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Spécial Grand Théâtre
Portrait : Christof Loy

Portrait d’un metteur en scène bientôt très présent au Grand Théâtre.

Article mis en ligne le mai 2010
dernière modification le 21 juin 2010

par Eric POUSAZ

Né à Essen, Christof Loy est immédiatement attiré par le monde du théâtre ; il commence à la Folkwang Hochschule de sa ville natale des études consacrées au théâtre et à la mise en scène.

Très vite, il se tourne vers le théâtre musical, plus particulièrement vers l’opéra à l’italienne (les trois compositeurs qu’il admirer le plus sont Monteverdi, Mozart et Verdi). Il se rend ensuite à Munich où il suit des cours de philosophie, d’histoire de l’art et de philologie de la langue italienne tout en exploitant chaque occasion d’assister de l’intérieur au travail théâtral en acceptant divers stages d’assistant metteur en scène.
Ses diplômes en poche, il trouve rapidement le chemin des grandes scènes et propose ses premières réalisations sur les scènes des théâtres de Stuttgart. Il monte ainsi une Flûte enchantée à l’Opéra de la ville, tout en manifestant encore un intérêt marqué pour le théâtre parlé avec des réalisations remarquées du Triomphe de l’amour de Marivaux et Phèdre de Racine. Sa mise en scène de la pièce de Marivaux crée la sensation ; elle est sélectionnée par un jury professionnel comme une des meilleures réalisations théâtrales de l’année et le spectacle sera, à ce titre, invité au prestigieux Festival de Berlin où sont chaque année rassemblés les spectacles les plus marquants du moment. Ensuite, il enchaîne les productions sur un rythme soutenu, avec un intérêt toujours plus marqué pour l’opéra. Glyndebourne l’engage pour Iphigénie en Tauride de Gluck, Bruxelles pour Les Noces de Figaro, Eugène Onéguine, Le Chevalier à la Rose ou encore L’Enlèvement au sérail. Ensuite il devient un des invités de prédilection de Tobias Richter lorsque celui-ci dirige l’Opéra du Rhin de Düsseldorf/Duisbourg ; il y monte un nombre tel de spectacles que dans le courant de la saison 2008/2009, un véritable festival est mis sur pied comprenant près d’une dizaine de ses productions !
Les grandes scènes d’Allemagne et d’ailleurs ne se font pas attendre. Munich lui confie deux opéras de Donizetti montés pour Edita Gruberova (Roberto Devereux et Lucrezia Borgia), des réalisations qui ont eu les honneurs d’une captation en DVD parue chez Universal. Après le succès d’Ariadne à Naxos, le Covent Garden de Londres le réinvite pour Lucia de Lammermoor, Lulu et, l’automne dernier, Tristan und Isolde. Le festival de Salzbourg voit son Armida de Haydn et sa Theodora de Haendel tandis que le Theater an der Wien de Vienne s’assure ses services pour un nouveau Giulio Cesare de Haendel et le rare Intermezzo de Richard Strauss. Genève s’est mis sur les rangs et annonce pour la saison prochaine deux de ses productions consacrées à La Veuve Joyeuse de Lehár et aux Vêpres Siciliennes de Verdi.

Christof Loy

Les recettes du succès
Il est difficile de définir un style immédiatement reconnaissable dans le travail scénique de Christof Loy. A ce titre, il n’est pas comparable à celui d’un Franco Zeffirelli, par exemple, dont les spectacles obéissent à des impératifs esthétiques immédiatement reconnaissables. En refusant la facilité de la collaboration avec un décorateur unique, le metteur en scène allemand veille à conserver une liberté d’approche qui lui permet de trouver pour chaque nouveau spectacle la clef d’interprétation qui lui semble convenir. Ainsi a-t-il monté un Enlèvement au Sérail à Bruxelles et Francfort sans costumes orientalisants et dans un espace quasiment nu pour inviter le spectateur à concentrer son attention sur le conflit entre deux conceptions de l’amour qui ne se réduisent pas à la confrontation de deux identités culturelles opposées. Dans Lucrezia Borgia, l’opéra de Donizetti monté à Munich pour Edita Gruberova, le procédé est encore plus radical puisque toute référence à la Renaissance italienne disparaît : le vaste plateau du théâtre est totalement nu, alors que les costumes des acteurs, modernes et même franchement laids, dévoilent non l’état social des protagonistes mais leur degré de maturité psychologique. Par contre, son Turc en Italie hambourgeois accumule les références humoristiques aux gags éculés de la commedia dell’arte : en fait, cette vision modernisée d’une Italie de fantaisie où règne l’humour le plus déjanté dissimule à peine une critique acerbe d’un ordre social foncièrement injuste.

Provocation
Christof Loy aime à répéter que la partition, plus que le cadre historique choisi par le musicien ou le librettiste, doit donner le ton à ses mises en scène. Chacun sait en effet que, lors de la composition d’un nouvel ouvrage, le choix d’un lieu ou d’une époque est souvent influencé par des conditions externes qui n’ont rien à voir avec les préoccupations du moment de ses auteurs. La censure, ou les usages du temps, imposent des choix qui vont souvent à l’encontre de leurs vœux : il suffit de rappeler dans ce contexte les tours de passe-passe auxquels à dû consentir Verdi dans Un bal masqué ou Stiffelio pour ne pas mécontenter une censure omniprésente ! Dans une mise en scène moderne, il s’agit donc de retrouver impérativement dans la musique ce qu’a vraiment voulu l’auteur, quitte à proposer la vision d’un univers théâtral qui n’a rien à voir en apparence avec les didascalies du livret.
Dans une querelle résurgente à toutes les époques, le public aime à critiquer ce qu’il voit dans les théâtres au nom d’une sacro-sainte tradition. Mais quelle est-elle vraiment ? Et qu’est-ce qui la justifie ? Les canons esthétiques qui prévalent en certaines époques dans l’approche de tel ou tel compositeur ont avant tout le défaut de rendre confortables, par un sentiment de déjà-vu, des situations dramatiques qui devraient au contraire soulever l’indignation. Attendre systématiquement d’une représentation de La Traviata ou de Madame Butterfly qu’elle se joue dans de beaux décors qui recomposent sous nos yeux les charmes du Paris argenté du XIXe siècle ou d’un bord de mer japonais enrichi de cerisiers en fleurs, c’est courir le risque d’oublier l’insupportable misère affective de leurs héroïnes maintenues dans la servitude par le caprice d’une classe argentée totalement amorale. La mise en scène moderne d’un ouvrage du passé implique donc l’obligation, pour son auteur, de faire ressortir les conflits latents qui y sont exposés, même s’il lui faut choquer pour atteindre son but. Car s’il y a provocation à l’opéra, elle est d’abord à rechercher du côté du sujet, non du metteur en scène… Les spectaculaires échecs de Traviata et de Butterfly lors de leurs première respectives à Venise et Milan sont là pour nous le rappeler...

Eric Pousaz

Christof Loy assurera la mise en scène de « Die lustige Witwe » de décembre 2010, ainsi que celle des « Vêpres Siciliennes » en mai 2011