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A l’Opéra du Rhin
Strasbourg : “Siegfried“

Belle réussite à Strasbourg, avec cette nouvelle production.

Article mis en ligne le avril 2009
dernière modification le 24 avril 2009

par Eric POUSAZ

L’Opéra du Rhin a mis dans le mille avec sa nouvelle production de la 2e journée de la Tétralogie : la distribution proposée est en effet d’une rare
homogénéité et il semble difficile d’imaginer une exécution musicale plus enthousiasmante…

Le rôle titre de cet ouvrage passe à juste titre pour un des plus meurtriers du répertoire wagnérien et rares en sont les titulaires qui parviennent sans dégâts vocaux majeurs en fin de soirée. Lance Ryan est de ceux-ci : son timbre, agréablement barytonnant, traverses les trois actes avec une aisance confondante, trouve des réserves quasiment épiques pour les envolées du duo final après s’être offert le luxe d’une multitude de nuances dans la scène de la forêt pour rendre particulièrement émouvante son évocation à demi-voix de la mère trop tôt disparue. Jeanne-Michèle Charbonnet, que les Genevois ont connue en forme éblouissante dans le Tristan und Isolde réglé par Olivier Py, a conservé sa voix chaude et fluide, mais sa fréquentation assidue des rôles les plus lourds du répertoire germanique commence à laisser des traces inquiétantes : l’aigu se décolore, quand il ne perd pas sa justesse, et la texture de l’étoffe vocale s’amenuise dangereusement dans la quinte aiguë comme dans le grave. Malgré cela, pourtant, sa difficile scène de l’éveil lui a permis de brosser un portrait tout en finesse d’une Brünnhilde plus juvénile que jamais. Jason Howard campe un Wanderer inhabituellement dynamique : son baryton clair séduit dès les premières notes et peine peut-être à rendre sensibles les affres du dieu vieillissant qui se sait condamné, mais quelle précision dans l’intonation et quel aplomb imperturbable dans la conduite de la voix !
Brillant comme à son habitude, Oleg Bryjak fait d’Alberich un personnage grotesque et repoussant qui crie plus qu’il ne chante, comme le veut une mise en scène qui le transforme en personnage de comédie à la Charlie Chaplin alors que Colin Judson en Mime s’agite et vocifère avec un timbre qui sait conserver fraîcheur et acuité jusque dans le parlando rapide. Jyrki Korhonen est un Fafner mémorable moins par la noirceur du timbre que par l’humanité d’un chant d’une superbe variété d’accents et Alexandra Kloose une Erda au grave profond, presque ronronnant, qui donne à ressentir de formidable façon la noire mélancolie qui saisit cette devineresse à l’approche de la fin des dieux. Malicieux oiseau de la forêt au pépiement aigu d’une mémorable clarté, Malia Bendi Merad complète à la perfection ce plateau royal malgré ses inévitables failles.

« Siegfried » avec Jeanne-Michèle Charbonnet (Brunnhilde) et Lance Ryan (Siegfried)
Photo Alain Kaiser

Claus Peter Flor mise sur la fluidité et la transparence dans sa direction musicale ennemie de tout effet inutile. Suivi avec une discipline exemplaire par les membres d’un Orchestre Philharmonique de Strasbourg au jeu impérialement virtuose (quels cors !), il anime chaque épisode d’une vie intense dont les séquences sont autant de vignettes musicales qui donnent à ‘voir’ une action scénique qui n’aurait presque pas besoin de la scène. Cette lisibilité est d’autant plus appréciable que la traduction visuelle imaginée sur le plateau par un David McVicar peu inspiré agace par ses parti-pris simplistes, voire puérils. Transformer Mime et Alberich en personnages de comédie ne fait pas sens lorsque leur duo se transforme en jeux d’enfants mal élevés qui se tirent les cheveux ou se font des crasses. Le metteur en scène britannique ne nous épargne même pas le coup de la tarte à la crème lorsque Siegfried repousse la tambouille que veut lui faire manger un Mime aux intentions assassines. De tels détails gêneraient moins si l’homme de théâtre britannique n’exigeait de ses acteurs un actionnisme constant en les invitant à proposer une gestique marquée au sceau de l’agitation perpétuelle, à esquisser à tout moment quelques pas de danse triomphants, à mimer avec force détails la douleur, la peur ou la surprise, ou encore à arpenter la scène dans tous les sens sans aucun souci de vraisemblance. Au troisième acte, l’atmosphère change radicalement et le jeu des acteurs s’affine dès l’apparition d’Erda pour se muer, dans le final, en un moment de pure magie théâtrale dont on se demande pourquoi il n’a pas su déteindre sur les deux actes qui l’ont précédé…
La fin de l’entreprise avec l’attendu Götterdämmerung est annoncée pour 2011 seulement.

Eric Pousaz