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A l’Opéra de Lyon
Lyon : “La Dame de Pique“

Peter Stein poursuit son exploration des opéras de Tchaïkovski avec La Dame de Pique.

Article mis en ligne le mars 2008
dernière modification le 22 mars 2008

par Jacques SCHMITT

Après Mazeppa et Eugène Onéguine, Peter Stein poursuit son exploration des opéras de Tchaïkovski avec La Dame de Pique. Un parcours où le metteur en scène allemand semble s’essouffler.

Partagé entre la volonté de raconter l’intrigue de manière concrète ou sous l’aspect de la psychologie de ses personnages, Peter Stein manque le coche. Ainsi, il combine mollement les deux approches scéniques sans prendre parti.

Déchirure
La déchirure des deux passions d’Hermann d’une part pour Lisa et d’autre part pour le jeu se résoud donc dans une suite de scènes qui, prises une à une, racontent assez bien le drame mais qui dans leur ensemble forment un spectacle quelque peu décousu.
La Dame de Pique est une œuvre certes difficile à mettre en scène, le drame se déroulant tour à tour dans des lieux aussi différents qu’une chambre de jeune fille, un jardin, un salon de bal ou un tripot. Les nombreux changements de décors cassent le rythme de l’œuvre. De plus, en cherchant néanmoins à séparer le mental du réel, Peter Stein s’engage dans des voies scéniques discutables, comme ces apparitions d’une gigantesque statue traversant la scène au moment de l’évocation de la visite de la Grande Catherine de Russie, ou la descente des cintres du squelette fantômatique de la Comtesse lors du délire d’Hermann.
Pourtant, Peter Stein dessine bien ses personnages. En particulier Hermann qui passe peu à peu de l’exaltation amoureuse pour Lisa à la déraison morbide pour le jeu. Il est vrai que le metteur en scène profite largement de l’expérience des chanteurs, pour la plupart de culture russe et déjà interprètes de cet opéra avant la production lyonnaise. Il se mettent ainsi à l’abri d’improvisations scéniques malvenues, même si parfois le geste est conventionnel ou exagérément théâtral, comme l’incrédible suicide de Lisa se jetant un peu trop précautioneusement dans la Neva.

“La Dame de Pique“
Crédit photographique : Bertrand Stofleth

Belles surprises
Reste le plateau vocal et la musique. Si le premier réserve de belles surprises, le second est plus discutable. Comme dans l’Eugène Onéguine de l’an dernier, la direction de Kirill Petrenko ne réussit pas à insuffler la dramaticité que réclame le livret. Se contentant d’accompagner les chanteurs, il oublie d’en souligner la désespérance et les tourments.
Du côté des chanteurs, le bonheur est souvent au rendez-vous. A l’exception du ténor Viktor Lutsiuk (Hermann) en très petite forme, les autres chanteurs réservent de belles surprises. A commencer par la bouleversante mezzo-soprano Elena Maximova (Pauline). Assise derrière le clavier d’un piano (joue-t-elle ou mime-t-elle ?), elle entonne sa romance (Podrougi milie, podrougi milie…) avec une voix d’une rare douceur sans que la puissance ne lui fasse défaut. Une voix habitée qui raconte sans qu’il soit nécessaire jouer la scène. Une présence artistique qu’elle partage avec le baryton Andrey Breus (Prince Eletski). Lui aussi se contente de quelques gestes retenus mais sa déclaration amoureuse à Lisa (Ya vas lioubliou, loublio bezmerno) transperce le cœur. Quelle voix, quelle superbe !

Emotions
Au chapitre des émotions, il est à noter l’extraordinaire prestation de la mezzo Marianna Tarasova (La Comtesse). Alors qu’il est de coutume que ce rôle soit donné à une cantatrice en fin de carrière, la production lyonnaise a voulu s’assurer du concours d’une jeune interprète. Bien lui en prend car sous la voix admirable de cette mezzo, on découvre un rôle d’une intensité renversante. Que d’autorité dans cette Comtesse aigrie, que de tendresse en même temps lorsqu’elle se remémorre le temps passé. Affalée dans un fauteuil garni d’édredons, Marianna Tarasova chantant à mezzavoce la romance Je crains de lui parler la nuit… impose le silence retenu du public, trop heureux d’assister à l’un des moments les plus émouvants de cette soirée.
De son côté, le grand routinier de la scène russe qu’est le baryton Nikolai Putilin (Tomski) fait mouche avec la truculence de son personnage. La soprano Olga Guryakova (Lisa) reprend le rôle qu’elle avait déjà interprété sur cette même scène en 2003. Si la voix est très correcte, elle manque toutefois de couleurs. Jamais elle ne semble être en phase avec son personnage, ni elle ne donne l’impression d’être impliquée dans le drame ou d’avoir un quelconque sentiment amoureux pour Hermann. Un Hermann (Viktor Lutsiuk) dont l’implication théâtrale est remarquable de sincérité et de justesse. Pas très en forme, la voix pas toujours très belle, il reste d’une expressivité impressionnante.

Jacques Schmitt

Représentation du 28 janvier 2008