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Opéra de Lyon : événement
Lyon : “Lohengrin“

Une représentation de “Lohengrin“ qui allie un choix vocal inégal à une narration scénique réussie.

Article mis en ligne le décembre 2006
dernière modification le 15 juillet 2007

par Jacques SCHMITT

Après près de vingt ans d’absence, “Lohengrin“ de Richard Wagner revient sur la scène lyonnaise dans une coproduction du Festspielhaus de Baden-Baden et de La Scala de Milan. Un choix vocal inégal hypothèque une réussite pourtant à portée de main.

Pour son dispositif scénique, le metteur en scène Nikolaus Lehnhoff a vu grand. En faisant appel à l’architecte allemand Stephan Braunfels qui signe son premier décor d’opéra, il réussit un coup de maître en donnant à sa narration scénique l’éclatement des caractères perdus dans leurs insoutenables sentiments. Si les protagonistes principaux semblent ne pas avoir bénéficié de toute l’attention directrice qu’ils méritaient, en revanche, les chœurs sont moulés dans une matière humaine extrêmement vivante. Sur un grand escalier grimpant jusqu’aux cintres du théâtre, ils se rassemblent en déboulant par groupe ou en solitaires, se saluant d’un coup de chapeau, d’une poignée de main, d’un hochement de tête, d’une accolade. Constamment en mouvements calculés et dosés, le chœur est libéré des contraintes de rigidité si souvent imposées, offrant ainsi à cette masse chorale imposante la possibilité de s’exprimer théâtralement avec un naturel saisissant.
Se contentant de raconter le drame de “Lohengrin” sans interprétation psychanalytique hasardeuse, faisant confiance à l’expressivité des solistes, la mise en scène laisse alors la place à l’expression vocale de l’oeuvre.
Mille couleurs

Lohengrin, dans la mise en scène de Nikolaus Lehnhoff

Malheureusement, la majeure partie du plateau lyonnais n’est pas à la hauteur interprétative du texte wagnérien. A commencer par les deux protagonistes principaux. En effet, la soprano suédoise Gunnel Bohman (Elsa) n’a pas l’envergure vocale du rôle. Même si elle manque de puissance, la voix est belle mais trop sage pour le personnage. Cette Elsa-là est une oie blanche un peu nunuche alors qu’on attend autre chose de la femme outragée et blessée. À ses côtés, il est vrai que le ténor américain Hugh Smith, malgré sa carrure gigantesque, est un pâle Lohengrin. Vêtu d’un costume en aluminium brossé, il est d’une gaucherie théâtrale à pleurer. Même s’il est un envoyé céleste, son visage de cire est désolant d’expressivité. Vocalement, les notes sont là, mais le texte (bredouillé dans un allemand approximatif) reste enfoui dans un récitatif sans caractère. Quoique scéniquement pâle, Michael Dries (Le Roi Henri) possède la noblesse vocale du personnage. Si son chant n’est pas des plus bouleversants, la prestation de Brett Polegato (Le Hérault du roi) est impressionnante de solidité et d’assise vocales. Dans son rôle de vilain, le remarquable investissement théâtral du baryton américain Tom Fox (Telramund) lui a valu l’antipathie d’un public plus impressionné par le personnage qu’il campait que par sa réelle et admirable prestation artistique. Ainsi il récoltera des applaudissements bien en dessous de ceux que sa performance méritait.

Cette production lyonnaise aurait été juste convenable si elle n’avait pu compter sur la présence électrisante de la soprano allemande Evelyn Herlitzius (Ortrud). Son talent théâtral et vocal force l’admiration. Odieuse à souhait, cette Lady Macbeth wagnérienne domine le plateau pour y servir un personnage extrême. Si pendant le premier acte, elle reste théâtralement sur la réserve, à l’affût de la victoire qu’espère son personnage, son jeu est teinté d’une vocalité dont la retenue montre combien elle domine son personnage, combien elle l’habite. Ce ne sera qu’aux premiers signes de l’échec, alors que son époux est confondu, que la chanteuse se transforme. Dans ses invectives, ses reproches, son mépris, elle éclate soudain en mille couleurs vocales. Sa présence, son charisme réduisent à néant tout ce qui l’entoure. Ses yeux sont des flèches, ses notes des poignards. Dans les ensembles où le chœur chante à pleine voix, on se prend à tendre l’oreille pour l’entendre encore. Comme si sa voix allait sortir au-dessus des quatre-vingts choristes. Et comme par miracle, son chant sublimé plane au-dessus de l’immense masse chorale et orchestrale. Comment ne pas voir avec Evelyn Herlitzius une digne héritière d’une certaine Gwyneth Jones ?
Légère réserve

Parce que la direction d’orchestre de Lothar Koenigs n’offrait pas toujours la précision souhaitée, Wagner perdait de son ampleur. Ainsi, l’Orchestre de l’Opéra de Lyon se voyait ballotté dans des effets pas toujours soutenus et, comme un soufflé qui aurait trop attendu, la tension musicale retombait souvent. Au terme de cette représentation se pose la question de l’inconvénient que peut causer la disparité entre une soliste d’exception du gabarit d’Evelyn Herlitzius face aux autres protagonistes. Evidemment, ces différences nuisent à l’unité du spectacle mais que doit-on privilégier ? Favoriser l’expression de ce talent explosif au détriment des autres solistes ? Doit-on le prier de réfréner son énergie, d’étouffer sa superbe, d’éteindre sa nature débordante ? En d’autres termes, niveler la qualité de la production par le bas ? Certainement pas, même si c’est au directeur du théâtre qu’incombe la responsabilité d’avoir engagé des protagonistes dont le talent n’était pas au niveau de celui de la chanteuse allemande. Toutefois, cette « erreur » de jugement permet au spectateur de mesurer les différences qui peuvent exister entre des chanteurs, se forger une idée de ce que vers quoi doivent tendre les productions lyriques. Vers l’excellence sans compromis.

Jacques Schmitt

Représentation du 7 octobre 2006