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A l’Opéra de Lyon : création mondiale
Lyon : “Lady Sarashina“

Création mondiale de Lady Sarashina à l’Opéra de Lyon. Le résultat ? Un enchantement.

Article mis en ligne le mai 2008
dernière modification le 11 juin 2008

par Jacques SCHMITT

Qui ne se souvient pas de la création lyonnaise de l’opéra Les Trois Sœurs de Peter Eötvös en 1998 ? Un succès immense, plus encore que par l’opéra lui-même, par la musique ou par le livret, c’est l’esthétique du spectacle qui rassembla le public et la critique. Il n’en fallait pas plus pour que l’Opéra de Lyon commande une nouvelle œuvre au Peter Eötvös. Et comme on ne change pas une équipe qui gagne, c’est donc pratiquement les mêmes acteurs du précédent spectacle qui entourent cette nouvelle œuvre du compositeur hongrois.

Parfaite adéquation
Certains critiques (dont votre serviteur) affirmaient qu’on ne pourrait jamais voir Les Trois Sœurs de Peter Eötvös avec une esthétique autre que celle présentée sur le plateau de l’Opéra de Lyon tant la symbiose entre la musique, le livret et le théâtre étaient parfaits.
Avec Lady Sarashina, cette fusion est encore plus flagrante. Travaillant ensemble à l’élaboration de l’opéra, le compositeur et le metteur en scène ont réussi la parfaite adéquation de la musique et du théâtre. Pour le coup, la mise en scène est partie intégrante de la musique et celle-ci de la mise en scène.

« Lady Sarashina ».
Crédit photographique : Bertrand Stofleth

Le résultat ? Un enchantement. Sur un fond de scène tendu de noir, deux grands cercles d’acier glissent lentement vers le centre pour former une hypothétique pleine lune au milieu de l’opéra avant de se séparer à nouveau pour rejoindre leur place d’origine quand le rideau tombe. Le décor minimaliste d’un quadrilatère au centre duquel s’élève une colonne légère en bois forme le plateau idéal de la pensée et de l’attente à la base même de l’intrigue. Assise sur elle-même, une femme, Lady Sarashina, écrit. Mimant les gestes séculaires de la calligraphie, elle couche sur un papier invisible sa mémoire de lieux, de rencontres, de conversations, d’objets qui ont meublé sa vie. Une pensée qui se transforme petit à petit en images. Des images prenant forme avec les trois autres personnages de cette saga sans avenir. Les pensées, les mots vont de Lady Sarashina aux témoins incarnés de sa mémoire pour revenir bientôt dans les paroles de l’écrivaine. Dessinés dans un climat de lenteur de la mémoire réfléchie, les personnages seront tour à tour le chat, le miroir, la lune, l’Impératrice, la nuit, le destin. Imagerie forte accentuée par les larges et somptueux costumes de tissus peints (Masatomo Ota) qui, retournés, redrapés, s’identifient aux peaux successives de la vie de ceux qui les portent. Subtilement ponctués par les éclairages de Yukiko Yoshimoto, les tableaux se succèdent sans cassure, portant l’héroïne tout au long de sa vie.

Qualité rare
Le texte millénaire poétiquement mis en musique par Peter Eötvös mêle les voix aux sonorités orchestrales les plus singulières. Un entrelacs d’instrumentations savantes, des sons inhabituels sans agressivités accompagnent la mélancolie de Lady Sarashina, superbement imprégnée de la voix blanche de la soprano Mireille Delunsch. Dans l’expression des autres personnages, le choix des autres solistes se révèle d’une rare qualité. Quelle subtilité vocale chez la soprano Ilse Eerens alors qu’elle campe La Princesse, La Jeune Dame ou une Dame du Rêve. Quelle vocalité affermie et changeante chez la mezzo Salomé Kammer quand elle est L’Impératrice, La Mère, La Sœur ou la Dame d’Honneur. Quelles couleurs chez le baryton Peter Bording s’il est Le Garde, Le Bouffon, Le messager, Le Père ou le Gentilhomme.

Au terme de cette fête de couleurs musicales et scéniques, l’émotion du public est palpable. Le triomphe est présent, mais il reste teinté du respect dû au talent de Peter Eötvös et de ses complices de scène à faire partager l’enchantement de la mélancolie.

Jacques Schmitt