre qui possède pourtant de grandes qualités saisissables dès la première audition.
La distribution est dominée par le Gesualdo de Rod Gilfry : son timbre sombre mais prenant domine la soirée de son ampleur et de son éclat ; en face de lui, Benjamin Bernheim, un jeune ténor formé en Suisse Romande, fait mieux que de la figuration et s’impose comme un révolté capable de tenir tête avec succès à son père grâce à son portrait vocal éblouissant du fils rebelle. La voix ample de Liliana Nikiteanu convient parfaitement au hiératisme d’Eleonora, un personnage enfermé dans ses contradictions, tandis que le soprano clair et impétueux d’Hélène Couture, malgré quelques traces d’effort, rend pleinement justice au seul personnage réellement vivant de ce drame. Les rôles secondaires sont confiés à Konstantin Wolff, Gabriel Bermúdez, Jérôme Billy ou Marie-Adeline Henry qui s’acquittent de leur tâche souvent ardue avec une aisance confondante alors que les six madrigalistes en charge de la musique de Gesualdo s’intègrent sans peine aucune dans ce spectacle d’une austérité calculée.
La mise en scène, signée de Moshe Leiser et Patrice Caurier joue brillamment avec la préciosité d’un choix de costumes somptueux à l’ancienne et d’un décor où les touches modernes contrebalancent savamment les rappels de l’art théâtral de la Renaissance. Les acteurs, dirigés avec subtilité, habitent réellement des personnages dont chaque geste et chaque mimique paraissent spontanés. L’accueil du public, chaleureux, laissent bien augurer de la carrière future d’un opéra qui mériterait d’être repris sur d’autres plateaux.

Guillaume Tell
Lorsqu’un metteur en scène ne sait comment satisfaire aux exigences parfois contradictoires d’une œuvre aussi complexe que le Guillaume Tell de Rossini, il résiste souvent mal à la tentation d’en offrir seulement un pastiche scénique. C’est ce qui s’est passé à Zurich pour cette première in loco de la version française de l’ultime chef-d’œuvre du compositeur italien. Avec ses nombreux ensembles, son intrigue tarabiscotée et ses situations hautement mélodramatiques, le livret demande d’abord une traduction scénique qui souligne les lignes de force du sujet.

« Guillaume Tell » avec Michele Pertusi, Martina Janková
© Suzanne Schwiertz

Adrian Marthaler se contente d’aligner les clichés que se font les Suisses de leur belle patrie aux cimes neigeuses et nous transporte dans une annexe du Musée de l’habitat rural du Ballenberg. Visiteurs en costume traditionnels alternent avec quelques joyeuses troupes issues d’un EMS voisin. L’apparition soudaine d’étrangers parés de costumes exotiques laisse espérer quelques secondes une approche plus politique du sujet, mais il semble que les quelques beautés pulpeuses qui traversent la scène n’aient d’autre fonction que d’ajouter une tache de couleur de plus… Dès le 2e acte, les entrées et sorties aléatoires des choristes et des solistes plongent le spectacle dans la monotonie et finit par rendre incompréhensibles les scènes pourtant essentielles du Tir à la pomme ou de l’Assassinat de Gessler. Sans un regard dans le programme ou une plongée dans ses souvenirs, le spectateur est bien en peine de saisir les enjeux d’un tel naufrage scénique.
La distribution, heureusement, nous gratifie de quelques moments magiques, à commencer par le ténor tour à tour charmeur et puissant d’Antonino Siragusa qui non seulement possède le contre ut facile mais sait également faire preuve de sûreté stylistique en chaque instant malgré une prononciation française pour le moins défaillante. Le baryton noble, sombre et chaleureux, de Michele Pertusi convient idéalement au personnage paternaliste de Tell, tandis que le soprano resplendissant d’Eva Mei se coule sans difficulté dans le chant souvent emphatique d’une Mathilde aussi passionnée qu’amoureuse de justice sociale. Gessler est incarné par un Alfred Muff bien chantant au point de rendre ce tyran presque trop sympathique, Jemmy par une Martina Janková au timbre à la fois léger mais rond et Hedwige par une Wiebke Lehmkuhl dont le timbre prenant sait se parer de moirures sombres pour se révéler tout simplement parfait dans cet emploi de femme de héros. Gianluigi Gelmetti obtient des musiciens de l’Orchestre zurichois un accompagnement qui a fière allure : les timbres sonnent clair, les dialogues entre instruments frappent par leur vivacité et la précision dans la mise en place des rythmes permet une approche contrastée des très nombreux ensembles où le compositeur semble s’engager sur la voie du grand opéra qu’il va malheureusement cesser d’exploiter après cet ultime essai pourtant fort réussi. (Représentation du 19 novembre)

Eric Pousaz