Arts-Scènes
Slogan du site

Cinéma Danse Expositions Musique Opéra Spectacles Théâtre

Opéra de Hambourg
Entretien : Simone Young

Entretien avec Simone Young, Directrice générale de la Musique à l’Opéra de Hambourg.

Article mis en ligne le juillet 2008
dernière modification le 5 août 2008

par Eric POUSAZ

Simone Young est la seule ‘cheffe’ d’orchestre qui peut se targuer d’avoir dirigé plusieurs fois la Tétralogie wagnérienne dans quelques-uns des plus grands théâtres lyriques européens. Une reine incontestée dans un territoire exclusivement masculin. Entretien.

Directrice générale de la Musique à l’Opéra de Hambourg depuis deux saisons, elle parle avec volubilité de sa fonction et du rôle que les femmes ont à jouer dans ce domaine encore trop uniquement masculin que représente la direction d’orchestre…

La question de la femme cheffe d’orchestre arrive sur le tapis en début d’interview alors que nous sommes encore debout. La réaction de Mme Young n’est pas tendre.
S.Y. : Certes, les hommes d’un orchestre ne nous rendent pas la vie facile quand nous nous présentons devant eux pour les diriger. Mais il serait faux de croire que cette difficulté est réservée aux femmes seulement. Je connais bien des musiciens qui ne sont jamais arrivés à s’imposer véritablement en tant que chefs d’orchestre ! Plus sérieusement, je pense que peu de femmes dirigent le grand répertoire romantique allemand parce qu’elles-mêmes ne se font pas confiance et considèrent ce style musical comme un domaine réservé aux hommes par accord tacite ! Les choses sont heureusement en train de changer. Julia Jones, par exemple, une musicienne qui a été quelques saisons directrice à Bâle, a remporté récemment un triomphe dans un Lohengrin florentin admirable…

Simone Young
© Klaus Lefebvre

Que peut apporter de différent une vision féminine de Wagner, selon vous ?
La puissance quasi orgiaque de certains grands moments n’interpelle pas une femme de la même manière qu’un homme. Certes, chacun aime à se sentir porté par un orchestre et des voix qui donnent le maximum de volume à tel ou tel moment, mais ce n’est pas là l’important : Wagner visait à créer une œuvre d’art totale, et le texte, les silences ou une certaine forme d’intimité font aussi partie intégrante de sa dramaturgie. Pour moi, rendre justice à ces moments où le compositeur nous invite à pénétrer aux tréfonds d’une personnalité est aussi important que la mise en perspective correcte des temps forts du drame. C’est pourquoi je veille à rendre le texte aussi compréhensible que possible, au point d’avoir insisté dès mon arrivée à Hambourg pour obtenir des surtitres même lors des représentations d’opéras allemands donnés devant un public germanophone.

Que représente pour vous le fait de diriger une maison aussi importante ?
J’ai d’abord la possibilité de mener à bien des projets artistiques dont je suis responsable à cent pour cent. Prenez le nouveau Ring que nous allons mettre sous toit en quatre saisons : j’ai pu choisir le metteur en scène et j’ai eu toute liberté pour trouver dans notre troupe les chanteurs aptes à rendre justice à ma vision. Je suis même prête à entendre dire que tel ou tel aspect de notre travail est peu convaincant pour autant que ce soit moi qui en porte l’entière responsabilité ! Par ailleurs, le risque, pour tout interprète, est de se voir confiné dans un domaine restreint. Après mes années d’assistanat à Bayreuth auprès de Daniel Barenboim, on ne pensait à moi que pour Wagner. Certes, j’aime sa musique, mais je ne me priverais pour rien au monde de Mozart ou Britten ! Etre directrice ici me permet de faire sauter des barrières et de me profiler dans le répertoire italien ou français (j’aimerais aborder Pelléas et Mélisande, par exemple !) Si je passe de maison en maison, mon travail sera peut-être plus lucratif, mais à la vingtième production de Tristan und Isolde, je risque tout de même de me sentir confinée à l’excès ! Et enfin, last but not least, j’ai également ici la responsabilité d’une saison de concerts où m’est offerte la possibilité de construire un répertoire symphonique sur le long terme. Ainsi, nous venons de commencer une intégrale des symphonies de Bruckner enregistrée en direct qui me comble…

Contrairement à ce que vous avez fait ailleurs, où vous avez repris la direction d’une production préexistante, vous montez ici la Tétralogie sur quatre saisons. Cela change-t-il votre perception de chacune des parties de cette œuvre gigantesque ?
C’est bien un des aspects les plus intéressants de ce travail. En alternance avec La Walkyrie, que nous allons jouer cet automne, nous allons reprendre L’Or du Rhin pour trois représentations. Je suis certaine que les musiciens et moi-même allons aborder cette œuvre différemment après l’expérience du deuxième volet de la Tétralogie. De fait, pour moi, cet ouvrage n’est pas un drame avec un commencement et une fin mais bien plutôt un cycle qui revient à son point de départ. Certes, aux dernières notes du Crépuscule des dieux, nous sommes sur un autre plan qu’aux premières de L’Or du Rhin, mais le final tout en douceur prévu par le compositeur montre bien que l’apocalypse du dernier opéra n’est pas le signe d’une fin définitive. La nature reprend ses droits, les dieux vont avoir une nouvelle chance, et peut-être les hommes aussi !....

Rendez-vous est pris pour les saisons futures…

Propos recueillis par Eric Pousaz